Édition du 11 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Contre les tarifs à la Trump, ne pas faire une lutte tactique antipopulaire mais une lutte stratégique pro-climat du soin et du lien

Le couperet est enfin tombé. Et il n’a sans doute pas fini de tomber. « Depuis 0 h 1 [le 4 mars 2025], des tarifs américains de 25 % s’appliquent sur les produits canadiens et mexicains. Sauf l’énergie, c’est un peu moins […]

C’est la première attaque de cette guerre commerciale. La deuxième à venir visera l’aluminium et l’acier. Un 25 % de plus au mois d’avril. Pourquoi ne pas ajouter le bois d’œuvre ? Tout ça est à déterminer. Une troisième attaque est possible, des tarifs supplémentaires en réponse aux tarifs imposés par le Canada. » Ajoutons-y l’incertitude paralysante des yo-yo à la Trump. C’est plus que suffisant pour que l’économie et la politique canadiennes soient sans dessus dessous.

En 2023, le Canada exportait en produits aux ÉU près de 20% de son PIB sans compter ses exportations de services ce qui donne en tout près du quart de son PIB, rien de moins. Pour les quatre grandes provinces canadiennes, leurs exportations de produits, sans les services, aux ÉU par rapport à leur PIB comptaient respectivement pour 35% pour l’Alberta, essentiellement du pétrole qui sera tarifié à « seulement « 10%, 18% pour l’Ontario surtout la fabrication très intégrée avec les ÉU de véhicules routiers, de l’acier, des minéraux ,15% pour le Québec dont l’aluminium (soit de l’électricité cristallisée), du bois de construction, de l’électricité brut mais aussi des aéronefs, et seulement 7% pour la Colombie britannique qui exporte beaucoup en Asie.

Ce choc frappe le Canada en pleine crise politique qui aboutira à une élection dès ce printemps entre les Libéraux sous la direction du banquier Mark Carny, qui vire à droite toute, et les Conservateurs de Pierre Poilievre qui font des pieds et des mains pour se démarquer de Trump qu’ils adulaient il n’y a pas si longtemps. Après des moments d’hésitations et de divisions, sous la pression d’un surgissement populaire de nationalisme canadien qui durera le temps d’un printemps, la classe dirigeante semble s’être réunifiée sur la base d’une riposte se promettant de réagir du tac-au-tac et même jusqu’à interdire certaines exportations d’énergie et de métaux. Est-ce que le tout juste réélu, mais non plébiscité comme attendu, Premier ministre de l’Ontario, chef de file de cette ligne dure, entraînera à sa suite la rétive Alberta, qui serait la grande perdante de cet affrontement de matamores ?

Même le Premier ministre du Québec, sur le tard et avec réserves, lui a emboité le pas. Comment ne pas constater que la CAQ a résolu pour se faire de se défausser sur le dos du peuple travailleur comme jamais. Avec le projet de loi 89, le droit de grève devient conditionnel à l’humeur du ministre du Travail. Les terres humides de la banlieue montréalaise, n’en déplaise aux élus locaux, deviennent l’otage d’une transnationale étatsunienne des ordures. Évidemment, la CAQ ne peut faire autrement qu’encore une fois, par le projet de loi 84, cogner sur les boucs émissaires que sont minorités culturelles en soumettant la Charte québécoise des droits et libertés à sa dite politique d’intégration alors que ça devrait être vice-versa. La guerre des tarifs, c’est avant tout le peuple travailleur qui va la payer.

Quant au sortant Premier ministre canadien qui cherche à quitter la scène de l’histoire en tant que grand canadien, comme son père avant lui, qu’a-t-il à perdre à hausser le ton ? Chose certaine, son ancienne ministre des Finances, qui a tenté de devenir Première ministre, prône plutôt l’accommodement en proposant que le Canada aligne sa politique tarifaire chinoise sur celle des ÉU. Quant à l’ancien gouverneur de la Banque du Canada puis de celle du Royaume-Uni, il se débat comme un diable dans l’eau bénite pour démontrer que comme président du plus important fond canadien de gestion d’actifs — Brookfield gère plus d’un demi-billion de dollars — il a les mains propres en ce qui regarde le déménagement du siège social de l’entreprise de Toronto à New-York.

Les partis néolibéraux obligés d’être interventionnistes, ce qui ouvre des portes

Le libre-échange mexico-canado-étatsunien contre lequel gauche et progressistes s’étaient en vain mobilisés à l’époque, mais non le PQ, et qui a eu plus de trente ans pour tracer son sillon structure désormais l’économie canadienne. Libéraux, Conservateurs, CAQ en sont désemparés. Le PQ d’aujourd’hui trouve même Trump raisonnable sur les questions de l’immigration et du fentanyl. NPD et Solidaires ne trouvent comme parades que la ligne dure. La charge de Trump survient alors que les Solidaires prônent un Québec indépendant libéré du pétrole et du gaz canadiens et doté de sa propre constitution à être élaborée par une assemblée constituante en consultation avec les peuples autochtones. Mais le projet de société demeure indéfini sauf à affirmer qu’il sera solidaire et inspiré de personnalités indépendantistes (et péquistes) « qui ont, à travers l’histoire du Québec, incarné un discours progressiste et inclusif. »

Jugé à l’aulne de l’enjeu clef du XXIe siècle, soit la crise climatique, ce projet de société annonce une « transition écologique » dont l’épine dorsale sera d’« investir dans les énergies renouvelables » alors que le Québec déjà « produit la quasitotalité de son électricité à partir de ressources renouvelables ». Ainsi, sans le dire explicitement, sur la page d’accueil de son site web claironnant son « Nouveau Québec », Québec solidaire admet de facto que le cœur de son projet de société sera le « Plan d’action 2035 » d’Hydro-Québec plus un BAPE pour digérer la pilule et un tantinet plus de redistribution. La politique anti-Trump de la CAQ est exactement cela… moins le BAPE et plus d’austérité mais aussi « accélérer [la construction d’]infrastructure », dont des hôpitaux, des écoles et des aménagements en transport collectif » en plus de soutenir les investissements des entreprises pour diversifier leur clientèle et augmenter leur productivité. Québec solidaire dit-il mieux ou autrement ?

Comme lors de la crise de 2008 et de celle de la pandémie, l’offensive tarifaire de la présidence étatsunienne force les partis néolibéraux, du moins ceux centristes, à recourir à l’interventionnisme étatique bien au-delà de leur idéologie. Car il s’agit de sauver le système donc trêve d’intoxication des masses par les « fake news » systémique du libre marché efficient et de l’efficacité supérieure de la gouverne privée sur celle publique. C’est là une ouverture politique à ne pas rater pour la gauche en autant qu’elle ne se résume pas à soutenir, à des nuances près, l’interventionnisme du parti au gouvernement comme Québec solidaire l’a fait lors de la crise pandémique… et ce qu’annonce son « Nouveau Québec » parfaitement réalisable économiquement sans indépendance, au refus des pipelines près.

Une brèche à envahir entre deux types d’extractivisme paraissant des rivaux

Le chaos trumpien tronçonne, en s’en retirant, le processus échoué d’avance et sans issu des COP climatiques. (Les ÉU n’ont jamais participé aux COP de la biodiversité.) Trump sabote les subventions gargantuesques aux gigainvestissements d’énergie solaire et éolienne et pour l’achat de véhicules électriques dont la présidence Biden était si fière, et que le Canada et le Québec ont dû compétitivement imiter. Ce rejet droitier de l’extractivisme tout-électriqueélectronique paraît être nécessaire au succès de l’extractivisme des hydrocarbures. Pas du tout ou si peu.

Les énergies fossiles, quels que soient les coups de chapeau de Trump à leur égard, s’en sortent de toute façon gagnant. Pourquoi ? La captation de la force diffuse des énergies solaire/éolienne tout comme le remplacement de la pléthorique flotte d’autos/VUS solo et son étalement urbain exigent une orgie de matériel. Or seule une orgie d’énergie fossile — dans l’état actuel du monde près de 80% de l’énergie mondiale reste fossile — peut l’extraire et la transformer. Ajoutons-y la prolifération des plastiques et des textiles synthétiques. Le capitalisme vert ne saurait échapper au cercle vicieux de la croissance mangeant à tous les râteliers.

Ce vide politico-économique crée un appel d’air pour une politique authentiquement de gauche qui ne soit pas qu’un suivisme d’un soi-disant progressiste capitalisme vert. Si l’urgence de la situation exige une immédiate réforme du régime d’assurance-emploi, il s’agit avant tout de foncer dans cette brèche entre les deux types d’extractivisme, apparemment compétitives mais en réalité complémentaires, qui se disputent la conduite du monde vers la terre-étuve. Il ne faut surtout pas trébucher dans le piège à ours du recyclage de toutes ces batteries et matériaux lequel recyclage, dans la mesure où il est faisable, est énergivore et polluant. La production circulaire ne doit pas servir d’alibi à la croissanciste consommation de masse. L’enjeu de la transition n’est justement pas la transition, une tautologie, mais la rupture avec la croissance matérielle inhérente à l’accumulation capitaliste mue par la loi de la compétition entre les capitaux.

La croissance matérielle doit laisser place aux services écoféministes

Dans un esprit de décroissance matérielle, le but de toute société devrait être le bien-être de l’ensemble de sa population sans laisser personne derrière. La CGT française parle d’une société du « soin et du lien » bien assise sur la revalorisation des métiers féminins et qui combinée à la décroissance matérielle est écoféministe. À l’occasion du 8 mars, des rassemblements convoqués par les Mères au front dans une vingtaine de villes du Québec dont plusieurs milliers à Montréal (quelques photos) ont dénoncé l’administration Trump qui veut détruire jusqu’au tréfond les acquis de l’État-providence que le capitalisme néolibéral a déjà passablement tronqué. C’est sur la base d’une telle mobilisation, pour le moment défensive, et de la lutte contre Amazon, pour le moment économiste, et de bien d’autres combats que peut poindre la lumière au bout du tunnel… si et seulement si Québec solidaire secoue sa torpeur électoraliste pour oser promouvoir une indépendance de la rupture écosocialiste.

Cette société du soin et du lien est fondée sur la bonification des services publics et sur la mise sur pied de nouveaux tels le logement social écoénergétique et les garderies gratuites pour tout le monde, et pas seulement pour les pauvres, et le transport collectif public, fréquent et gratuit partout. Tous ces services publics et d’autres possibles, telles l’électricité domestique et l’alimentation végétarienne de base, requerront bien sûr des infrastructures matérielles. Mais celles-ci seront très réduites par rapport à l’actuelle consommation de masse assise sur le bungalow et l’auto solo, ces piliers de l’endettement populaire confrontant fin de mois et fin du monde. Quelle délivrance pour les ménages populaires, quelle « croissance » du bien-être dans cette société du soin et du lien où l’angoisse de la maladie, de la pauvreté et du chômage laissera place à la solidarité. Mais pour commencer à construire cette société, il faudra rompre avec le capitalisme carburant à la croissance matérielle sans laquelle il croule.

Le bon marché du soin et du lien au lieu des fausses bonnes idées pharaoniques

Il ne s’agit pas de construire n’importe quelle infrastructure. Avec le rejet des bungalows, et la rapide rénovation écoénergétique des bâtisses existantes récupérables, comme la disparition des véhicules, électriques compris, nul besoin de hausser de 50% la production d’électricité hydraulique et éolienne sur le dos de la nature et des peuples autochtones dont Hydro-Québec tente soudoyer les élites. Les trains à grande vitesse (TGV) que ce soit entre Windsor et Québec ou entre Vancouver et Halifax sont une fausse bonne idée, un autre projet pharaonique non seulement très couteux et qui prend des éternités à construire mais aussi peu écologique, foi d’environnementalistes français qui en font l’expérience depuis des décennies. Les TGV sont pour le transport à longue distance ce que les trains aériens et les métros sont pour le transport collectif urbain. Ils abandonnent le réseau routier déjà existant au règne de l’auto solo au lieu de d’y substituer la domination du transport en commun.

Cette société du soin et du lien en plus d’être écologique et solidaire est aussi bon marché par rapport au faramineux capitalisme vert qui condamne le peuple travailleur à l’austérité permanente. C’est cet impératif économique qui se cache derrière la mue extrême-droitière du capitalisme néolibéral qui ne peut plus s’accommoder de la traditionnelle démocratie représentative. Cette société écoféministe de soin et de lien commande une planification démocratique qui doit « se faire à l’échelle du Québec, elle ne peut être réalisée à partir des villes et villages. » En fait elle doit être mondiale. Son bon marché libérera le temps non seulement de la créativité mais aussi de la démocratie participative.

Il s’agit moins de s’emparer du contrôle de l’épargne nationale (et mondiale) pour besoin de giga-investissements que de le faire pour empêcher la Finance mondiale de nuire en dilapidant le fruit du labeur collectif dans des « grands travaux inutiles ».

Ceux-ci ne servent qu’à enrichir la ploutocratie qui s’y taille des rentes de situation. Celle plutocratie sait très bien qu’il n’y a pas de profit à faire ni à répondre aux besoins matériels du 50% mondial le plus pauvre ni à répondre aux besoins de services publics — on ne les appelle pas « publics » pour rien — du 40% suivant.

Si après l’Holocauste il y avait encore une issue capitaliste…

Si la crise des années 1930, entre deux guerres mondiales annonçant une barbarie inouïe, a pu aboutir au capitalisme « à visage humain » des trente glorieuses, à condition de faire fi des luttes anticoloniales de libération nationale, on voit mal une telle issue aujourd’hui. Le réchauffement loin de plafonner s’accélère. La sixième grande extinction fait de même. La crise combinée du climat et de la biodiversité, générée par la consommation de masse des trente glorieuses, comme axe fondamental de la pluri-crise accule l’humanité au pied du mur. Si en Palestine le choix est entre l’application du droit international et la guerre génocidaire, si en Ukraine, il est entre « défendre le pays ou les oligarques » (voir l’annexe), dans les pays du vieil impérialisme et ceux « émergents », il est entre une solidaire société du soin et du lien et le néofascisme oligarchique de la fin des temps humanoïdes.

Marc Bonhomme, 9 mars 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

Annexe

Sauver le pays, pas les oligarques. Un appel à des changements qui empêcheront la défaite de l’Ukraine

Les politiques prédatrices du président américain nouvellement élu rendent impossible une paix durable pour les Ukrainiens. Le refus de l’Ukraine de signer un accord minier élaboré en fonction des intérêts des capitaux américains a démontré la volonté de l’État ukrainien d’éviter la dépendance coloniale.
En même temps, nous sommes en guerre non seulement contre l’agresseur russe et l’expansionnisme américain, mais aussi contre des obstacles internes : l’injustice économique, la corruption et l’influence oligarchique. La guerre exige une cohésion sociale maximale et l’utilisation de toutes les ressources pour gagner. Mais alors que des millions de citoyens donnent leur dernier pour l’armée, de grosses sommes d’argent continuent de se multiplier entre les mains des oligarques.

Nous offrons notre voie !
* Que faut-il faire ?
* Audit du sous-sol et des terres afin d’identifier leurs propriétaires et le bénéfice public de leur utilisation ;
* Mise en place d’un contrôle étatique sur les entreprises des secteurs stratégiques de l’économie et mise en place d’une production de masse pour les besoins de la ligne de front ;
* Révision des résultats de la privatisation prédatrice ;
* Dénoncer tout accord de double imposition avec Chypre, les îles Vierges et d’autres juridictions offshore ;
* Introduction de l’impôt progressif et de la taxe de luxe ;
* Mise en place d’un contrôle des travailleurs dans les entreprises en tant qu’outil d’audit interne efficace et forme de société auto-organisée ;
* Abandon de la pratique antérieure de sous-financement de l’éducation et de la science ;
* Monopole d’État sur les exportations ;
*Rétablir les relations avec l’Europe en ce qui concerne le sort des actifs russes ; * Augmenter le prestige social du personnel militaire.

La véritable indépendance passe par la souveraineté économique !

Le gouvernement et le peuple ukrainien doivent maintenant décider s’ils veulent défendre le pays ou les oligarques.

Il y a les millions des oligarques - pour le bien-être et la défense !

Sotsialniy Rukh, 3 mars 2025

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