Édition du 19 novembre 2024

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Québec

Bourgault avait raison

Pierre Bougault, chef du RIN (Rassemblement pour l’indépendance nationale) était un souverainiste de stricte obédience, contrairement à René Lévesque, cofondateur du Parti québécois (avec Gilles Grégoire) qui lui, accordait beaucoup plus d’importance que Bourgault à l’association économique et commerciale avec le Canada.

Comme on sait, le RIN s’est sabordé en 1968 devant l’élan dont profitait le nouveau « grand » parti indépendantiste et le charisme de son leader René Lévesque. Bourgault a invité les militantes et militants de l’ex-RIN à rejoindre les rangs du Parti québécois afin d’infléchir plus à gauche son orientation générale, en particulier sur la question souverainiste. Lévesque lui-même par la suite (dans un appel non dénué d’opportunisme) a invité la jeunesse à « s’emparer » du parti. Évidemment, il s’agissait là d’une tactique pour faire le plein de votes chez les jeunes.

Pourtant, tout au long des années 1970 Pierre Bourgault et René Lévesque se sont opposé sur les modalités de l’accession éventuelle du Québec à l’indépendance.

Lévesque était un politicien de carrière, ancien ministre dans le cabinet libéral de Jean Lesage à l’époque de la Révolution tranquille. Il pouvait donc compter sur un large réseau d’appuis parmi la haute fonction publique et aussi sur une partie de l’opinion publique, vu le prestige dont il jouissait. Il projetait l’image d’un homme politique modéré, responsable.

Bourgault au contraire était un militant dans l’âme, tout entier dévoué à la cause souverainiste.

Ces deux hommes n’étaient guère faits pour s’entendre, tant sur le plan politique que personnel.

Lévesque jugeait Bourgault trop intransigeant et irréaliste alors que le second trouvait le premier mollasson et trop opportuniste. L’eau et le feu...

Le discours de Lévesque évacuait dans une large mesure tout le problème que poserait l’inévitable et dure transition entre une éventuel « OUI » majoritaire à l’indépendance et l’obtention de celle-ci. Il misait beaucoup, prétendait-il sur le sens démocratique et la bonne volonté d’Ottawa et du Canada anglais pour justifier son « optimisme ». Bourgault l’accusait de mentir au peuple. Lévesque essayait de rallier toute une frange modérée de l’électorat nationaliste et mollement fédéraliste dans une tentative racoleuse pour la rassurer. D’où l’introduction de la notion de référendum sur la souveraineté, pour séparer l’accession au pouvoir du Parti québécois de la réalisation de l’indépendance.

Bourgault de son côté, ne se gênait pas pour soutenir que « le Parti québécois a le devoir de ne rien cacher à la population » au sujet de la période de transition qui suivrait un référendum victorieux, au grand dam de René Lévesque. Ce dernier voulait éviter d’effrayer les électeurs et électrices nationalistes mais pas péquistes.

Toutes considérations électoralistes mises à part, la position de Bourgault était plus honnête que celle de Lévesque sur les sacrifices auxquels Québécois et Québécoises devraient consentir pour arriver enfin à la « Terre promise » de l’indépendance.

Depuis, les leaders souverainistes (tant ceux du Parti québécois que de Québec solidaire) suivent la « ligne lévesquiste » sur cette question cruciale. Il faut souligner en passant que Québec solidaire a été mis sur pied en 2006 avant tout pour lutter contre les inégalités sociales criantes qui marquent le Québec. Ses premiers leaders, Françoise David et Amir Khadir, mettaient la pédale douce sur la notion de souveraineté.

Il importe de regarder la réalité bien en face. Vu l’ampleur des intérêts géographiques, commerciaux, économiques et financiers d’Ottawa au Québec, le processus d’accession de celui-ci à l’indépendance se révélerait épineux et pénible pour une bonne partie de la population.

Le gouvernement québécois, qu’il soit péquiste ou solidaire devrait affronter des adversaires puissants et bien organisés : le gouvernement d’Ottawa, les provinces canadienne-anglaises, les milieux financiers de Toronto et sans doute de New-York aussi et peut-être même... l’importante minorité qui aurait opté pour le « NON » lors du référendum. Les oppositions régionales internes s’en trouveraient aiguisées, peut-être même jusqu’au point de rupture, sait-on jamais ?

Oui, on peut conclure que Pierre Bourgault avait raison : le plus mauvais service qu’on peut rendre à la cause indépendantiste consiste à en dissimuler le coût social et humain.

Jean-François Delisle

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