Posons-nous une question : qu’est-ce qu’un sommet ? Comment ça fonctionne ?
Le gouvernement Marois a monté pour cet exercice un mode de fonctionnement qui est censé permettre à quiconque de donner son point de vue, dans un souci de « transparence », voire de rapprochement de l’État des citoyennes et citoyens. Les gens ont donc été conviés à soumettre leurs contributions, soit via la page Facebook du Sommet, soit directement sur le site, soit à participer aux rencontres citoyennes. « Ainsi, c’est 52 groupes ou organisations qui sont devenus des partenaires statutaires et qui ont ainsi contribué au débat. La répartition de ces partenaires est comme suit : 31 % des participants représentant les étudiants, 23 % les établissements, 23 % les professeurs et les syndicats et 23 % la société civile [1] »
Pour ce qui est des rencontres préparatoires, l’admission s’y faisait par invitation seulement. C’est ainsi que nous avons assisté à des débats d’où certaines des parties hautement concernées étaient absentes, n’ayant pas été conviées à la discussion (les représantantEs des chercheurs et chercheuses du domaine de la santé, par exemple). Ces rencontres sont donc le plus souvent le lieu où les représentantEs de groupes ayant un intérêt direct ou indirect en éducation confrontent leurs visions de l’avenir de l’éducation supérieure au Québec.
Le Sommet qui se tiendra à la fin février procédera de la même façon : le gouvernement invitera des personnes et des organisations à venir se prononcer sur les quatre points ayant fait l’objet de débats lors des rencontres préparatoires et, fort de ces réflexions amènera dans les mois à venir des transformations de l’éducation supérieure au Québec censées représenter un consensus social.
Vous y croyez ? Pas moi !
Reportons-nous avant l’élection du Parti Québécois et l’annonce de la tenue de ce fameux Sommet. Une effervescence sans précédent anime le Québec : assemblées de quartiers, universités populaires, formations, débats publics pullulent. Tous et toutes y sont conviés, ont accès à la parole et à la réflexion. Ce qui se dessine alors, c’est une prise en charge de la population face à l’un des enjeux qui la concerne prioritairement, soit le droit à l’éducation, incluant la notion de gratuité scolaire. Les contraintes économiques qui font qu’une large partie de la population n’a pas accès à l’éducation post secondaire sont clairement dénoncées.
Des centaines de milliers de personnes sont dans la rue tous les mois, pendant des semaines les villes et villages du Québec résonnent du son de nos casseroles.
S’amène alors le gouvernement Marois qui lance son Sommet.
Mais est-ce à cet exercice que devrait être convié le mouvement citoyen qui a animé le Québec le printemps dernier ?
Non. Car la question à poser est le rôle même d’un sommet dans la gouvernance étatique et dans la résolution d’une crise sociale.
Ce à quoi nous aurions dû assister cet automne, c’est, à tout le moins, à une négociation entre l’État et le mouvement étudiant. Cette négociation n’aura pas lieu. Le gouvernement lui a substitué une opération de relations publiques tenant à la fois de la récupération crasse d’un mouvement social et d’un processus élitiste où n’ont droit de parole que ceux et celles qui selon l’État, sont habilités à le faire.
Habiles marionnettistes, le ministre Duchesne et la première ministre Marois laissent couler à la veille du Sommet des études sur le surfinancement des universités et la position des jeunes du Parti Québécois pour la gratuité ou à tout le moins, le gel des frais de scolarité. Ils conservent ainsi, en ouvrant un espace médiatique pour la gratuité, ou, en guise de compromis pour le gel, qui soit indépendant de l’ASSÉ, la marge de manœuvre qui leur permettra, aux lendemains du Sommet, d’imposer, dans un espace idéologique qu’ils auront créés eux-mêmes au fil du Sommet et de l’utilisation des médias, une « solution » qui les servira électoralement sans indisposer le fameux 1%.
Soyons clairs : pour le gouvernement, l’enjeu de ce Sommet n’est pas la gratuité scolaire ou le gel des frais de scolarité.
L’enjeu, c’est de réussir à contenir un mouvement social ou de le canaliser au profit électoraliste du Parti Québécois.
D’autres mouvements sociaux seront prochainement conviés à des « consultations » du même acabit. Le ministre Marceau vient d’ailleurs d’annoncer la tenue d’un « forum » sur les redevances minières le 15 mars à Montréal. Après avoir tenté d’encadrer notre aspiration à une société plus juste et égalitaire passant par la gratuité scolaire, le gouvernement du Parti Québécois pourrait bien tenter de se servir des préoccupations environnementales fortes d’une large part de la population québécoise afin de se faire encore et toujours du capital politique tout en permettant en coulisses que des multinationales continuent à saccager le Québec.
Bien sûr, nos représantEs sont conviés à ce charmant et très civil processus. L’exemple du Sommet sur l’enseignement supérieur frappe : les voix des associations nationales étudiantes s’y sont noyées. Tentant tant bien que mal de maintenir le cap, l’ASSÉ défend les mandats issus de dizaines, de milliers d’étudiantEs alors que la FECQ et la FEUQ s’asseyaient cette semaine avec Marois et Duchesne pour négocier la suite des choses. »
En un mot comme en mille, il n’y a rien à attendre de tels manœuvres. Les admettre comme voie de résolution des conflits sociaux revient à accepter l’idée que le rôle de la population se résume à soulever les problèmes par sa mobilisation, que le règlement ne passe pas par la négociation mais par la délégation des pouvoirs à une élite qui sait mieux que nous ce qui doit être fait.