Édition du 17 décembre 2024

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Élections présidentielles en France

France. « Effondrement à droite, menace de l’extrême droite, espoir pour une alternative à gauche »

Comme en 2017, le second tour de l’élection présidentielle de 2022 opposera Marine Le Pen à Emmanuel Macron. Il aura obtenu presque 27,85%, Le Pen 23,15% et Mélenchon 21,95% (pourcentages sur les voix exprimées) [1].

13 avril 2022 | tiré du site alencontre.org

Mais la victoire de Macron au deuxième tour apparaît moins automatique qu’en 2017 (où il avait obtenu 66% des voix au 2e tour) et ce nouveau duel identique ne doit pas masquer les différences profondes de la situation électorale à l’issue du premier tour.

D’abord, l’abstention fait un bon de progression de plus de 4% avec 26,3% des inscrits. On assiste depuis 2007 à une augmentation régulière des abstentions, pour l’élection présidentielle comme pour les élections législatives qui suivent (plus de 50% en 2017). Les jeunes (de 18 à 35 ans) se sont abstenus à plus de 40% (29% il y a cinq ans) et les ouvriers à plus de 33% (29% il y a cinq ans). L’abstention représente grosso modo un quart des inscrits.

A côté de cela, ces élections marquent un nouvel effondrement des deux partis traditionnels de la Ve République, le PS et le parti gaulliste Les Républicains (LR). A eux deux, ils ne regroupent que 6,5% des voix exprimées. En 2017, à l’issue du quinquennat de François Hollande, le PS avait perdu presque les 4/5 de ses voix. Là, en 2022, la candidate LR (Valérie Pécresse), avec 4,78% aura perdu les 3/4 des voix obtenues en 2017.

En dix ans et deux élections présidentielles, ces deux partis socles se sont effondrés. Le système présidentiel vient de dévorer ceux qui l’ont engendré. L’électorat de Macron avait déjà bénéficié en 2017 de l’apport d’une majeure partie de l’électorat traditionnel du PS. En 2022, la majeure partie de celui-ci a voté Mélenchon ou Macron et l’électorat gaulliste s’est réparti majoritairement vers Macron mais aussi vers Eric Zemmour (Reconquête).

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Deux exemples illustrent ces glissements.

Celui de Paris, ville majoritairement PS depuis 20 ans, Hollande y recueillait presque 35% en 2012. Là, la candidate du PS, Anne Hidalgo, elle-même maire de Paris, recueille 2,17% des voix quand Macron rassemble 35% et Mélenchon 30%.

Autre exemple, Neuilly sur Seine, banlieue chic de la capitale, bastion historique du parti gaulliste et de la droite traditionnelle depuis la Libération, dont Nicolas Sarkozy fut maire pendant vingt ans. En 2017, François Fillon, le candidat gaulliste, recueillait 64,92% des voix et Macron 23%. En 2022, Macron double ses voix, frôlant la majorité absolue, Zemmour recueille presque 19% et Valérie Pécresse seulement 15% des voix.

Ces deux exemples illustrent la triple polarisation inédite apparue dans cette élection, asséchant les autres candidatures avec, de part et d’autre de Macron, l’extrême droite et Jean-Luc Mélenchon, un candidat déclaré de la gauche radicale. Tant Macron que Le Pen et Mélenchon seront apparus comme « le vote utile » pour une catégorie de l’électorat, marginalisant sous les 10% ou même les 5% les neuf autres candidatures.

Macron s’est nettement consolidé comme le candidat du bloc bourgeois. Le MEDEF, l’organisation du patronat, a comme en 2017 affirmé en 2022 son soutien à Macron qui suit en tous points les orientations néolibérales et dont les nouveaux points de programme apparus satisfont les groupes capitalistes, que ce soient sur les baisses de prélèvements, les aides à l’entreprise, ou la poursuite des offensives libérales visant la santé et l’Education nationale.

Macron s’est consolidé vis-à-vis de l’électorat réactionnaire depuis 2017, en se montrant capable de s’opposer aux mobilisations des gilets jaunes et à celles des jeunes des quartiers populaires contre les violences policières, à celle des populations des Antilles, de la Kanaky et de la Corse, s’affirmant comme défenseur des forces de répression. Aussi, face à la crise sans fin du PS comme des LR, sa candidature à ce poste est apparue la plus fiable. Il en a résulté un clair renforcement de son électorat par un apport de voix venant des LR, tout en gardant l’essentiel des voix venant de la social-démocratie parmi les classes supérieures du salariat et les retraités aisés, apparaissant comme un gage de stabilité et même comme un rempart vis-à-vis de l’extrême droite. Dès lors, y compris dans des électorats votant traditionnellement pour la droite ou la social-démocratie dans d’autres consultations (municipales ou régionales), Macron est apparu, dans le cadre du système hyper-présidentiel français, comme un garant de sécurité, au-delà des classes possédantes, pour les couches sociales épargnées, pour l’essentiel, par la précarité et les difficultés du quotidien. Ce besoin de stabilité a été évidemment renforcé par la pandémie et la guerre en Ukraine. La spécificité du système électoral français, où la gestion du système gouvernemental est le fait exclusif d’un individu et non d’une représentation proportionnelle dans une assemblée, aura entraîné l’écroulement des partis qui ont construit ce système ces soixante dernières années.

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L’extrême droite a été spectaculairement renforcée dans cette campagne électorale avec la consolidation du Rassemblement national (RN) et l’irruption de la candidature d’Eric Zemmour. Macron et les principaux médias ont largement cultivé les thèmes identitaires et sécuritaires dans les mois précédant l’élection présidentielle. Tout comme François Mitterrand qui avait fait de Jean-Marie Le Pen son « meilleur ennemi » dans les années 1980, Macron a cultivé l’idée d’un nouveau duel inévitable avec Marine Le Pen, se présentant comme rempart vis-à-vis de l’extrême droite, et pensant bénéficier une nouvelle fois du fiasco qu’avait connu la candidate du RN lors du second tour de 2017. Aussi, depuis longtemps, des personnalités d’extrême-droite cherchaient à sortir de ce piège en avançant le projet d’une recomposition de la droite de la droite, en construisant une alliance de l’aile la plus réactionnaire des LR avec des courants de l’extrême droite, visant à prolonger l’union réalisée lors des manifestations anti LGBTI+ de La Manif pour tous contre le mariage homosexuel et la PMA (procréation médicalement assistée), alliance notamment avec les proches de François Fillon. Construire donc une alternative, cultivant l’homophobie et l’islamophobie ainsi qu’un culte décomplexé des valeurs traditionalistes françaises, et accueillant sans problème les courants néonazis que Le Pen tient à l’écart par souci de respectabilité.

De cet alliage, avec le soutien du groupe de médias de Vincent Bolloré et celui de Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, est sortie la campagne d’un journaliste polémiste de la presse de droite venant de la droite gaulliste, Eric Zemmour, diffusant sans complexe depuis des années les idées les plus réactionnaires, condamné plusieurs fois pour ses propos racistes et islamophobes, débordant donc Le Pen sur sa droite, mais tendant la main aux courants les plus fascisants des LR pour une recomposition politique. Il aura eu son heure de gloire par une omniprésence médiatique à l’automne 2021, avançant l’idée qu’une troisième candidature de Marine Le Pen conduirait à un nouvel échec. Finalement, c’est le retour en boomerang de cet argument qui a marginalisé Zemmour, le vote Le Pen apparaissant au contraire, pour l’électorat lepéniste traditionnel, comme le seul moyen de faire chuter Macron. C’est cet argument du « vote utile » qui aura limité à 7% l’impact électoral de Zemmour et aussi celui du troisième candidat d’extrême droite, Nicolas Dupont-Aignan.

Ce projet se solde donc pour l’instant par un échec. Mais, malheureusement, ce premier tour aura confirmé le vote Le Pen comme le premier vote exprimé parmi les employés et les ouvriers et sa forte présence dans les milieux populaires, notamment dans le Nord, l’Est et le pourtour méditerranéen. D’ailleurs, pour essayer de renforcer son poids électoral dans l’électorat populaire, elle aura mis l’accent sur son image de « seule candidate pouvant battre Macron » en développant un discours insistant moins sur les questions sécuritaires ou d’immigration que sur la question de l’augmentation du pouvoir d’achat par une baisse de la fiscalité et des cotisations sociales sur les bas salaires. Tout en cultivant cette image populaire, elle aura tout fait pour apparaître crédible vis-à-vis du MEDEF et totalement compatible avec les cadres de l’Union européenne.

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La nouveauté de ce premier tour aura été également le double mouvement de l’effacement quasi total du PS du panorama présidentiel et la consolidation électorale de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise, Union populaire pour la campagne électorale). Là aussi, ce troisième « vote utile » aura siphonné les autres candidatures à gauche, non seulement celle d’Anne Hidalgo, candidate du PS ramenée à 1,75%, mais aussi celles d’EELV (Europe Ecologie Les Verts), du Parti communiste français (PCF), du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et de Lutte ouvrière (LO). Dans des villes et des quartiers populaires ou aux Antilles, beaucoup se seront emparés du vote Mélenchon pour faire barrage à l’extrême droite dès le 1er tour et éviter de devoir une nouvelle fois voter Macron pour éliminer la menace de Le Pen. Mais le vote Mélenchon a aussi été celui de la jeunesse des quartiers confrontée au racisme, aux discriminations et aux violences policières. Ainsi, en région parisienne, il aura conquis une première place dans l’ancienne ceinture rouge, perdue par le PCF depuis les années 2000, dépassant les 50% à Montreuil, La Courneuve, Aubervilliers, et totalisant près de 50% dans le département populaire de Seine Saint-Denis. De même, l’évolution de son discours sur le nucléaire et la place du combat pour le climat aura permis que son vote apparaisse aussi comme un vote pour l’action contre les changements climatiques et premier vote chez les jeunes de 18 à 35 ans. Tout cela aura dominé, effaçant pour beaucoup sa sympathie affichée pour Poutine, notamment lors des massacres en Syrie, et sa position ambiguë sur l’agression russe en Ukraine. Ainsi, les semaines précédant le scrutin, une polarisation croissante s’est opérée à gauche pour renforcer le vote Mélenchon et rendre possible son accession au second tour.

Mais, en prenant les habits présidentiels, Mélenchon aura usé abusivement de la personnalisation de cette élection et de sa fonction, personnalisation correspondant au caractère « gazeux » de son mouvement, La France Insoumise (LFI), réseau d’action sans aucune structuration démocratique. Mélenchon aura lui-même, pour cette campagne, construit une coexistence ambivalente entre cette personnalisation et la mise sur pied autour de lui d’un large collectif, le « Parlement de l’Union populaire », visant à jouer le rôle de passerelle entre le candidat et les mouvements sociaux. En cela, il réitérait l’attitude du PCF à la fin des années 1990, cherchant à s’affirmer comme le porte-parole du mouvement social dans les institutions en intégrant sur ses listes des porte-parole du mouvement syndical et altermondialiste. De même, la France insoumise a voulu, depuis le début de la campagne, imposer le vote Mélenchon comme le seul vote utile à gauche, en ciblant explicitement les autres candidatures de gauche, alors que lui-même aura annoncé sa propre candidature depuis novembre 2020 sans jamais chercher à mener le moindre débat avec les autres forces de gauche et d’extrême gauche. Dès lors, l’échec de Mélenchon à quelques encablures du deuxième tour est aussi celui d’une politique hégémoniste et n’est pas en premier lieu de la responsabilité des autres mouvements de gauche présents dans cette élection.

Néanmoins, son échec et la division des forces de gauche qui pourtant rassemblent, additionnées, un nombre de voix comparable à celui de l’extrême droite (31,94% pour les forces de gauche face aux 32,28% de l’’extrême droite) posent désormais sur la place publique un problème politique. Des forces sociales, des courants militants, cherchent à surpasser les échecs et les trahisons de la gauche social-démocrate et sa soumission au libéralisme capitaliste. Le débat sur cet échec et sur les axes d’une nécessaire mobilisation politique et sociale face aux dégâts du capitalisme n’a pas eu lieu. Le refus de se résigner à cette situation était un des messages essentiels de Philippe Poutou et de la campagne du NPA face à l’urgence anticapitaliste. Aussi, le succès de Mélenchon prouve la réalité et la vigueur de ces forces, mais ses limites viennent aussi de l’absence de volonté de convergences et d’actions communes. Malheureusement, pour l’instant, au-delà du second tour de l’élection présidentielle, il semble évident pour la France insoumise que le seul avenir politique à gauche doit se faire sous la bannière de l’Union populaire, à commencer par les élections législatives de juin prochain pour lesquelles l’essentiel de leurs candidat·e·s ont d’ores et déjà été désignés afin de maintenir et d’augmenter leur groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.

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Quoi qu’il en soit, la prochaine étape est le second tour de l’élection présidentielle. Même si les premiers sondages donnent Macron vainqueur, les écarts sont bien plus étroits qu’en 2017.

Dans l’électorat populaire, certains iront rejoindre l’abstention, mais beaucoup vont mettre dans l’urne un bulletin Macron, pour faire barrage à Le Pen, comme cela a été le cas en 2017. Ce choix se fera à contrecœur même si, après avoir mené cinq ans d’attaques violentes contre les classes populaires, après avoir été le fidèle défenseur des intérêts capitalistes, Macron cherche entre les deux tours à se parer d’un langage social et d’un vernis antifasciste pour se gagner des voix à gauche, amendant même partiellement son projet de nouvelles attaques contre les retraites. Cet apport de voix venant de la gauche est, avec les abstentionnistes du premier tour, la seule réserve électorale qui lui reste pour gagner le second tour, ayant déjà gagné l’essentiel des voix venant de la droite traditionnelle. Mais beaucoup, dans les classes populaires, ne pourront pas oublier les attaques orchestrées contre les gilets jaunes, les jeunes des banlieues, les violences policières impunies, la réforme de l’assurance chômage et la promesse de nouvelles attaques contre les retraites, les cadeaux incessants aux groupes capitalistes, le mépris colonial envers les populations des Antilles, de Kanaky et de Corse.

Mais une éventuelle élection de Marine Le Pen ne serait pas anodine, malgré la façade de respectabilité dont elle a voulu se parer les dernières semaines dans le pays, se servant même de Zemmour comme faire-valoir pour manifester sa modération. Elle est l’héritière et la dépositaire de tous les courants les plus réactionnaires de l’extrême droite française, et comporte dans ses rangs les idéologues et les défenseurs des thèses racistes, xénophobes, héritière aussi des courants les plus hostiles au mouvement ouvrier, aux luttes d’émancipation des peuples. Elle représente la béquille du grand patronat français pour lui apporter son soutien lorsque les classes populaires se lèvent, descendent dans la rue, pour défendre ses droits et que l’ordre est menacé. Elle prend alors fait et cause pour les forces de répression, contre les manifestants, comme elle l’a fait lors des manifestations des gilets jaunes en novembre 2019.

Donc, en aucun cas, un bulletin Le Pen ne pourrait être une arme pour se défendre face aux attaques menées ou à venir de Macron. Au contraire, l’élection de la candidate du RN serait synonyme d’une aggravation qualitative de la situation des classes laborieuses, de divisions approfondies du camp des exploité·e·s et des opprimé·e·s, faites d’une exacerbation des discriminations et des attaques contre les classes populaires racisées, synonyme aussi de nouvelles attaques contre les droits collectifs des salarié·e·s et de leurs organisations, contre les libertés démocratiques. De même, un score élevé en sa faveur, loin d’être un avertissement pour sanctionner la politique réactionnaire de Macron, serait un encouragement supplémentaire pour celui-ci sur les chemins de sa politique ultralibérale et sécuritaire.

Dans tous les cas, même si la combativité sociale s’est largement manifestée ces dernières années en métropole et dans les Outre-mer, dans les quartiers et les entreprises, la construction politique de notre camp social pour agir et défendre un projet d’émancipation est un chantier sur les décombres de la social-démocratie. Le succès électoral de Mélenchon peut être un point d’appui s’il n’est pas synonyme d’arrogance et de volonté hégémonique et d’absence de débat. Dans tous les cas, la force affirmée de l’extrême droite et les annonces de nouvelles attaques de Macron contre les retraites et le système public de santé, la surdité et la passivité gouvernementale devant l’urgence climatique, la détérioration galopante du pouvoir d’achat montrent l’urgence de la construction, sans attendre, d’un front d’action politique commun autour des urgences de l’heure, du combat contre le capitalisme. Cette question se posera dès les prochaines semaines quel que soit le résultat du deuxième tour. (Article reçu ce 13 avril 2022)


[1] Si on rapporte les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle au nombre d’inscrits, on obtient les pourcentages suivants : abstention : 26,3%, E. Macron : 20,1%, M. Le Pen : 16,7%, J.-L. Mélenchon : 15,8%, E. Zemmour : 5,1%. (Réd.)

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