Édition du 17 décembre 2024

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Élections présidentielles en France

Election présidentielle (France) : Sur la candidature de Jean Luc Mélenchon

Actuellement c’est la candidature à gauche la plus forte, même si sa capacité à jouer un rôle central est incertaine. En 2017, il avait frôlé les 20% [1], le « peuple » se tournera-t-il vers lui dans les dernières semaines de la campagne, l’amenant au second tour ? Le système électoral peut réserver des surprises, avec la concurrence au sein de l’électorat d’extrême droite et de droite de Le Pen, Zemmour et Pécresse.

Tiré du site Europe Solidaire Sans Frontières
dimanche 27 février 2022

Par Patrick LE MOAL

Sommaire

La révolution citoyenne (...)
Mesurer les défis d’aujourd’hui

Un candidat rompu à l’exercice

Il a su s’adapter parfaitement au système médiatico-politique français centré sur l’élection présidentielle, la relation d’un « Homme » avec les électreurs-trices, focalisée sur les individus, le buzz, les polémiques de l’instant, la fabrique des émotions autour des candidat-e-s, surtout des hommes, des réactions d’admiration, de vénération, de détestation voire de haine. De ce fait, une présidentielle peut connaître des rebondissements inattendus, car les réactions aux événements, les joutes verbales peuvent parfois devenir déterminants. Ainsi peuvent jouer ses prises de positions positives, à rebours des autres, sur l’islamophobie, question centrale dans le processus de fascisation des débats, tout comme son plaidoyer en faveur de la créolisation de la société, ou encore son refus de participer à la manifestation des policiers le 19 mai dernier alors tous les autres s’y rendaient.

Ces péripéties ne doivent pas faire oublier le fond du projet politique.

L’avenir en commun, un programme loin d’être radical

Le programme « l’Avenir en commun » présente « une vision du monde futur », pour « construire une société ayant pour but l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature ».

La victoire du néolibéralisme fait apparaître ce texte comme radical. Mais il est très marqué par les références au socialisme républicain et son admiration pour François Mitterrand, ce président qu’il respecte toujours aujourd’hui [2]. La comparaison avec les 110 propositions de Mitterrand en 1981 est éclairante. Il en est la continuité aménagée. Moins avancé sur les questions économiques, les nationalisations notamment, identique sur les questions sociales, mais beaucoup plus développé et structuré sur les questions environnementales, la planification écologique, peut-être plus radical sur les institutions politiques, avec la 6e république, le droit de vote à 16 ans, le référendum d’initiative citoyenne ou l’encadrement des jeunes avec la conscription citoyenne obligatoire. S’il a su intégrer des réponses aux évolutions de la situation, il est dans la même logique : limiter les effets les plus violents de l’exploitation capitaliste, en luttant aujourd’hui contre les effets des crises écologiques, sans remettre en cause ni la logique même du système, ni la place de l’impérialisme français dans le monde.

On ne trouvera pas mentionnée une seule fois l’aspiration à construite une société socialiste, ou écosocialiste, ou post capitaliste, ou même simplement débarrassée du capitalisme, pas plus que la dénonciation du capitalisme en tant que tel, seulement celle du « capitalisme financiarisé de notre temps [qui] provoque une violence sociale et un saccage de la nature sans précédent dans l’histoire de la civilisation [3] », et la volonté de « rompre avec le système de l’argent-roi ». Qu’un programme électoral dans une situation donnée ne réponde pas à toutes les questions, c’est inévitable. Mais pour savoir si la perspective proposée est réellement en rupture avec le système capitaliste, la nature de l’objectif est importante.

Deux aspects sont en rupture claire avec le socialisme mitterrandien.

L’indépendance nationale « néocampiste »

La politique internationale, avec la défense d’une certaine forme de néocolonialisme « à la française », tout en étant contre la présence de la France dans l’Otan, dessine une politique d’indépendance nationale basée sur l’arme nucléaire, qui n’est pas exempte d’une certaine forme de « néo campisme », qui conduit à ne pas s’opposer frontalement aux adversaires des États Unis, qui conduit aux prises de positions relatives à la Russie, la Chine et au positionnement dans les conflits internationaux, y compris lors d’une révolution comme en Syrie, à la volonté d’adhérer à la banque de développement des BRICS, au soutien au projet de monnaie commune mondiale face au dollar, à la sortie de la Communauté européenne.

Le refus de l’organisation démocratique de celles et ceux d’en bas

Elle vient de la rencontre avec le populisme de gauche, pour qui la lutte de classe n’est plus l’antagonisme crucial de la société, et qui veut unifier face à l’oligarchie, créer une volonté collective du peuple par une articulation de demandes hétérogènes autour d’un leader qui représente leur unité en mobilisant les affects. Mélenchon ne reprend pas toutes ces théories, pour lui le prolétariat n’est pas annulé, et la logique de son programme n’est pas articulée par l’idée populiste que « les demandes émanant de la plupart des secteurs de la société ... sont équivalentes les unes aux autres dans leur opposition au régime d’oppression [4] ».

C’est d’une autre manière que la greffe populiste de gauche opère. Pour Mélenchon, le parti tel qu’il a existé tout au long du XX° siècle doit être remplacé par une forme d’organisation du peuple, le mouvement, sans bords, regroupant des individus singuliers autour du leader. La conscience est relativisée au profit de la mystique de l’enthousiasme. L’organisation politique collective et structurée, assimilant les bilans politiques, est abandonnée au profit du mouvement des individus atomisés agissant par impulsion et identification.

Cette orientation qui a pris naissance après le congrès du PG en 2015 que Mélenchon a failli perdre, fonctionne autour d’un dispositif stabilisé, la FI créée en 2016, un mouvement « gazeux », sans aucune structuration démocratique nationale, comme une machine conçue pour sa réussite électorale. A été ajouté le « parlement de campagne de l’Union Populaire », qui a un objectif clair et limité : le temps de la campagne, fixer les soutiens issus des mobilisations. Ce n’est en rien l’amorce d’un quelconque processus de réorganisation à gauche avec les représentant-e-s des décantations politiques et sociales de ces dernières années. Ce serait contradictoire avec la conception de Mélenchon sur la question de l’organisation, qui combat la construction d’une d’organisation démocratique qui permet confrontations et maturations politiques.

En agissant ainsi, Mélenchon ne fait pas que prendre acte de la fin des partis, il contribue à leur marginalisation. La mise en avant de l’Union Populaire ne peut donc modifier le phénomène politique Mélenchon né d’une greffe populiste de gauche sur un vieux fond républicain socialiste français.

La révolution citoyenne ?

La mise en œuvre de ce programme provoquerait un affrontement avec le capitalisme néolibéral, avec les institutions européennes. Et dans cet affrontement, seule l’articulation de mobilisations de masse auto-organisées créant des lieux de contre-pouvoirs populaires avec des décisions politiques de rupture qui peut créer un rapport de force. Pour cela il faut un projet politique alternatif qui donne un sens global à l’affrontement, un projet post capitaliste, écosocialiste, un système dans lequel le pouvoir est entre les mains des producteurs et productrices, et porté par une/des formes d’organisation de la classe des exploité-e-s et des opprimé-e-s.

Or Mélenchon ne cherche pas à provoquer une dynamique d’émancipation enclenchant sortie du capitalisme, à éduquer les dominé-e-s contre les logiques capitalistes. Dernière le vocabulaire radical sur la révolution citoyenne, il se contente de repeindre la vieille voie réformiste parlementaire du changement social par les élections, précisément l’élection présidentielle, en adaptant son rôle de leader populiste de gauche au rôle particulier de la présidentielle dans la V° république, utilisant Laclau et Mouffe pour donner une légitimité intellectuelle et une illusion de nouveauté aux vieilles recettes usées.

Mesurer les défis d’aujourd’hui

Aujourd’hui, si les exploité-e-s et les opprimé-e-s représentent l’immense majorité de la population, iels sont multiples et ne s’unifient pas en tant que classe autour d’un projet émancipateur. Unifier les dominé-e-s, créer ce nous émancipateur, porteur de la véritable liberté est évidemment un travail de longue haleine, qui va demander du temps, une accumulation d’expériences sociales, politiques, une maturation des consciences, mais c’est incontournable et … pas du tout dans la temporalité des échéances électorales.

La campagne et l’action de Mélenchon peuvent-elles être un espoir de renouveau pour la gauche radicale, pour les perspectives anticapitalistes, pour une avancée dans cette direction ?

Il est possible qu’il polarise au plan électoral une partie de celles et ceux qui sont indispensables pour avancer dans le sens de cette création du nous dont nous avons tant besoin, certaines aspirations anticapitalistes ou la volonté de lutter contre les processus de fascisation. Et il n’est pas indifférent pour les dominé-e-s que Mélenchon ait ou pas un score plus fort que celui des candidat-e-s sociaux libéraux et sociales libérales, qu’il soit ou pas présent au second tour contre Macron, à la place de duels Macron/droite/extrêmedroite.

Pour combattre pied à pied les contre réformes néolibérales des 40 dernières années, un résultat électoral ne règle rien à lui seul, mais peut créer des conditions politiques meilleures, ou pires, pour celles et ceux d’en bas. Pour autant, le vote ne permettra pas par lui même de résoudre les questions qui nous préoccupent et ne peuvent trouvent des réponses issues spontanément des mouvements sociaux. Si la lutte de classe ne s’arrête jamais, l’action consciente d’une classe pour un autre pouvoir se construit.

La reconstruction d’une perspective sociale et politique émancipatrice n’est pas spontanée, pour exister elle doit être pensée et défendue, argumentée, et irriguer l’action quotidienne.

La construction d’organisations populaires, de cadres collectifs n’est pas spontanée, elle nécessite du travail, de la volonté.

S’organiser, se former ensemble, construire du collectif dans les entreprises, les quartiers, les initiatives populaires, au travers de pratiques communes patiemment et durablement établies, d’expériences de lutte et de conquêtes locales, cela reste central dans l’établissement du rapport de forces. Élaborer ensemble, au coude-à-coude, à différentes échelles, une perspective émancipatrice qui pour conquérir l’hégémonie doit s’ancrer dans ces pratiques, s’appuyer sur des militant-e-s qui font vivre la politique ensemble, reste incontournable.

Rouen le 27 février 2022

Patrick Le Moal

Notes

[1] Lors des présidentielles de 2017, les intentions de vote pour Mélenchon ont oscillé entre 10 et 15 % les derniers mois de l’année 2016, sont descendues autour de 12 % en février et début mars 2017, avant de monter de 13 à 19 % durant les quatre dernières semaines avant le premier tour du 21 avril 2017.

[2] Cf Interview Marianne du 6 janvier 2016 « Mitterrand : quand Mélenchon, nostalgique, raconte son « Vieux » : « Il reste beaucoup à apprendre de cette période et bien mieux que les caricatures malveillantes qui circulent….. Évidemment quand vous avez sous les yeux un François Hollande, vous pouvez vous dire que l’arrivée au pouvoir de la ’gauche’ ne change rien et que le résultat peut même être pire qu’avec la droite. Il faut guérir l’autre gauche de cette maladie pour qui l’exercice du pouvoir condamnerait à la compromission et à la déroute intellectuelle et morale. Ce n’est pas vrai. Parvenir au pouvoir peut permettre de changer la donne. Mitterrand l’a prouvé".

[3] « L’avenir en Commun » ed Seuil novembre 2021 page 11.

[4] Ernesto Laclau “La raison populiste” ed Seuil 2005 pages 154-155

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