4 novembre 2024 | tiré de Canadian Dimension | Photo : Boîte aux lettres de Postes Canada à Markham, en Ontario. Photo de Raysonho/ Wikimedia Commons.
L’an dernier, la société d’État a déclaré une perte annuelle de 748 millions de dollars et a prévenu qu’elle pourrait manquer de fonds de roulement d’ici le début de 2025, à moins qu’elle ne trouve de nouvelles options d’emprunt ou de refinancement. Les activités de Postes Canada ne sont pas subventionnées par le gouvernement fédéral. On s’attend à ce que Postes Canada desserve chaque adresse du pays et qu’elle parvienne à atteindre le seuil de rentabilité, avec des limites quant aux prix qu’elle peut facturer et aux services qu’elle peut offrir.
Avec l’essor des communications électroniques, les volumes de courrier ont chuté, ce qui signifie que les revenus tirés de la vocation première de Postes Canada sont moindres. Elle livre également des colis, mais elle doit faire face à la concurrence non seulement des services de livraison de colis traditionnels, mais aussi d’un modèle de salaires encore plus bas lancé par Amazon.
Postes Canada a commencé à vendre des parties de ses activités pour tenter de combler le vide, ce qui a amené les détracteurs de longue date de la poste, comme Ian Lee, professeur d’administration des affaires à l’Université Carleton, à déclarer que le service postal « disparaît sous nos yeux ». Ces dernières années, Lee a mis de l’avant une proposition radicale visant à réduire le nombre de bureaux de poste desservant les collectivités rurales, à réduire les effectifs des deux tiers et à réduire considérablement le réseau de livraison. Il ne s’agit pas seulement d’un plan visant à réduire les coûts, mais aussi de forcer le service public à devenir une entreprise comme une autre sur le marché.
Le débat sur cette question est délibérément circonscrit. Il y a un refus d’envisager un avenir dans lequel le rôle de Postes Canada pourrait évoluer en permanence pour répondre aux besoins des Canadiens. Et la dégradation du travail de livraison par Amazon est acceptée comme un fait accompli, au lieu d’être quelque chose que nous pouvons inverser si le gouvernement est prêt à défendre les droits des travailleurs contre une entreprise dont le modèle d’affaires vise à les affaiblir.
La réponse des travailleurs
Ce genre de discours au sujet de Postes Canada est promu par des organisations patronales et de gens comme monsieur Lee, qui ont des préjugés contre l’idée que le service postal public puisse survivre et prospérer au 21e siècle. Les médias le reprennent sans discernement, laissant entendre au public que Postes Canada est condamnée et qu’il n’y a que peu d’options pour se sortir du trou dans lequel elle se trouve, à part répondre aux appels à la privatisation et au démantèlement. Mais les choses ne doivent pas se passer comme ça.
Depuis plusieurs années, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) prône une vision beaucoup plus optimiste de cette institution dont dépend chaque personne au Canada. La Campagne Vers les Collectivités Durables du syndicat envisage un avenir où Postes Canada pourra se développer afin d’offrir des services bancaires, assurer des services de garde pour les personnes âgées et pourra jouer un rôle encore plus essentiel dans les collectivités durables de l’avenir. Contrairement au projet de Lee qui vise à fermer des bureaux de poste partout au pays, ce plan reconnaît le rôle crucial que joue cette institution et cherche à garantir qu’elle puisse continuer à fournir des services essentiels aux Canadiens même si leur dépendance à la poste aux lettres diminue. Mais il y a des obstacles à la réalisation de cette vision.
L’expansion du service postal nécessitera des fonds, ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu des pertes financières que subit Postes Canada. Pourtant, le STTP conteste le discours adopté par la direction de l’entreprise et ceux et celles qui veulent voir la fin du service postal tel que nous le connaissons. Selon le syndicat, Postes Canada a vu ses dépenses non liées à la main-d’œuvre augmenter de plus de 56 % entre 2017 et 2023, ce qui comprend un plan quinquennal visant à dépenser 4 milliards de dollars pour des mises à niveau de l’infrastructure en raison d’une forte croissance du trafic de colis qui ne s’est pas concrétisée. Le syndicat soutient que ces décisions de dépenses expliquent en grande partie les pertes que subit Postes Canada. De plus, le volume de colis n’a pas réellement diminué, mais le marché total de la livraison de colis s’est plutôt élargi et Postes Canada n’a pas maintenu sa part de cette croissance, en partie parce que la direction a indiqué à Amazon qu’elle ne pourrait pas répondre à ses demandes en 2022, ce qui a fait fuir un client important.
La vision du STTP brosse un tableau différent des difficultés auxquelles Postes Canada est confrontée. Il ne s’agit pas tant d’une entreprise en phase terminale de déclin, mais plutôt d’une entreprise mal gérée qui prend de mauvaises décisions quant à l’avenir d’une institution publique. La vision limitée de la direction, combinée au manque d’intérêt du gouvernement à réinventer l’avenir de Postes Canada, explique en partie ce qui a mis l’entreprise dans cette situation difficile. La banque postale générerait des revenus importants qui pourraient aider à financer l’entreprise de livraison, mais le gouvernement n’aurait pas seulement à donner à la société d’État la permission d’élargir son mandat ; il devrait probablement aussi investir dans l’infrastructure nécessaire pour assurer la livraison du courrier. Et ni les libéraux ni les conservateurs n’ont intérêt à dépenser cet argent – et à mettre en colère les grandes banques par la même occasion.
Postes Canada fait face à une autre menace qui pourrait être bien plus existentielle que ce que beaucoup de gens pensent. Amazon n’est pas seulement un client de Postes Canada, qui compte sur elle pour les livraisons hors de portée de son propre réseau ; c’est aussi un concurrent majeur dont le modèle d’affaires repose sur des offres de prix les plus bas rendus possibles en partie par des offensives agressives contre le pouvoir des travailleurs et travailleuses. Si ce problème n’est pas réglé, il sera difficile pour les employés syndiqués de Postes Canada de faire face à la concurrence.
La menace d’Amazon
Amazon a indéniablement changé la façon dont beaucoup de gens effectuent leurs achats au cours des dernières décennies et a joué un rôle important dans l’augmentation du nombre de colis que la plupart des gens reçoivent en moyenne au cours d’une année. Amazon est généralement considérée comme une plateforme de commerce électronique prospère qui a utilisé sa position dominante pour s’étendre à de nombreux autres secteurs d’activité, comme le streaming vidéo et les soins de santé. Mais ce succès est également le résultat de sa vigoureuse opposition aux syndicats et de la baisse des salaires de ses employés.
Si vous pensez à la manière dont un colis arrive d’Amazon à un client, il doit passer par un entrepôt, puis être chargé dans le camion d’un livreur avant d’arriver à la porte de celui-ci. Au fil du temps, Amazon s’est implanté dans ces secteurs et a essayé de transformer leur façon de travailler. La logistique est un secteur traditionnellement syndiqué où les travailleurs et travailleuses ont tendance à percevoir de bons salaires, mais ce n’est pas le cas avec le modèle d’Amazon. Le géant du commerce électronique combat farouchement toute tentative des travailleurs et travailleuses de former des syndicats dans ses centres de traitement des commandes, car il tente de redéfinir le travail en entrepôt comme un travail non qualifié pour lequel les employéEs ne devraient guère s’attendre à plus que le salaire minimum, et bien moins que dans les installations syndiquées.
Amazon a adopté une approche similaire dans le domaine de la livraison. Contrairement à ses entrepôts, Amazon n’embauche pas ses propres chauffeurs-livreurs. Au lieu de cela, elle fait appel à des entrepreneurs indépendants ou à des travailleurs et travailleuses « indépendantEs » via sa plateforme Amazon Flex, ou elle sous-traite le service à des partenaires de services de livraison comme Intelcom, qui effectuent eux-mêmes l’embauchent. Avec ce modèle, Amazon peut fixer des objectifs de livraison agressifs qui contraignent les travailleurs et travailleuses à une existence stressante et précaire . Il n’est pas étonnant que les employéEs d’Amazon, affectéEs aux entrepôts et à la livraison subissent un taux élevé de blessures.
Considérons maintenant les conséquences plus larges de cette évolution. À mesure que les modèles d’entreposage et de livraison d’Amazon se développent, ils exercent une pression sur leurs concurrents pour qu’ils suivent le mouvement : accélérer le rythme de travail, adopter de nouvelles formes de surveillance et de gestion algorithmique, et restreindre les salaires des travailleurs et travailleuses, voire attaquer leurs syndicats. Lorsque Lee parle de la nécessité de rendre les services de livraison de Postes Canada plus compétitifs par rapport à Amazon ou FedEx, dont les employéEs ne sont pas non plus syndiqués, on voit assez clairement ce qu’il suggère : pas seulement des licenciements massifs, mais aussi une attaque contre le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes.
Cela nous amène à une question importante à laquelle nous devons réfléchir. Non seulement ce que nous voulons pour l’avenir de Postes Canada, mais aussi dans quel genre de société nous voulons vivre. Nous devrions vouloir tirer parti de l’infrastructure nationale unique de Postes Canada pour offrir des services plus nombreux et de meilleure qualité à la population canadienne au lieu de démanteler un service que nous ne pourrons peut-être jamais reconstruire. Mais plus encore, le gouvernement devrait considérer le modèle à bas salaires et non syndiqué d’Amazon comme une menace non seulement pour Postes Canada, mais pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses du Canada, et intervenir pour le maîtriser.
Paris Marx est critique technologique et animateur du podcast Tech Won’t Save Us. Il rédige la newsletter Disconnect et est l’auteur de Road to Nowhere : What Silicon Valley Gets Wrong about the Future of Transportation.
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