La victoire de Mario Beaulieu et plus particulièrement son repli souverainiste correspond à une volonté de reprendre la bataille perdue par le PQ sur la question identitaire lors des dernières élections et une tentative de réponse devant l’impasse dans laquelle se trouve ce parti.
André Bellavance proposait la continuité, c’est-à-dire défendre les intérêts des QuébécoisEs à Ottawa, en tendant autant la main aux fédéralistes qu’aux souverainistes qui souhaitent voir le Québec être représenté à Ottawa. Mais cette position n’a pas su résister à l’offensive du gouvernement Harper qui a changé l’axe de la politique. Représenter le Québec ne suffisait plus, il fallait battre la droite conservatrice. C’est ce qui s’est produit en 2011.
En même temps, la présence du BQ à Ottawa a participé à rendre crédible le fédéralisme. Le Bloc n’y était-il pas présent avec une large députation afin de préserver les intérêts du Québec ? Si ce rôle est utile alors pourquoi faire la souveraineté ? La position de Mario Beaulieu apparaît pour ses supporteurs qui souhaitent rapatrier au Bloc une partie du vote souverainiste passé au NPD comme une voie de sortie de l’impasse stratégique du BQ sur la scène fédérale. Mais pour faire quoi ? La principale raison d’être d’un parti politique étant de devenir une alternative face au gouvernement existant et de mettre en place son programme politique, ce qui ne peut être le cas du Bloc.
Mario Beaulieu parle de mettre la souveraineté de l’avant, mais ni lui ni son adversaire n’ont critiqué la position du Bloc qui s’est rallié à une charte des valeurs allant jusqu’à expulser une députée qui défendait la politique officielle que le parti avait eu jusqu’alors (1), et refusait d’emboiter le pas dans cette « opération d’ instrumentalisation qui avait pour résultat de stigmatiser et d’exclure certaines communautés et surtout certaines femmes » (2). Rien non plus sur la politique d’austérité du PQ.
Le BQ est en faveur du libre-échange qui est la négation même du droit souverain d’un gouvernement de décider de ses politiques économiques et environnementales. Les poursuites contre le gouvernement canadien en vertu de l’ALENA l’ont déjà largement prouvé. Les récents accords commerciaux Canada Europe qui favorise le bœuf de l’Ouest au détriment du fromage québécois n’ont pas trouvé écho non plus chez les protagonistes dans la course à la direction du Bloc. S’opposer au libre-échange serait déjà un pas en avant concret dans la lutte pour le contrôle de nos leviers économiques.
La situation politique s’est empirée depuis 2011. Le gouvernement Harper est devenu plus que jamais une menace pour l’environnement avec les projets d’expansion des gazoducs et du transport ferroviaire afin de maximiser l’exploitation pétrolière de l’Alberta. Le Parti québécois avait appuyé cette politique et avait même planifié l’exploitation du pétrole de schiste de l’Ile d’Anticosti ainsi que le développement pétrolier du golfe du St-Laurent, politique dont le Parti libéral a maintenant pris le relais. Ni Mario Beaulieu ni personne au Bloc ne s’est opposé, on n’en a même pas parlé.
La question de l’heure est comment défaire le gouvernement Harper et plus objectivement comment lutter contre les politiques de droite dont ce gouvernement n’est pas le seul représentant. À ce chapitre, la lutte pour la souveraineté du Québec est certainement un levier qui peut briser cet élan. Mais pour réussir, elle devra établir un rapport de force et être l’accomplissement d’une forte mobilisation qui rejoindra les aspirations sociales de la population.
Dans cette perspective la solidarité du mouvement ouvrier et populaire canadien est non seulement importante parce qu’elle pourra permettre de pousser plus loin la lutte pour la justice sociale, mais déterminante parce que ce faisant, elle fera reculer la réaction canadienne contre notre lutte au Québec.
C’est ce que nous enseigne la solidarité internationale. On ne peut bâtir de bulle isolée du reste du monde, à plus forte raison en cette période de mondialisation où les multinationales régissent le sort de notre planète et en font un dépotoir de pollution et de pauvreté qui met la survie des générations futures en péril. Notre lutte doit s’étendre et se lier aux autres mouvements progressistes et en premier lieux à ceux du reste du Canada.
Est-ce que le Bloc québécois et plus particulièrement la victoire de Mario Beaulieu, peut jouer un rôle positif dans cette perspective ? Est-ce qu’il peut favoriser la construction d’une alternative contre les politiques de droite du gouvernement Harper ?
C’est sous cet angle et uniquement sous cet angle qu’on doit évaluer la pertinence du Bloc et des propositions apportées par le nouveau chef. La réponse est évidente, d’autant plus que la lutte pour la souveraineté relève du Québec.
L’échec de la stratégie péquiste basé sur le nous identitaire, consommé par l’élection du 7 avril ouvre une nouvelle période politique où les revendications sociales concernant le partage de la richesse, le contrôle de l’environnement et l’appropriation de nos ressources naturelles deviennent le cœur de la lutte pour la souveraineté.
Le repli identitaire de Mario Beaulieu, est l’effet miroir d’une stratégie qui a démontré son échec au Québec et est sans issu dans une perspective de changement social dans l’État canadien. La place est aux alternatives et Québec solidaire est pour l’instant le seul parti qui peut apporter une réponse aux aspirations de la population du Québec.Pour ce qui de la politique fédérale, cette alternative ne passera certainement pas par le Bloc. La jonctions des mouvements sociaux est à l’ordre du jour, le sommet des peuples à Ottawa est un rendez-vous qui contribuera à une importante réflexion dans ce sens.
Notes
(1) Les positions du Parti québécois et du Bloc diffèrent depuis au moins 2007, lorsque les troupes de Gilles Duceppe ont présenté un mémoire à la commission Bouchard-Taylor prônant une interdiction du port de symboles religieux pour les fonctionnaires en position d’autorité, et non pas pour l’ensemble des fonctionnaires. Hugo De Granpré, La Presse 12 septembre 2013
(2) Hugo De Granpré, La Presse 12 septembre 2013. La députée du nord de Montréal avait pris position contre le projet annoncé par le Parti québécois, en compagnie d’autres souverainistes réunis sous la bannière des « Indépendantistes pour une laïcité inclusive ». En plus de Mme Mourani, le groupe compte notamment l’ancien chef de cabinet de Gilles Duceppe, François Leblanc, l’ancien directeur général du parti, Patrick Marais, et l’ancien député bloquiste Jean Dorion.