20 octobre 2019 par Christian Morin et Pierre Jasmin, Artistes pour la Paix
NDLR : Ce texte est librement adapté et traduit d’un article et des recherches de Matthew Behrens, du groupe TASC.
Un mythe persistant
En effet, les programmes des six principaux partis garantissent qu’un flux intarissable de fonds publics continuera d’en gonfler les profits. Car tous les partis adhèrent à une orthodoxie militariste similaire, qui repose sur des croyances aussi profondément ancrées que rarement contestées.
L’idéal Pearsonien dans l’imaginaire collectif
Par exemple, cette orthodoxie prend pour acquis que la Défense, de par sa simple présence rassurante et bienveillante, joue un rôle socialement utile et constructif à l’échelle mondiale, même s’il n’a jamais été démontré que les sommes dépensées dans l’armement, les manœuvres, drones, bombes et invasions armées aient engendré la paix et la justice sociale où que ce soit.
Ces mythes increvables auxquels adhère la majorité des Canadiens est le fruit d’une immense désinformation et d’une image qui date des années Pearson – le père des Casques Bleus, prix Nobel et champion international de la paix. L’armée canadienne a pourtant été mêlée à de sombres histoires de torture en Somalie et en Afghanistan, ainsi que dans ses propres rangs. Le ministère de la Défense a ciblé comme menace à la sûreté nationale des autochtones qui ne faisaient que défendre leur territoire. L’armée musèle régulièrement les protestataires, comme à Kanesatake et Muskrat Falls. Elle est en état de crise perpétuelle, accusée de violences faites aux femmes membres des forces armées et du misérable traitement réservé aux anciens combattants souffrant de stress post-traumatique.
Super-émetteur de gaz à effet de serres
L’armée est aussi le plus gros émetteur de GES du gouvernement fédéral. Si tous les partis se sont livrés à une surenchère de déclarations sur l’environnement, aucun n’a de plan qui tienne vraiment la route, selon Stand.earth. Car aucun chef de parti n’aborde la question sous l’angle des recherches effectuées par le gouvernement fédéral, qui ont révélé que les forces armées sont, de loin, le plus gros émetteur gouvernemental de GES. Pour l’année fiscale 2017, on parle de 544 kilotonnes, soit 40% plus que le suivant sur la liste, Services Canada, et 80% plus qu’Agriculture Canada.
Trois bombardiers au décollage.
C’est là un phénomène mondial : aux États-Unis, le Pentagone est le plus gros émetteur de GES, soit 1,2 milliards de tonnes de 2001 à 2017. 400 millions de tonnes de GES sont attribuables à la consommation de carburant, principalement par l’aviation. N’oublions pas qu’il y a plusieurs centaines de bases américaines dans le monde, autant de foyers d’émissions.
Les militaires ont toujours voulu être exclus du calcul des émissions de GES. En 1997 à Kyoto, le Pentagone s’assura que les forces armées ne seraient pas incluses dans la liste des institutions devant se plier aux réductions d’émissions. Comme le faisait remarquer le Transnational Institute à la veille du sommet de Paris en 2015, “même de nos jours, les rapports que doivent fournir chaque pays à l’ONU ne tiennent pas compte des achats et de l’usage de carburant par les armées”. Cette exemption fut levée par l’Accord de Paris, sans que l’Accord ne puisse forcer les forces armées à réduire leurs émissions de GES.
Marine et aviation canadiennes : 130 milliards
Bref, peu importe qui gagnera les élections ce soir, généraux, amiraux et capitaines de l’industrie militaire se lèchent les babines. Des fonds publics financeront pour 70 à 105 milliards de $ des navires de guerre Irving/Lockheed Martin et pour au moins 25 milliards de chasseurs-bombardiers – probablement plus, vu la propension de l’industrie militaire à sous-évaluer lors de la commande, puis surfacturer les contrats lors de la livraison.
Frégate en construction au chantier Irving.
Est-ce que nous avons besoin de tous ces jouets ? La réponse est non, mais l’orthodoxie militariste canadienne dit que nos glorieuses forces armées doivent recevoir tout ce dont elles estiment avoir besoin (avec l’OTAN qui leur dicte ces « besoins »). Elles sont déjà équipées pour tuer des tas de gens, mais vouloir posséder la dernière génération de ces jouets de guerre est gravé dans l’ADN des chefs d’état-major comme une tare génétique.
Pendant la campagne électorale, beaucoup de questions ont été posées par les journalistes, sur comment financer des programmes sociaux utiles, pour améliorer la vie de 165 000 enfants autochtones ou bâtir des logements abordables.
Étrangement, aucune question n’a été posée sur les 130 milliards consacrés aux machines de guerre. Personne n’a non plus remis en question la pratique d’accorder à la Défense un budget de 25 milliards par année, dont la majeure partie n’est pas soumise à l’approbation parlementaire.
Si on se fie aux programmes et aux déclarations des chefs de partis, les Elizabeth May/Jagmeet Singh de ce monde font chorus avec les Justin Trudeau/Andrew Scheer pour glorifier nos héroïques forces armées. Il est rassurant de pouvoir les appeler en cas de catastrophe climatique, inondations ou incendies, mais plutôt incongru de voir de lourds blindés non équipés comme le seraient des équipes de civils entraînés et équipés pour ce travail.
Réductions nécessaires pour le bien de la planète
Une grande opération de réduction est nécessaire à l’équilibre budgétaire du Canada et réclamée par l’ONU pour le bien de la planète. Réduire nos budgets militaires canadiens de 30% dès l’an prochain mènerait à une réduction de GES de l’ordre de 160 kilotonnes, sans compter l’immense bénéfice d’empêcher d’autres désastres humains causés par nos opérations au service de l’OTAN comme en Syrie, en Afghanistan et en Libye, qui ont augmenté le flot de réfugiés kurdes et autres à 70 millions, comme le calcule le Haut-Commissariat des Réfugiés.
Aucun des six partis principaux ne remet en question le gaspillage de 100 à 130 milliards de dollars pour une « Défense » qui émettra au moins 500 kilotonnes de GES chaque année ! Même pas le NPD qui a pourtant la bonne idée d’investir 15 milliards dans son Green New Deal en vue de réduire les GES…
Vivons-nous en démocratie ?
C’est une question fondamentale à poser, particulièrement aux États-Unis où les trois débats démocrates ont vu les médias poser des questions-pièges et la majorité des candidats blâmer Bernie Sanders et la sénatrice Élizabeth Warren de ne pas tenir compte des « coûts irréalistes » d’amener le pays à un medicare à la canadienne, alors que ces deux malheureux démocrates ne peuvent se défendre en évoquant le gaspillage militaire et nucléaire, vu la désinformation générale.
Il est impensable que dans une supposée démocratie, le débat sur les dépenses de la Défense soit escamoté. On ne peut même pas suggérer l’importance primordiale de maintenir le Saint-Laurent ouvert à la navigation pendant l’hiver et d’assurer une présence autour du passage du Nord-Ouest avec des brise-glaces et des avions de transport pour acheminer des missions scientifiques plutôt que des F-35 (pas opérationnels quand il fait trop froid) et des navires de guerre. Et en outre, une journaliste culturelle du Devoir que nous aimons beaucoup déplore dans la livraison de samedi que les artistes n’aient pas pris part à la campagne actuelle, alors que son journal a tu toutes les interventions des APLP !
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