Édition du 15 avril 2025

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Europe

Allemagne : la coalition CDU/SPD acte un programme militariste, antisocial et xénophobe

Ce mercredi 9 avril a été révélé l’accord de coalition entre la CDU, la CSU et le SPD, fruit de plusieurs semaines de négociations. Face à la crise politique et économique que traverse actuellement l’Allemagne les deux partis historiques tentent d’y répondre par un durcissement autoritaire, mêlant course aux armements, offensive anti-migratoire et attaques néolibérales.

9 avril 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Allemagne-la-coalition-CDU-SPD-acte-un-programme-militariste-antisocial-et-xenophobe

Ce mercredi 9 avril à 15h, l’accord de coalition entre les trois futurs partis de gouvernement, CDU, CSU et SPD, a été présenté en conférence de presse par les quatre dirigeants politiques de ces partis : Friedrich Merz (CDU), Markus Söder (CSU), Lars Klingbeil et Saskia Esken (tous deux SPD). Le sourire aux lèvres, ces anciens rivaux politiques ont présenté les lignes directrices de leur future gouvernance. Mais celles-ci sont loin d’être réjouissantes : à la profonde crise politique et économique que traverse actuellement l’Allemagne, les deux partis institutionnels tentent de répondre par un durcissement autoritaire sans précédent. Loin de nous surprendre, comme l’a prétendu Merz lors de son discours, le contenu de cet accord de coalition est un mélange de mesures néolibérales et autoritaires aux airs de déjà vu, en pleine continuité avec les tendances internationales à l’œuvre.

Une offensive mêlant militarisme, autoritarisme et xénophobie

Au fondement de l’ensemble du projet gouvernemental réside la volonté de « rendre à l’Allemagne sa force ». Cette force est au sens le plus littéral la puissance militaire : suivant les annonces choc des derniers mois concernant un investissement de 1000 milliards dans l’armée et les infrastructures, l’accord de coalition prévoit un plan pluriannuel de renforcement de la Bundeswehr, dont les modalités ne sont toutefois pas encore détaillées.

À cet investissement massif s’ajoute toutefois une nouvelle mesure : l’instauration d’un service militaire sur le modèle suédois, sur la base du volontariat. S’inscrivant dans une tendance générale de retour du service militaire en Europe, cette mesure tente de répondre aux difficultés de recrutement de l’armée en stimulant l’enrôlement de la jeunesse. Approfondissant la militarisation de la société, l’existence de ce dispositif est un premier pas qui pourrait conduire dans le futur à un service militaire obligatoire, si les volontaires se révélaient trop peu nombreux.

Le futur gouvernement ne s’attache pas seulement à « renforcer » l’Allemagne face à ses ennemis extérieurs, mais aussi face aux ennemis intérieurs. Revendiquant une politique de « tolérance zéro » face aux « ennemis de la démocratie », parmi lesquels sont cités pêle-mêle l’extrême-droite, l’islamisme et l’extrême-gauche, la coalition revendique un accroissement des moyens de répression internes de l’État, que ce soit par un accroissement des financements, par une plus grande licence dans l’usage de données personnelles et biométriques ou dans l’usage de l’intelligence artificielle. Une cible privilégiée de ce saut répressif sera le mouvement en solidarité avec la Palestine, alors que celui-ci a déjà subi une criminalisation inouïe depuis deux ans en Allemagne.

Ces moyens de répression seront également le principal outil d’une offensive xénophobe sans précédent en Allemagne. La CDU de Merz s’était illustrée durant la campagne électorale par un discours très proche de celui de l’AfD sur l’immigration illégale en Allemagne. L’accord de coalition prépare à une lutte sans merci contre les étrangers n’ayant pas pu obtenir le droit d’asile, à travers une véritable « offensive de rapatriements ». Fin des programmes d’accueil humanitaire dans des pays comme l’Afghanistan, accélération des procédures de demande d’asile, facilitation des procédures d’expulsions, augmentation du nombre de pays d’origine considérés comme « sûrs » et pour lesquels le rapatriement est donc autorisé, limitation des possibilités de regroupement familial : la batterie de mesures prévues promet une véritable chasse aux immigrés clandestins qui fait tristement écho aux attaques xénophobes battant leur plein outre-atlantique. Si le SPD a hypocritement fait insérer dans le texte que l’Allemagne veut rester un pays « ouvert au monde » et « accueillant pour les migrants », le parti de centre-gauche a de fait souscrit à une offensive xénophobe qui ne ferait pas rougir l’AfD.

Un programme néolibéral et anti-ouvrier pour redresser la puissance économique allemande

Le début de la guerre en Ukraine et la hausse brutale des prix de l’énergie qui a suivi ont plongé l’économie allemande dans la tourmente. En récession depuis deux ans, l’Allemagne est atteinte en son cœur industriel, la chimie, l’ingénierie et l’automobile, qui avait pu prospérer au début du XXIe siècle grâce à l’accès au gaz russe bon marché. Redonner à l’Allemagne sa force signifie donc pour la nouvelle coalition revigorer ces secteurs, dans lesquels s’enchaînent ces derniers mois les plans de licenciements. Pour ce faire, la recette trouvée brille par son manque d’originalité : une politique de l’offre des plus classiques, avec des baisses d’impôts, tout particulièrement de l’impôt sur les sociétés et des impôts sur l’énergie, associées à des subventions aux entreprises. À cette politique s’ajoutent certaines incitations à l’achat, notamment pour stimuler la demande de véhicules électriques, segment sur lequel les constructeurs allemands sont peu compétitifs.

Outre ces mesures, la coalition promet une véritable offensive « anti-bureaucratique » dans la plus pure tradition néolibérale : le programme se fixe l’objectif d’une réduction des coûts de fonctionnement de la bureaucratie de 25 %, ce qui passera par la suppression et la simplification d’une multitude de procédures. La mesure phare de cette simplification : la suspension de la loi allemande sur les chaînes d’approvisionnement (Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz), à savoir une loi qui impose aux entreprises une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme dans ses chaînes d’approvisionnement. Cette loi devra être remplacée par une nouvelle loi plus « simple » et « efficace », mais, avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, toutes les obligations des entreprises concernant les droits humains des travailleurs ne seront plus sanctionnées.

À cette attaque des droits des travailleurs s’ajoute une mise au travail forcée des inactifs, à travers la suppression du Bürgergeld (l’équivalent allemand du RSA) et l’instauration d’une nouvelle aide bien plus restrictive : limitée aux personnes cherchant activement un emploi, cette allocation sera suspendue en cas de refus répété d’offres d’emplois. À l’image de ce qu’ont imposé d’autres pays, comme l’Italie de Meloni, cette mesure a pour but de fournir aux patrons une main d’œuvre disponible contrainte d’accepter n’importe quel salaire et n’importe quelles conditions de travail.

La simplification « bureaucratique » a donc pour but principal de lever les protections juridiques les plus élémentaires des travailleurs, afin de faciliter l’exploitation à outrance de la main d’œuvre par le capital allemand. Contre la séduction des discours chauvinistes et nationalistes, il faut bien avoir conscience du caractère anti-ouvrier de la politique de « retour de l’Allemagne a sa grandeur économique ». Celle-ci ne pourra en effet être mise en œuvre que par une intensification de l’exploitation des travailleurs, condition de la rentabilité du capital allemand et de la compétitivité des exportations allemandes sur le marché mondial.

Une crise politique encore ouverte, dont l’issue dépendra de la lutte des classes

Alors que le tournant droitier que Merz a impulsé à la CDU a pu susciter des controverses dans ses propres rangs, en provenance notamment de l’ancienne chancelière Merkel, sa politique xénophobe et sécuritaire semble désormais faire l’unanimité : ayant pu obtenir quelques concessions, comme l’investissement dans les infrastructures ou une hausse du SMIC horaire à 15 euros (ce qui ne fait en vérité que rattraper l’inflation), le SPD s’accommode sans scrupules du projet de chasse aux immigrés porté par son partenaire de coalition. Si, en tant que parti dirigeant du gouvernement précédent, le SPD avait déjà initié le réarmement de l’Allemagne tout en menant une politique extrêmement répressive à l’égard des militants pro-palestiniens, cette nouvelle coalition avec la CDU de Merz signale un virement à droite de l’ensemble de la classe politique allemande.

Alors que la nouvelle coalition promet de fournir une réponse « ambitieuse » à la crise dans laquelle s’enlise l’Allemagne depuis quelques années, cette réponse est en vérité loin de pouvoir résoudre l’ensemble des contradictions du pays, que ce soit sur le plan économique ou politique. Disposant d’une majorité relativement faible au Parlement, le futur gouvernement n’a pu imposer la levée relative du frein à l’endettement que grâce au vote antidémocratique de l’ancien Parlement. De plus, dans un contexte de crise économique mondiale accentuée par la politique tarifaire de Trump, le retour à l’ancienne compétitivité de l’industrie allemande semble être un véritable mirage.

Une seule chose est certaine : pour défendre sa rentabilité, le capital allemand en crise va s’attaquer aux droits des travailleurs les plus élémentaires et tenter d’accroître leur exploitation. Mais face à ces attaques et face au durcissement autoritaire que prévoit le gouvernement, les travailleurs allemands pourraient bien sortir de leur passivité pour défendre leurs droits par la lutte. Contre les bureaucraties syndicales qui jouent à la conciliation de classe en soutenant la course aux armements, il est essentiel pour les travailleurs allemands de s’opposer tout autant à la politique militariste qu’à la politique xénophobe de leur futur gouvernement, car ces offensives ne sont que le revers de la médaille des attaques qu’eux-mêmes vont subir dans les prochaines années. Cette nouvelle coalition entre SPD et CDU n’est en réalité qu’une réponse extrêmement précaire à la crise politique allemande, dont le succès est loin d’être certain : c’est en dernière instance la lutte des classes qui va déterminer l’issue de la crise en cours.

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