Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2019

Démocratie et présence des mouvements sociaux dans les élections fédérales

Le Parti libéral de Trudeau a réussi à gagner la possibilité de former un gouvernement minoritaire. L’ensemble de la campagne électorale a permis de voir s’escrimer les différentes partis politiques qui ne cherchaient qu’à élargir leur base électorale au mépris des enjeux et des préoccupations la majorité populaire. L’ensemble de médias ont centré leur attention sur les chefs et leur performance. Pendant ce temps, les différents mouvements sociaux ont tenté de faire entendre leur voix, en vain la plupart du temps.

Le mouvement de la jeunesse autour de la lutte aux changements climatiques, une démarche exceptionnelle à souligner.

Le mouvement de la jeunesse autour de la lutte aux changements climatiques a fait la différence dans cette campagne électorale. Les jeunes des universités, des collèges et des écoles secondaires se sont mobilisés autour du thème de l’urgence climatique pour presser le gouvernement qui sera élu à agir. Les actions de sensibilisation sur les campus, les conférences régionales et la présence hyperactive dans les médias sociaux ont fait de cette question une véritable « patate chaude » pour les différents partis politiques. Les manifestations de plus de 500 000 personnes à Montréal et de nombreuses autres dans plusieurs villes du Québec et du Canada ont empêché que cet enjeu crucial soit balayé sous le tapis. Toute cette mobilisation a contribué à discréditer le discours climatosceptique de Maxime Bernier, à démasquer le discours propétrolier d’Andrew Scheer et l’hypocrisie de Trudeau qui a du payer politiquement pour son achat d’un pipeline. Même les plates-formes vert pâle du NPD, du Parti vert et du Bloc québécois ont été questionnées.

Le message de Dominique Champagne et de Laure Waridel de faire front au niveau électoral contre le Parti conservateur portait beaucoup d’illusions, car cela revenait en fin compte (même si on appelait à voter pour les candidat-e-s ayant plus de chance de battre le candidat ou la candidate du Parti conservateur) à faire de la victoire de Trudeau un pas en avant pour la lutte climatique. C’est qui est pour le moins douteux.

Quand on veut redéfinir les bases du rapport de la société à la nature et en finir avec une économie qui la détruit, on ne peut compter que sur la mobilisation extraparlementaire la plus large et la plus déterminée, pour démontrer aux dominants leur situation de minoritaire. L’impact qu’a eu le mouvement dans le débat social et politique, c’est la force du mouvement contre les changements climatiques qui l’a créé. La démocratie de la majorité populaire, ça s’impose « Alors il faut manifester à nouveau le nombre, et il n’y pas d’autres solutions que de le reconvoquer sous sa forme brute, élémentaire : le nombre comme nombre, physiquement. Dans la rue donc. Si la multitude ne fait pas connaître sa force immédiate de multitude, ce sont les forces adverses, réactionnaires, qui l’emporteront. » [1]

Le mouvement syndical, l’interpellation des partis et leurs candidat-e-s comme principale stratégie

Les grandes centrales syndicales ont l’habitude d’élaborer leur plate-forme revendicative et elles conseillent à leurs membres d’interpeller les candidat-e-s sur les grands enjeux qu’elles pointent pour ces élections. Cette année, ces plateformes syndicales identifiaient la mise sur pied d’un régime d’assurance-médicaments public et universel, la réforme de l’assurance emplois, la protection du droit des femmes à l’avortement, la lutte aux changements climatiques et l’aide aux médias comme les enjeux centraux. Certains syndicats insistaient également sur la réforme du mode de scrutin et l’importance de contrer l’évasion fiscale. Mais toutes les organisations syndicales québécoises s’entendaient sur le fait ne ne pas donner de consigne de vote et de ne pas prend position pour telle ou telle formation politique. Il n’était nullement question de faire une caractérisation le moindrement fouillée des partis politiques agissant dans cette campagne. Et la déclaration de Jacques Létourneau comme quoi la CSN se sentait plus près idéologiquement des libéraux de Justin Trudeau était une exception à la règle. [2]

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec appelait au gros bon sens dans une campagne d’affichage sur les grands thèmes déjà rappelés. [3] C’est un petit pas en avant par rapport à l’approche purement individualiste d’appel aux membres de leur base à interpeller les candidat-e-s mais rien qui serait l’expression d’une ferme volonté d’imposer leurs revendications et de confronter les politiques des partis politiques dominants.

Si le mouvement syndical dans l’État canadien doit assumer sa pleine liberté vis-à-vis des partis politiques liés à la classe capitaliste par toute une série de liens, son action ne peut s’inscrire dans le mythe que l’offre politique peut être reformatée à partir des demandes de l’électorat. En fait, en rester à l’interpellation comme stratégie c’est abandonner la lutte effective contre les plans de la classe dominante. C’est s’inscrire dans une position défensive qui doit être à tout prix dépassée pour faire face aux défis posés par l’offensive actuelle de la classe dominante.

Le mouvement féministe fait un bilan négatif de la campagne électorale 2019

« Même si les femmes représentent la moitié de la population du Canada, il a été impossible de trouver un moment afin de réunir les chef.fes et de discuter des problématiques qui affectent quotidiennement plus de 50% de la population. »  [4]

Notre bilan de la campagne électorale n’est pas positif : force est de constater que les enjeux en lien avec la condition féminine sont instrumentalisés à des fins purement électoralistes. Nous sommes donc ici pour déplorer l’invisibilisation des enjeux féministes et des personnes marginalisées dans cette campagne électorale. Par exemple, outre le débat sur la position personnelle des chef.fes sur le droit à l’avortement, les enjeux en lien avec les femmes autochtones ou la violence faite aux femmes ont été totalement absents des débats officiels.

Nous ne sommes pas dupes. Nos voix ne sont pas marginales. Elles auraient dû être centrales à vos promesses et à vos débats. Or, présentement, le débat politique sur les enjeux féministes est superficiel et ne prend pas en compte l’électorat féminin. Ne parlons même pas de l’état de l’invisibilisation des violences touchant les femmes les plus marginalisées. [5]

Ici encore, la démocratie s’impose ou est déniée. Ce n’est que la force du mouvement, son caractère massif, sa radicalité qui permet d’imposer l’importance d’enjeux sur la scène politique et non la réalité crue de l’importance objective des problématiques soulevées. Sur le terrain de la lutte anti-patriarcale, la démocratie réelle s’imposera par la force de la mobilisation.

Le mouvement pacifiste, des critiques percutantes, qui restent sans échos majeurs

Les Artistes pour la paix ont questionné les partis sur leur politique de paix. Seuls le NPD et le Bloc québécois ont daigné répondre. Mais l’un comme l’autre maintient leurs engagements vis-à-vis l’OTAN. La conclusion de l’organisation pacifiste est que les grands gagnants de ces élections ce sont les entreprises qui forment le complexe militaro-industriel. Justin Trudeau et Andrew Scheer promettent qu’un flux intarissable de fonds publics continuera de gonfler les profits du complexe. Le PLC comme le PCC sont des partis pro-OTAN, pro-Trump, Pro-Netanyaou qui favorisent la livraison d’armes à l’Arabie saoudite responsable de meurtres de dizaines de milliers de civils au Yémen. [6]

Et les auteurs de conclure par la question suivante : vivons-nous en démocratie ? Quelle est cette démocratie qui permet de balayer cet enjeu sous le tapis alors que des sommes colossales sont impliquées et que les partis politiques refusent d’expliquer leurs choix contre la paix. Voici, une démonstration, encore une fois, que la démocratie, implique des mouvements sociaux forts pour imposer des débats véritables et des choix réellement démocratiques.

En somme, le vrai bilan de cette campagne électorale : il n’y a pas de démocratie sans mobilisation populaire sur ses propres bases

Penser pouvoir défendre d’importants réalignements des partis de pouvoir sans poser la responsabilité première de la classe dominante, c’est refuser d’éclairer la base systémique et de classe de ces politiques. La force du parti au pouvoir, ce n’est pas d’abord sa majorité parlementaire, c’est surtout le fait que ses politiques répondent aux pressions de la vaste majorité de la classe dominante : les grandes banques, les grandes entreprises industrielles, commerciales, minières et pétrolières. C’est pourquoi l’espoir naïf qu’on pourrait convaincre les partis de pouvoir entendre raison, respecter l’humanité, l’environnement, céder sur le fond et renégocier un nouveau partenariat paralyse la capacité de mobilisation, empêche d’identifier les obstacles qu’il faudra renverser et les stratégies qu’il faudra déployer pour en finir les politiques de la classe dominante. La démocratie véritable, la souveraineté populaire passera par l’élargissement de la mobilisation populaire autonome.


[1Frédéric Lordon, Vivre sans, Institutions, police, travail, argent… La Fabrique éditions, 2019

[2Stéphane Gagné, De l’environnement à l’aide aux médias, en passant par l’emploi local, Le Devoir, 28 septembre 2019

[3Marie Hélène Alarie, Le nouveau gouvernement devra faire preuve d’écoute, Le Devoir, 28 septembre 2019

[4Le bilan de la campagne électorale d’un point de vue féministe : les enjeux de condition féminine sont portés disparus ! 22 octobre 2019, Collectif https://www.pressegauche.org/Le-bilan-de-la-campagne-electorale-d-un-point-de-vue-feministe-les-enjeux-de-40778

[5Collectif, idem

[6Christian Morin et Pierre Jasmin, Une prédiction sur le grand gagnant de l’élection 2019, 22 octobre 2019, Presse-toi à gauche ! https://www.pressegauche.org/Une-prediction-sur-le-grand-gagnant-de-l-election-2019

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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