L’école Belford en 2024
Cette école de 370 élèves est composée de 5 groupes de niveau préscolaire, 4 et 5 ans, et de 17 groupes de niveau primaire. C’est une équipe comprenant 22 groupes classe ayant chacun un-e titulaire dont l’enseignement est complété par 5 enseignant-es spécialisé-es en éducation physique, musique, anglais et art dramatique.
Située dans le quartier Côte-des-Neiges, l’école a une cote de défavorisation de 10 sur 10, ce qui lui permet de recevoir plus de services pour les élèves et d’avoir un ratio d’élèves moindre par classe (17 ou 18 au maximum).
Les services complémentaires sont assurés par une psychoéducatrice, une orthophoniste, des orthopédagogues (3), un enseignant en soutien linguistique et des techniciennes en éducation spécialisées (3). Un service de garde qui compte plus de 30 intervenantes est actif au sein de l’école. Une aide aux devoirs pour les élèves de 4e, 5e et 6e année est disponible à raison de 2 fois semaine.
Rapports d’enquête de la CSSDM (2020) et du MEQ (2024) et suivi ministériel
Comme nous l’avons mentionné, des problématiques concernant le climat de l’école et des lacunes au niveau pédagogique ont été relevées dès l’année scolaire 2016-17. Dès 2018-2019, une clarification des attentes de la direction à l’endroit de certain-es enseignant-es est faite. La direction demande aussi au CSSDM la tenue d’une enquête sur le climat qui prévaut à l’école Bedford. Le CSSDM, plutôt que d’acquiescer à cette demande, choisit une approche ciblant les relations interculturelles. La situation ne se résorbant pas, il s’ensuit en 2020 une première enquête effectuée par une firme de psychologues industriels qui constate des problèmes relationnels entre les membres de l’équipe école ainsi qu’un besoin de supervision des pratiques pédagogiques. Un plan d’action est alors mis en place en septembre 2020. Malgré cela, la situation continue de se détériorer.
En 2022, une nouvelle direction met fin au plan d’action. S’en est suivi le départ de plusieurs membres du personnel enseignant. En 2023, des reportages faits par Valérie Lebeuf sur 98,5 FM ont permis de recueillir 18 témoignages sous couvert de l’anonymat dénonçant le climat de travail qui prévaut à Bedford. En septembre 2023, le MEQ sollicite du CSDM toute la documentation pour faire enquête sur la situation médiatisée. Un rapport d’enquête réalisé à la demande du MEQ est rendu public en octobre 2024.
Voici les différents constats effectués :
• Il y a absence de mécanisme efficace d’évaluation de la compétence des enseignants en cours d’emploi ;
• Globalement, le niveau de compétence des enseignants de l’école Bedford est inquiétant ;
• Le climat de l’école Bedford ne s’est pas amélioré malgré toutes les actions entreprises par le CSSDM ;
• Le CSSDM a perdu de vue la situation de l’école Bedford en cours de route ;
• Le CSSDM dispose d’une faible capacité à effectuer des suivis ;
• Les directions peinent à imposer des formations aux membres du personnel ;
• Certains enseignants cherchent à se dérober des mesures de surveillance.
Par la suite, 11 enseignant-es concerné-es par les allégations faites à leur endroit ont été suspendus. « Les suspensions resteront en vigueur durant toute la durée des travaux des comités d’enquête mandatés par le ministre de l’Éducation ». Ces derniers doivent déterminer si les 11 enseignant-es en question « ont commis une faute grave ou un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de la profession enseignante dans l’exercice de leurs fonctions ».
Dans sa conclusion, le rapport affirme que « la CSSDM a utilisé les moyens dont elle disposait, sans qu’une amélioration de la situation ne s’observe. »
Problématiques tues
Il importe de considérer quelles sont les problématiques qu’on a tues ou dont on n’a pas tenu compte, pour espérer une vraie sortie de crise et assurer qu’une telle situation ne se reproduise pas.
1- À l’interne :
• Le roulement du personnel de direction : pendant la période où on a noté un climat et des lacunes pédagogiques problématiques, soit entre 2016 et 2024, 4 directions et 5 directions adjointes se succéderont à l’école Bedford.
• L’identification du problème lié au climat malsain a été mal circonscrite voire erronée : la CSSDM a ciblé les rapports interculturels et non un non-respect des exigences de la Loi de l’instruction publique (LIP), du régime pédagogique ou de l’application de la convention collective qui définit la tâche des enseignant-es et les obligations associées dont celle de travailler en collaboration avec les autres membres de l’équipe école, sur des bases de respect mutuel, exempt de harcèlement. Est-ce par crainte d’être taxée de racisme ?
• L’absence de mesures disciplinaires explicites face à des manquements sévères. Le rapport indique que le CSSDM « conseillait plutôt de faire attention et de ne pas être coercitifs pour ménager le climat. « (p. 67)
• Les exigences pédagogiques non explicites, l’encadrement déficient et l’absence de suivi sont énoncés sans relation aux élèves. Le rapport ne comporte aucune mention des résultats scolaires de l’ensemble des groupes classe de l’école.
• L’absence de données comparatives et longitudinales sur la réussite éducative des élèves (2014-2024) pour l’ensemble des écoles primaires du quartier Côte-des-Neiges. Ces données sont nécessaires pour savoir si les élèves de l’école Bedford ont des résultats scolaires comparables à ceux des élèves d’écoles similaires malgré les approches pédagogiques décriées.
• Le projet éducatif de l’école n’est jamais mentionné. Quelle place joue l’équipe école dans la détermination du projet éducatif de l’école ?
• Le mode de fonctionnement en assemblée générale de l’ensemble du personnel de l’école (enseignant, non enseignant et service de garde), n’est pas abordé. Les problèmes identifiés concernent-ils l’ensemble du personnel de l’école ? Les organisations syndicales du personnel de soutien, des services professionnels et des services de garde ont-ils été associés aux démarches faites par le CSSDM auprès de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal (APPM) ?
• La place des parents et des élèves dans ce processus scolaire n’est pas abordée. Nulle part ne fait-on référence aux besoins, demandes ou critiques tant des parents que celles des enfants. Ils sont pourtant les premiers concernés. La suspension des titulaires des enfants a eu des impacts directs sur eux.
• Le conseil d’établissement n’est pas mentionné dans le rapport d’enquête. Qu’en est-il de sa composition et de son fonctionnement ? Quels échanges s’y déroulent en lien avec le climat qui a prévalu et qui prévaut à l’école ?
2- Au CSSDM :
• L’abandon d’un soutien soutenu à la direction de l’école par le CSSDM et le tâtonnement dans l’approche. Le CSSDM n’a pas eu une approche cohérente dans le soutien aux directions de l’école. La direction en poste en 2018 qui cherchait à encadrer les enseignant-es récalcitrant-es n’a pas été outillée adéquatement et la débandade s’est enclenchée. Les interventions faites n’ont pas été évaluées, ni des ajustements apportés. On a plutôt privilégié un changement de cap, une approche multiculturelle. Deux enquêtes et 4 directions plus tard, la situation perdure.
• Malgré les reportages de Valérie Lebeuf, la direction générale du CSSDM dit publiquement en 2023 que les problèmes soulevés à cette école sont réglés.
• La quantité de services déployés au détriment d’une réponse adéquate validée à la problématique de climat malsain indique non pas que le CSSDM a fait tout ce qu’il pouvait mais plutôt qu’il a failli à analyser correctement les manquements qui sévissaient dans cette école. Le dossier de l’école est éparpillé au sein de plusieurs services du CSSDM nous dit le rapport d’enquête.
• Les outils de la convention collective locale des enseignant-es ont-ils été utilisés ? Deux comités existants, le comité des politiques pédagogiques (CPE) et le comité des relations de travail (CRT) sont les endroits où les problématiques de climat malsain et de compétence pédagogique peuvent être soulevées et des solutions apportées. On n’en fait aucunement mention dans le rapport d’enquête.
• Le français langue de travail en milieu scolaire est-il garanti au sein du CSSDM ? Comment peut-on justifier que le français en tout temps et en tout lieu ne soit pas exigible au sein du CSSDM ? L’école publique francophone ne doit-elle pas être le lieu privilégié pour ce faire ?
3- À l’Alliance des profs :
• L’absence de prise en compte des plaignant-es et de soutien explicite quant au climat malsain. Des problématiques signalées entre membres d’un même syndicat ne peuvent être banalisées, voire non répondues. Des enquêtes ne doivent-elles pas être entreprises, des réponses trouvées, des revendications à la faveur d’un climat sain faites auprès de l’employeur ?
• La définition erronée par certain-es enseignant-es du concept de l’autonomie professionnelle n’a pas été contredite par le syndicat. L’autonomie professionnelle ne peut se substituer au devoir de travailler conjointement à la réussite des élèves, à la complémentarité des approches et à la nécessaire coordination entre toutes celles et ceux qui interviennent auprès des élèves d’un même groupe classe. Le soutien aux élèves en difficultés d’apprentissages doit être garanti ainsi que leur accès aux services adéquats offerts.
• Quelles ont été les interventions effectuées en CRT à la suite du rapport de la firme de psychologues industriels en 2021 ? Cette instance paritaire syndicale-patronale n’est pas abordée dans le rapport.
• Quel suivi le syndicat a-t-il fait auprès de ses membres à l’école Bedford ? Et auprès du CSSDM ?
4- Au ministère de l’Éducation
• La compétence professionnelle de certain-es enseignant-es est remise en cause dans le rapport d’enquête. Toutefois, le ministère qui décerne l’autorisation d’enseigner le fait en suivi à des qualifications acquises et reconnues par les universités. Comment le rapport d’enquête peut-il mener à modifier cette démarche ?
• Le rapport conclut que le CSSDM a fait tout ce qu’il a pu. Nous pouvons en douter. Le rapport n’indique nullement que tous les outils à sa disposition ont été utilisés. Les enseignant-es ciblés ne semblent pas avoir de dossier disciplinaire en lien avec des manquements dans l’exercice de leur tâche ou liés à de l’insubordination. Les résultats des élèves de ces groupes classes ne sont pas considérés.
Somme toute, le CSSDM a failli à sa tâche, n’ayant pas assuré le respect des lois, règlements et contrats de travail permettant de résoudre les problèmes rencontrés.
Les recours pédagogiques et disciplinaires à sa portée n’ont pas été utilisés, les directions d’école ont été laissées à elles-mêmes.
Le syndicat n’a pas pris fait et cause pour les enseignant-es victimes de harcèlement, voire de violence. Le syndicat devrait pouvoir assurer un mécanisme de traitement neutre et sans parti pris des plaintes.
Sortie de crise
Pour assurer une sortie de crise satisfaisante du point de vue du personnel mais aussi des parents et des élèves, il convient d’agir.
• En offrant une réponse adéquate et valorisante de la qualification légale des enseignant-es et de son encadrement. Elle doit être apportée non seulement pour les enseignant-es suspendu-es mais pour l’ensemble du personnel enseignant du CSSDM.
Alors que la pénurie d’enseignant-es dans les écoles du Québec subsiste, que la lourdeur de la tâche est décriée et n’a pas été répondue à la satisfaction des enseignantes et enseignants au sortir de la grève de 2024, il faut trouver une réponse qui favorise l’acquisition des savoirs essentiels aux apprentissages des élèves et valoriser la complémentarité des approches pédagogiques plutôt que de les opposer.
• En mettant de l’avant une approche multipartite CSSDM/directions écoles/syndicat pour :
-
- Solutionner et garantir un climat sain à l’école Bedford en mettant en place des mesures explicites et concrètes ;
- Prévenir toute récidive là ou ailleurs d’un tel climat malsain ;
- Rassurer les familles de Côte-des-Neiges de la prise en compte des besoins de leurs enfants au sein des écoles du quartier (assemblées citoyennes, médiation au besoin en lien avec les organismes du quartier, etc.) ;
- Promouvoir l’école québécoise publique laïque où le français et la culture québécoise sont au cœur du projet éducatif à convenir.
Des réponses innovantes doivent être trouvées tant par les premières et premiers intervenants de l’école soit le personnel, les élèves et les parents que par les instances en autorité (CSSDM, directions d’école et syndicats). Le MEQ doit s’assurer que le CSSDM assume ses responsabilités et qu’il clarifie, pour le bénéfice de tous les personnels à son emploi, ce que signifie travailler dans un climat de travail sain, où le français et la culture québécoise sont au cœur du projet éducatifs de toutes et tous. Le cas échant, l’employeur doit être sanctionné pour ses manquements. Plus jamais un climat malsain dans une école du Québec ne doit être toléré.
Ghislaine Raymond
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