Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Pourquoi nous détestons le Parti Socialiste

En 2017, Olivier Faure espérait (déjà !) une grande coalition, allant du Parti socialiste à la droite, « qui tienne compte de l’électorat très composite (…) (venu) faire obstacle à Marine Le Pen ». Il la souhaite encore et s’est ainsi dit, suite à la censure du gouvernement Barnier, prêt à discuter avec les macronistes et la droite, sur la base « de concessions réciproques ». Il s’est même dit prêt à faire « des compromis sur tous les sujets ». LFI continuant quant à elle à exiger la démission d’Emmanuel Macron, le NFP est ainsi proche de l’explosion. Et c’est tant mieux. Car cette alliance, mêlant les héritiers du hollandisme et ceux qui s’y sont opposés frontalement, constitue un obstacle majeur à l’émergence d’une véritable alternative à la politique actuelle. Hormis quelques sièges de députés, l’union avec le PS ne peut rien apporter de bénéfique. Le rejet de ce parti, parfois perçu comme une posture sectaire ou un refus obstiné de l’unité, découle pourtant directement de l’expérience : celle de ses choix politiques, de sa manière de gouverner et de l’espoir, vivace, de voir arriver sa disparition définitive.

9 décembre 2024 | tirer de Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/pourquoi-nous-detestons-le-parti-socialiste/

En France, la vie politique est structurée par les partis et l’intérêt individuel des élus qui les composent. On le voit encore une fois depuis quelques mois, avec la création du NFP et les négociations pour avoir les places éligibles aux législatives, puis les négociations pour tenter d’aboutir à un choix commun de premier ministre NFP et enfin aujourd’hui avec toute la gauche “de gouvernement”, qui va boire la soupe de Macron, à part LFI. L’intérêt des partis est supérieur à celui des idées qu’ils prétendent défendre. Cette simple affirmation est une évidence pour la majorité de la population, qui affiche une juste défiance à la fois spontanée et réfléchie au personnel politique. Mais les militants politiques, et c’est bien normal, s’engagent initialement souvent avant tout pour des idées, des convictions, et sont donc sans cesse déçus par les élus et les dirigeants des partis politiques, qui visent avant tout la poursuite de leur carrière et des rémunérations qui l’accompagnent.

Pour le PS, les idées ne sont qu’un outil pour gagner les élections

Le Parti socialiste en est la plus pure illustration. Entre ses discours quand il est en campagne électorale et ce qu’il pratique une fois qu’il est au pouvoir, il y a un monde. Les idées ne sont pour lui qu’un outil parmi d’autres pour gagner des élections. Il joue le jeu classique et cynique des sociaux-démocrates qui consiste à faire des promesses antilibérales dans un cadre parfaitement libéral, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire : « cela a l’avantage de montrer une bonne volonté en faisant mine de vouloir mettre en place ce pour quoi on a été élu, puis de faire constater à tous l’échec de ces politiques alors même que celles-ci ne pouvaient qu’échouer dans ce contexte. C’est une des manœuvres de la bourgeoisie, aussi grossière qu’efficace, pour “naturaliser” une fois de plus le capitalisme ».

Quand il gouverne, le PS ne fait pas qu’accompagner le libéralisme, il accélère la destruction de notre modèle social, tout en ayant promis le contraire.

C’est pour cela que nous détestons le Parti socialiste. Ce n’est pas un préjugé, ce n’est pas un « refus d’unité », ça n’est pas un caprice qui empêcherait la gauche de gouverner. C’est que tout gouvernement où le PS aura une position déterminante mènera une politique de droite et c’est l’expérience qui le démontre. Quand il gouverne, le PS ne fait pas qu’accompagner le libéralisme, il accélère la destruction de notre modèle social, tout en ayant promis le contraire.

En particulier, Mitterrand et ses gouvernements ont libéralisé massivement l’économie. Le storytelling de gauche sur l’expérience mitterrandienne consiste souvent à considérer que les socialistes ont fait des réformes de gauche jusqu’en 1983, que cela a créé trop de problèmes économiques et qu’ils ont ensuite arrêté les réformes (le fameux “tournant” de la rigueur). En réalité, ce “tournant” était prévu dès le départ comme le montre le discours de politique générale du premier ministre Pierre Mauroy du 8 juillet 1981 où il affirme notamment : “Cette démarche, que je viens d’inscrire dans la durée, sera conduite dans la rigueur. Cela signifie la rigueur budgétaire. Cela signifie que nous défendrons le franc et le maintiendrons dans le système monétaire européen.” La soumission à l’Europe au détriment de la population française était déjà très claire. Le PS a par la suite réformé massivement tout au long des années 1980, en faveur du capital : il a mis fin au contrôle des crédits et des taux d’intérêts et a déréglementé les marchés financiers. Il a légalisé les produits dérivés à l’origine de la crise de 2008. Il a soutenu le traité de Maastricht qui nous a fait perdre notre indépendance monétaire et nous a livrés pieds et poings liés aux emprunts auprès des marchés financiers. Et dans le même temps, il a désindexé les salaires des prix.

Le PS a réformé massivement tout au long des années 1980, en faveur du capital : il a mis fin au contrôle des crédits et des taux d’intérêts et a déréglementé les marchés financiers. Il a légalisé les produits dérivés à l’origine de la crise de 2008. Il a soutenu le traité de Maastricht qui nous a fait perdre notre indépendance monétaire et nous a livré pieds et poings liés aux emprunts auprès des marchés financiers. Et dans le même temps, il a désindexé les salaires des prix

Lionel Jospin va garder cette cohérence libérale quand il devient Premier ministre en 1997 en privatisant à tout va (France Télécom, CIC, Crédit Lyonnais, les autoroutes ASF, le futur EADS, Air France, etc.) et en faisant bénéficier les entreprises privées d’exonérations massives de cotisations sociales lors de la mise en œuvre des 35 heures. Le PS va également autoriser les grandes entreprises du CAC 40 à racheter jusqu’à 10 % de leurs actions et diminuer la fiscalité sur les plus-values boursières des actions. A l’époque, il avait pourtant largement les moyens de faire autrement : la gauche était au pouvoir dans de nombreux pays européens, ce qui aurait permis de négocier des traités plus favorables aux salariés. La croissance était au beau fixe, ce qui permettait de dégager de larges marges de manœuvre financières. L’épisode le plus symptomatique fut sans doute celui de la “cagnotte”. En 1999, l’économie française connaît un taux de croissance dépassant les prévisions (3% au lieu de 2 %), ce qui crée l’équivalent d’environ quinze milliards d’euros de rentrées fiscales supplémentaires. Après avoir tenté maladroitement de cacher cette “cagnotte” pendant des mois aux Français, le gouvernement a finalement choisi, plutôt que de l’orienter vers les plus pauvres, de l’utiliser pour baisser la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, soit celle qui est payée par les plus riches !

En 2012, après dix ans de disette, le PS revient aux plus hautes responsabilités. François Hollande a été élu sur un programme qu’il a peu à peu gauchisé pendant la campagne électorale, sous pression de la percée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages. “Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance”, a-t-il clamé lors de son discours au Bourget de janvier 2012. Une fois élu, il ne fait ensuite que conforter les intérêts de la finance et du patronat. Il nomme immédiatement Emmanuel Macron secrétaire général adjoint de son cabinet, puis ministre de l’Economie en 2014. Il met en œuvre de multiples lois de déréglementation du droit du travail, facilitant les licenciements boursiers, plafonnant les indemnités de licenciement illicites, et permettant à des accords d’entreprise de déroger au droit du travail en défaveur des salariés. Les cadeaux au patronat atteignent dans le même temps des sommets, avec en particulier le CICE (Crédit d’impôt compétitivité emploi) versé aux entreprises pour un montant global de 20 milliards d’euros par an, sans contrepartie.

Lionel Jospin va garder cette cohérence libérale quand il devient Premier ministre en 1997 en privatisant à tout va (France Télécom, CIC, Crédit Lyonnais, les autoroutes ASF, le futur EADS, Air France, etc.) et en faisant bénéficier les entreprises privées d’exonérations massives de cotisations sociales lors de la mise en œuvre des 35 heures.

Le mandat de Hollande a été aussi un tournant sur le maintien de l’ordre, les manifestants étant systématiquement matraqués à partir de 2014, et sur l’immigration. Rappelons-nous de la pauvre Leonarda Dibrani, enfant de 15 ans arrêtée par la police à la sortie de son autobus scolaire en 2013 pour l’expulser au Kosovo, avant que, vu le tollé médiatique, François Hollande tente de reculer en l’autorisant elle seule, sans sa famille, à revenir en France, une aberration contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant. Le PS a achevé également, pendant cette période, sa conversion à l’islamophobie, comme le raconte Aurélien Bellanger dans son ouvrage Les derniers jours du Parti socialiste.

Se débarrasser du PS

Pourquoi croire que le PS d’aujourd’hui fera différemment ? Par quel miracle ? Olivier Faure a voté absolument toutes les lois de régression sociale de François Hollande. Il a même hésité à soutenir Macron dès 2016. Il aurait été prêt à signer quasiment n’importe quel programme électoral pour assurer un nombre suffisant de députés à son parti. Pour le NFP, une soirée de négociations a d’ailleurs suffi : le PS, les programmes, il ne les applique pas, de toute manière. A terme, le but de Faure n’est pas de combattre Macron, mais de le remplacer. Il veut que le PS retrouve son rôle historique central : incarner une alternance politique acceptée par la bourgeoisie et défendant ses intérêts en prétendant le contraire.

Olivier Faure a voté absolument toutes les lois de régression sociale de François Hollande. Il a même hésité à soutenir Macron dès 2016. Il aurait été prêt à signer quasiment n’importe quel programme électoral pour assurer un nombre suffisant de députés à son parti.

Ce qui est peut-être encore pire pour l’avenir, c’est que la matrice du Parti socialiste est celle à laquelle toute formation de gauche qui vise le pouvoir a la tentation de s’adapter. À Frustration, notre désaccord le plus fort avec Jean-Luc Mélenchon concerne les alliances qu’il noue épisodiquement avec le Parti socialiste pour des raisons électorales. Cette stratégie fonctionne de ce point de vue : la FI a désormais 71 députés. Mais le revers de la médaille, c’est que le Parti socialiste en a quant à lui 65, alors qu’à l’issue du mandat de Hollande il était passé en cinq ans de 280 députés à seulement 30. La FI a largement contribué à faire renaître le PS, avec la Nupes puis le NFP, alors que l’occasion historique de s’en débarrasser était peut-être à portée de main.

Il est souhaitable d’isoler le PS et de peu à peu le réduire à néant. Non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local : rappelons qu’il contrôle cinq régions. Il va y avoir du boulot pour s’en débarrasser. De nombreux militants ne sont pas convaincus de cette nécessité, pensant sincèrement que ce parti, ou au moins certains de ses dirigeants, peuvent changer, faire évoluer leurs positions vers plus de radicalité, tellement la situation sociale catastrophique d’aujourd’hui l’exige. Pourtant, depuis maintenant quarante ans, ça n’a jamais été le cas. Chaque programme présidentiel du PS est plus à droite que le précédent (je me suis infligé la lecture de celui d’Anne Hidalgo pour le vérifier), les courants de gauche au sein du PS ont constamment occupé une position marginale, et le programme porté par le NFP ne traduit pas un durcissement des positions du PS, mais bien un assouplissement des ambitions initiales de La France Insoumise.

La FI a largement contribué à faire renaître le PS, avec la Nupes puis le NFP, alors que l’occasion historique de s’en débarrasser était peut-être à portée de main.

La composition du futur gouvernement pourrait offrir une opportunité de clarification, notamment si le PS y joue un rôle. La fragilité intrinsèque d’une coalition hétérogène, minée par des dissensions internes et dépourvue de légitimité populaire, la rendra particulièrement vulnérable face à un mouvement social structuré, pérenne et offensif. C’est là que réside l’enjeu crucial : quel que soit le caractère disparate de la future équipe dirigeante ou le nombre de figures estampillées « de gauche » en son sein, il faudra agir sans délai pour la contrer. Les syndicats ont déjà amorcé cette dynamique, et il s’agit de la renforcer en multipliant les grèves et les actions collectives, notamment contre les directions d’entreprises, afin d’exercer une pression constante sur le véritable pouvoir tout en construisant une alternative collective, autonome et affranchie des partis politiques.

Guillaume Etievant

Crédit Photo : François Hollande en 2014 – Kremlin.ru, CC BY 3.0 via Wikimedia Commons

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