Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

41ème Congrès du PSOE

Le resserrement des rangs autour du leader, n’endiguera pas la droite

Le récent congrès du PSOE s’est déroulé dans un contexte international et géopolitique de plus en plus instable, d’une part, et dans le contexte de centralité médiatique et judiciaire de corruption qui affecte le soi-disant sanchisme, en particulier le numéro 2 de ce parti, José Luis Ábalos, d’autre part.

7 décembre 2024 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/con-el-cierre-de-filas-en-torno-al-lider-no-se-para-a-la-derecha/

Dans ces conditions, le développement de ce rassemblement parlementaire à Séville était prévisible : démonstration maximale de resserrement des rangs autour du leader charismatique et de son Manuel de résistance, ainsi que réaffirmation de son engagement à continuer à jouer la carte du chantage (« la droite et l’extrême droite arrivent ») afin de discipliner ses partenaires au gouvernement et au parlement.

De cette manière, Sánchez cherche à atteindre son objectif de rester à la Moncloa jusqu’en 2027 et, malgré les mauvais présages des urnes, de remporter les prochaines élections. Comme on pouvait s’y attendre, il n’y a pas non plus eu de tentative d’autocritique par rapport à de nombreuses politiques développées au cours de ces années, pas même pour leur coresponsabilité dans l’inaction initiale face à la catastrophe tragique de la DANA [1] (Depresion Aislada en Niveles Altos), malgré le fait que les reproches soient venus de secteurs très différents, y compris de certains de ses partenaires, tels que Compromís et Podemos.

Rhétorique sociale-libérale, protectionnisme précaire et euro-atlantisme

Si nous prêtons attention au document-cadre de la Conférence, intitulé « Espagne 2030. Un socialisme qui avance, une Espagne qui dirige », il est juste de reconnaître quelques signes d’une rhétorique plus radicale contre les « méga-riches » en défense de « la classe moyenne et ouvrière », mais on voit peu de nouveautés programmatiques. En effet, le document commence par annoncer quatre défis majeurs à l’horizon 2030, ce qui semble bien loin en ces temps d’accélération réactionnaire : développer un modèle de croissance différent et faire face à l’urgence climatique (il faudrait expliquer comment le premier et le second peuvent être compatibles...) ; faire face à la transformation de l’ordre mondial et, enfin, répondre à la « montée des valeurs autoritaires à l’échelle internationale ».

Il s’en est suivi la tentative de magnifier les « choses impossibles que nous avons accomplies » dans la dernière étape (avec la réforme du travail, malgré ses limites, en premier lieu) et l’annonce des « choses impossibles que nous réaliserons » (avec le projet – difficilement viable avec ses alliés PNV et Junts – de protection constitutionnelle des conquêtes sociales), puis la définition d’un projet pour le pays avec dix objectifs : le premier d’entre eux (« Une économie plus compétitive, équitable et durable ») fixe déjà le cadre de ceux qui seront présentés plus loin : réduction du temps de travail, éducation de qualité, logement pour tous, lutte contre les inégalités sous toutes leurs formes, État autonome renforcé, démocratie pleine qui résiste à la désinformation, vocation en direction du projet européen, soutien à la (fausse) « solution de deux États en Israël et en Palestine » et le renforcement de « l’autonomie stratégique » de l’UE en matière de défense avec l’alibi de la guerre en Ukraine.

Parallèlement à la mesure la plus répandue de réduction du temps de travail, dont le contenu concret reste à apprécier, parmi les développements spécifiques qui pourraient attirer l’attention, on peut citer la création d’un « siège citoyen » au Congrès et au Sénat afin que des représentants de la société civile puissent intervenir ; le droit de vote dès l’âge de 16 ans et la convocation de conventions citoyennes délibératives ; l’interdiction de la conversion de logements résidentiels en logements touristiques et saisonniers, la création d’une société d’État pour la création de logements sociaux et l’exigence que les hypothèques et les loyers n’excèdent pas 30 % des salaires ; la réforme du système de financement régional (avec une formulation suffisamment ambiguë pour satisfaire toutes les baronnies...) ; ou enfin, l’abrogation de l’Accord de 1979 avec l’Église catholique en matière culturelle et éducative…

Certaines de ces promesses sonnent déjà comme une simple répétition de celles incluses dans les Congrès précédents, tandis que le peu d’attention accordée à la (nécro)politique migratoire (seulement la nécessité d’un « modèle d’immigration qui garantisse un flux constant ») ou l’absence d’une politique fiscale allant au-delà d’une référence générique au fait que les grandes entreprises seront obligées (comment ?) de répartir une partie des bénéfices scandaleux réalisés au cours des dernières années. Sans parler de l’abrogation toujours repoussée de la loi bâillon et de la loi sur les secrets officiels ; ou de la réforme démocratique et urgente du système judiciaire (où est cette annonce de la régénération démocratique ?) ; ou le manque de précision de ce que peut signifier « se plonger dans le processus de fédéralisation de l’État » ; ou, last but not least, le silence total sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, confirmant une fois de plus sa complicité avec le régime répressif marocain.

Cependant, l’intérêt que ce document-cadre a pu avoir au Congrès n’a fait que dépasser le triomphe des féministes dites classiques avec leur amendement visant à empêcher l’inclusion de Q+ aux côtés des LGBTI. Chose qui a été réalisée grâce au lobby mené par l’ancienne vice-présidente Carmen Calvo, et qui a finalement été approuvée en séance plénière avec un très faible pourcentage de participation. Une décision qui représente un grave pas en arrière dans la reconnaissance de la diversité, contribue à promouvoir la transphobie, enhardit la droite dans sa guerre culturelle et éloigne le PSOE d’une position qui fait l’objet d’un large consensus dans la majeure partie du mouvement féministe ; surtout, parmi ses nouvelles générations.

En bref, Sánchez a profité du Congrès pour exiger la loyauté des militant-es face au harcèlement judiciaire, politique et médiatique qu’il subit, surtout depuis l’approbation de la loi d’amnistie (voulant oublier qu’il n’a pas protesté et qu’il a même été complice de celle qui, dans le passé, a affecté la souveraineté catalane et Podemos). En même temps, il propose un projet de gouvernement suffisamment ambigu sur les questions fondamentales auxquelles il est confronté avec le PP pour tenter d’attirer une partie de son électorat et même rétablir avec ce parti un système bipartite à partir d’un sens de l’État. Ce n’est guère une tâche réalisable, même comme nous le voyons face à l’urgence migratoire aux îles Canaries, puisque le PP continue d’être sous la pression non seulement de Vox (désireux de revendiquer sans complexe l’héritage de la dictature franquiste à l’approche du 50e anniversaire de la mort de son fondateur), mais aussi de la présidente de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, tous deux renforcés par la victoire électorale de Trump. De plus, compte tenu de l’hétérogénéité de ses alliés au Parlement, il n’est pas non plus prévisible que certaines des lois et mesures progressistes promises, à commencer par leur inclusion dans le budget, se concrétisent.

Ainsi, nous allons nous retrouver avec un PSOE qui va continuer sur la voie du réformisme sans réformes structurelles remettant en cause les intérêts du grand capital et les bases du régime monarchique dont ce même parti a été et est un pilier fondamental. Ce n’est pas par cette voie qu’il pourra arrêter la menace réelle du bloc réactionnaire ni, malgré les bonnes données macroéconomiques, atténuer l’aggravation des inégalités. Il n’est possible, dans les meilleures hypothèses, que d’essayer de neutraliser le conflit social en répondant à certaines revendications, comme dans le cas de la lutte pour un logement décent ; mais cela n’arrivera pas si la taxe sur les locations saisonnières ne peut même pas être votée par le Parlement.

Cette impasse stratégique dans laquelle s’est engagé le PSOE n’est pas sans rapport avec l’évolution qui a longtemps caractérisé un social-libéralisme atlantiste qui tend à perdre de sa centralité dans de nombreux pays, comme on le voit maintenant en France et très probablement en Allemagne après les élections législatives de février. Dans ce contexte, dans le cas de l’Espagne, la résilience du gouvernement apparaît de plus en plus comme une anomalie grâce au fait qu’il a réussi à annuler le potentiel de rupture des partis qui ont émergé à sa gauche – Podemos puis Sumar – et, en même temps, à maintenir une politique de pactes avec les forces non étatiques, principalement au Pays basque et en Catalogne, en échange de modestes concessions pratiques.

Cependant, cette politique de la peur face au mal plus grand ne durera pas éternellement à une époque où l’agitation sociale et la désaffection politique, maintenant accrues par les conséquences de la catastrophe de la DANA, continueront à augmenter. Ce ne sont pas les politiques de ce gouvernement qui empêcheront le bloc réactionnaire de capitaliser sur la propagation de l’antipolitique parmi de nouveaux secteurs de l’électorat.

Peur de la démocratie interne

Sur le plan organisationnel, la consolidation d’un modèle de parti basé sur un césarisme de plus en plus renforcé autour du leader maxima est également évidente, comme l’a déjà critiqué l’un des rares délégués de la Gauche socialiste à avoir assisté au congrès, Manuel de la Rocha Rubí. Comme il l’a lui-même vérifié, il y a eu une démonstration claire de la « peur de la démocratie », qui s’est manifestée même dans le « refus de débattre de la gestion au Congrès, en violation d’un principe démocratique fondamental et d’un article clé de nos statuts », et une subordination totale du parti au gouvernement lui-même a été installée ; ce qui a été rendu encore plus visible avec le nombre de ministres qui font partie de la nouvelle Commission exécutive fédérale ; définitivement, conclut-il, « la position du Parti est fixée par le gouvernement et non l’inverse, sans même qu’il y ait possibilité d’une influence mutuelle ».

Le cas de Madrid, avec la démission forcée de Juan Lobato en tant que secrétaire général du PSM, quelle que soit l’opinion que l’on a sur son comportement vis-à-vis la compagne de Díaz Ayuso, est un autre exemple clair de ces pratiques, comme l’a critiqué à juste titre Izquierda Socialista de Madrid (« Les formes comptent ! ») face à l’interdiction des réunions pour monter quelque candidature que ce soit contre le parti au pouvoir, dirigé par l’actuel ministre Oscar López.

Ainsi, certainement, en vertu de la maxime de faire de la nécessité une vertu, le triomphe d’un modèle de leadership plébiscitaire qui n’aspire qu’à rester au gouvernement en faisant quelques concessions à ses alliés aux investitures dans des domaines qui n’affectent pas le noyau dur de l’économie politique qui est dicté par l’UE, principalement à partir de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.

Vide à gauche

À ces sombres perspectives s’ajoute l’absence tragique de forces politiques à gauche du PSOE capables de construire une alternative aux politiques de division des classes populaires pratiquées par la droite, mais aussi au social-libéralisme en déclin de Sánchez. Ni Sumar – de plus en plus adapté aux limites fixées par la Moncloa et l’UE – ni Podemos – malgré ses efforts pour apparaître aujourd’hui hypercritique à l’égard d’un PSOE avec lequel il continue pourtant d’aspirer à gouverner – n’ont la crédibilité d’être des références dans la tâche ardue de recomposer une gauche prête à tirer les leçons du cycle ouvert par le 15M et les processus catalans afin d’offrir une voie de refondation qui ne soit pas subordonnée à la politique institutionnelle.

Sur le plan plus social, les directions des grands syndicats, CCOO et UGT, subordonnées à leur tour à ce que dicte le gouvernement, n’apparaissent pas non plus aujourd’hui comme le cadre de référence d’une recomposition d’un mouvement ouvrier prêt à affronter un patronat et un grand capital de plus en plus enclins à favoriser l’arrivée du bloc réactionnaire au gouvernement.

Dans l’ensemble, les mobilisations pour un logement décent sur pratiquement tout le territoire de l’État espagnol – véritables expressions d’une lutte de classe qui s’attaque directement au capitalisme rentier – ainsi que l’admirable réponse solidaire du peuple valencien et d’autres parties de l’État face à la catastrophe éco-sociale de la DANA, ainsi que les différentes formes de résistance qui ont lieu dans différents secteurs – tels que la santé et l’éducation ou en solidarité avec la Palestine, montrent des symptômes d’espoir qu’un nouveau cycle de mobilisations d’en bas et de gauche puisse être rouvert dans la période à venir. C’est de ces expériences qu’il nous faudra tirer les leçons pour chercher de nouvelles formes de confluence dans les luttes et les débats d’acteurs collectifs renouvelés ; et avec eux, générer de nouvelles initiatives qui nous permettront de construire un front politique et social commun, capable de faire face à la menace réactionnaire et d’accumuler un potentiel contre-hégémonique à partir des quartiers et des lieux de travail. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons remettre au centre la nécessité d’une stratégie de transition éco-sociale et de rupture démocratique avec ce régime et avec le bloc de pouvoir qui le soutient.

Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d’aide financière à l’investissement.


[1Une DANA se produit lorsqu’une masse d’air froid en altitude reste isolée dans l’atmosphère tandis qu’en surface l’air est plus chaud et plus humide. Ce contraste entre température provoque une instabilité atmosphérique importante, ce qui peut entrainer des précipitations intenses et soudaines, souvent sous forme de violents orages ou de pluies torrentielles – Chat GPT

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Europe

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...