Le gouvernement Trudeau s’était engagé à mettre de l’avant des projets comme les soins dentaires pour les Canadiens à faible revenu. Les deux formations politiques ont également co-écrit un projet de loi pour interdire le recours aux briseurs de grève dans les entreprises œuvrant sous réglementation fédérale, comme les banques ou les télécommunications. Le projet de loi a été adopté aux Communes et au Sénat, et a obtenu la sanction royale en juin dernier. Les libéraux avaient également accepté d’accorder 10 jours de congé de maladie aux travailleurs sous législation fédérale.
L’accord prévoyait par ailleurs de progresser vers la mise en œuvre d’un régime universel d’assurance-médicaments. Un projet de loi pour mettre la table à un tel régime et offrir une couverture pour certains contraceptifs et médicaments contre le diabète a été adopté aux Communes en juin, mais est toujours à l’étude au Sénat. [1]
Le Bloc a voulu prendre avantage de cette situation où il a été propulsé au-devant de la scène, devenant alors le parti qui obtenait la balance du pouvoir. « Alors si le Canada s’intéresse — pour quelques semaines ou quelques mois — à nous, eh bien nous aurons l’occasion d’expliquer davantage qui nous sommes. On n’est pas les mauvais dans l’affaire. […] On est les bons. » avait affirmé Yves-François Blanchet le 9 septembre dernier. [2]
Mais à quelques mois des élections il a probablement jugé qu’il était trop tard pour suivre la stratégie que le NPD avait appliquée, d’autant plus que ce dernier venait de rompre le pacte avec Justin Trudeau. Cette entente l’engageait à ne pas proposer de vote de défiance ni voter pour une motion de défiance pendant la durée de l’accord, en échange il avait obtenu des gains.
Le 25 septembre Yves-François Blanchet lance donc l’ultimatum de renverser le gouvernement s’il n’obtenait pas les projets de loi sur la gestion de l’offre et la pension de vieillesse, déposés par le Bloc québécois, dont l’échéance était le 29 octobre. Cinq semaines plus tard, son ultimatum étant arrivé à échéance, Yves-François Blanchet indiquait qu’il voterait pour faire tomber le gouvernement dès qu’il en aurait l’occasion.
Logiquement lorsqu’un parti politique songe à faire tomber le gouvernement, c’est qu’il prétend le remplacer, mais ce ne peut être le cas pour le Bloc. La stratégie du Bloc ne peut donc que chercher à renforcer sa présence au Québec. Si les Libéraux sont réélus, il se trouvera dans une fâcheuse position, mais sa stratégie pourrait aussi favoriser l’élection du Parti Conservateur de Pierre Poilievre.
Ce dernier bloque depuis des semaines les travaux parlementaires concernant la question des fonds gouvernementaux mal dépensés par une fondation consacrée aux technologies vertes.
Selon l’enquête de la Vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, qui a découvert des défaillances importantes au sein de cet organisme gouvernemental, Technologies du développement durable du Canada (TDDC) a enfreint ses politiques en matière de conflit d’intérêts à 90 reprises, attribuant 59 millions de dollars à 10 projets qui n’étaient pas admissibles.
En juin, une motion mise de l’avant par les conservateurs demandait que le gouvernement fournisse, pour les envoyer à la police, tous les documents liés à l’affaire dans les 30 jours. Elle a été adoptée avec l’appui du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique, malgré le rejet des libéraux.
Les motions de privilège comme celle-ci ont la priorité sur pratiquement tous les autres travaux parlementaires, tels que les ordres du gouvernement et les affaires émanant des députés, bien que la période de questions se soit déroulée comme d’habitude.
Les libéraux pourraient tenter de mettre fin au débat par le biais d’un processus parlementaire appelé clôture - ce qui nécessiterait le soutien du Bloc ou du NPD.
Les néo-démocrates ont déclaré qu’ils voulaient étudier la question plus en profondeur au sein du comité. Ils ont accusé les conservateurs de faire de l’obstruction et de faire traîner inutilement le débat.
« Nous attendons patiemment le jour où les conservateurs cesseront d’apprécier le son de leur propre voix », a déclaré le député néo-démocrate Alistair MacGregor. [3]
Le Bloc ne s’est pas prononcé sur cette question, ce qui est pourtant contradictoire avec sa déclaration de faire tomber le gouvernement dès qu’il en aurait l’occasion. En fait il n’aurait qu’à appuyer la motion de clôture des Libéraux pour mettre fin au blocage parlementaire des Conservateurs et ainsi procéder à son ultimatum. Cherchez l’erreur.
La proposition concernant la gestion de l’offre a été appuyée par le Bloc et le NPD ainsi que par plusieurs députés libéraux et conservateurs. Seule l’opposition de deux membres du sénat a permis de bloquer cette motion. L’ultimatum posé par Yves François Blanchet ne peut donc pas s’adresser à la chambre des communes ni au gouvernement Trudeau.
Avec la rupture de l’entente entre le NPD et les Libéraux, il s’est trouvé coincé avec la balance du pouvoir, position fort inconfortable à la veille des élections qui doivent avoir lieu l’an prochain, comme l’avait déjà constaté le NPD. Son ultimatum est donc une fabrication opportuniste visant à se sortir de cette situation. Son empressement à déclencher des élections n’a comme fondement que son propre intérêt partisan à sauver la face. Le Bloc n’est pas une alternative politique, c’est un parti qui ne peut revendiquer le pouvoir. En l’occurrence, son ultimatum ne peut en ce moment que précipiter l’arrivée des Conservateurs.
Il est important de mentionner que l’Union des producteurs agricoles (UPA) ne souscrit pas à l’ultimatum du 29 octobre énoncé par le Bloc québécois pour l’adoption de son projet de loi sur la protection de la gestion de l’offre. Les producteurs agricoles craignent que la joute politique aux Communes mette en danger l’adoption du projet de loi sur la protection de la gestion de l’offre. [4]
La gestion de l’offre
Le plus gros du problème concerne la prochaine négociation de L’ Accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). Cet accord prendra fin le 30 juin 2036 mais l’ACEUM exige un examen tripartite de ses activités à partir du 30 juin 2026, six ans après son entrée en vigueur. L’objectif est de déterminer si les trois parties peuvent se mettre d’accord pour prolonger l’accord de 16 ans.
Que le Canada ait à faire face à une présidence Biden ou Trump en 2026, tout porte à croire que le Canada et le Mexique devront mener des négociations difficiles avec les Américains. [5]
En 2018 le Canada avait ouvert une brèche dans le marché des produits laitiers, et ce n’était pas que la faute de Donald Trump. Elle résultait d’une volonté plus grande du gouvernement Trudeau de protéger l’industrie automobile ontarienne que de protéger les petits producteurs de lait québécois représentant 50 % des producteurs laitiers du pays et produisant environ 40 % du lait canadien. [6]
Le Canada avait en effet ouvert une brèche de 3,59 pour cent du marché des produits laitiers en concluant l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC). Le système de gestion de l’offre avait déjà été fragilisé par l’entente avec l’Union européenne et par le Partenariat transpacifique. [7]
Le Québec avait ouvert la voie lors des négociations avec l’union Européennes. Lors d’une rencontre avec la société civile québécoise, le 5 octobre 2012, qui portait spécifiquement sur l’AECG, le ministre du Commerce international, Jean-François Lisée, avait affirmé son soutien sans réserve à l’AECG et accordé toute sa confiance au négociateur, Pierre-Marc Johnson. Ce qui n’était certes pas au diapason avec les nombreuses inquiétudes exprimées par les participants. Avec la clause de la nation la plus favorisée, tout ce qui est accordé à l’Union européenne pourrait aussi l’être aux États-Unis, en vertu de l’ALÉNA, ou à tout autre pays ayant signé un accord de libre-échange avec le Canada. [8]
L’Union Paysanne
Selon l’analyse de l’Union Paysanne, si le système de gestion de l’offre a aidé à stabiliser les prix, il n’a nullement réussi à enrayer la disparition des fermes. Si on prend l’exemple de la production laitière, en 2002, il ne restait plus que 8000 fermes laitières alors qu’il y en avait 55 000 en 1966 ! 80% des fermes laitières étaient disparues depuis l’entrée en vigueur des quotas de production. La production s’est concentrée dans les mains d’un nombre toujours plus réduit d’agriculteurs. Les quotas sont peut-être bons pour les consommateurs et les transformateurs mais leurs avantages pour les agriculteurs sont douteux [9]. Présentement il ne reste que 4 333 fermes laitières sur l’ensemble du territoire cultivable du Québec comparativement à plus de 9 400 dans l’ensemble du Canada.
Nos défis
On ne devrait pas jouer à la politicaillerie avec des enjeux politiques aussi importants et complexes, qui méritent une attention sérieuse et réfléchie. Si la gestion de l’offre est en elle-même un défi qui appelle à trouver des solutions innovatrices en termes de régulation du marché et d’accès aux jeunes (ce qui n’est pas le cas avec la législation actuelle), il est encore plus inquiétant de regarder l’horizon des futures discussions concernant les accords internationaux dans la situation actuelle de montée de la droite conservatrice et de l’extrême droite.
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