Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Québec solidaire entreprend de définir des perspectives pour un développement majeur de son enracinement !

En mai dernier, le Comité de coordination national de Québec solidaire présentait un Bilan politique de la campagne électorale de 2014 [1]. Ce Bilan a servi de base à une rencontre nationale réunissant le 7 juin les candidaEs et leurs responsables de campagne. La progression, lente, mais réelle de la base électorale et des effectifs du parti et l’élection de Manon Massé ont été accueillies avec satisfaction. Il n’en reste pas moins que la voie vers un saut qualitatif de l’appui de Québec solidaire dans la population reste une aspiration qui cherche maintenant à identifier les voies de sa réalisation. Les réponses à cette aspiration ont débouché sur des propositions très diverses parmi lesquelles Québec solidaire devra choisir dans les mois qui viennent.

Quels sont les constats essentiels soulevés par ce Bilan de la Coordination ?

 La défaite péquiste est le résultat d’une chute de l’appui électoral du Parti québécois amorcée depuis le lendemain du référendum de 95.

 La CAQ a obtenu moins de votes, mais elle est parvenue à sauver la mise et elle se porte candidate au poste d’opposition officielle qu’elle espère ravir au PQ en profitant de la crise de ce parti.

 Option nationale et le Parti vert ont connu des reculs importants de leur électorat ce qui met en péril leur avenir.

 Seul Québec solidaire (avec le PLQ) a connu une avancée modeste, mais réelle en passant de 6,02 à 7,63% des votes et a obtenu 60 000 votes de plus qu’aux élections de 2012. QS a connu une augmentation de 3% des votes dans 20 circonscriptions dont 15 en dehors de Montréal. Le parti a connu une augmentation de ses effectifs dans 103 des 124 circonscriptions.

 Mais il faut expliquer la faiblesse de cette progression. Québec solidaire n’a pu profiter de la débâcle péquiste qui a perdu près de 400 000 votes qui ont d’abord profité au parti de l’abstention. QS a connu un recul de son électorat dans 20 circonscriptions à forte proportion anglophone ou allophone.

L’ensemble de ces constats pose la question de la nécessité de trouver les voies d’un développement plus rapide et d’une percée réelle.

Le bilan pose la nécessité d’identifier les facteurs de réussite d’une campagne électorale. Un premier constat, c’est de présenter (ou de transformer) Québec solidaire, affirme le Bilan du Comité de Coordination national, comme apte à gouverner. Il faut donc que l’équipe des candidatEs de QS soit composée de personnes suffisamment connues pour que l’affirmation que QS présente une équipe ministrable soit prise au sérieux. Cela implique un recrutement de candidatEs ayant une notoriété, dont certains candidatEs ayant une expertise économique. Québec solidaire, affirme le Bilan, peut difficilement se développer davantage sans présence de telles personnes.

Il faudra également bien cibler les circonscriptions gagnables et le parti devra travailler avec les associations de comté qui ont obtenu les meilleurs résultats dans les centres urbains, y compris en dehors de Montréal, pour rendre ces circonscriptions gagnables en 2018. Dans ce cadre, il faudra préparer au plus vite les personnes qui désirent être candidates et chercher à développer leur notoriété auprès de la population. Pour s’enraciner localement et régionalement, il faudra développer les liens de Québec solidaire avec les mouvements sociaux et contribuer à la relance des luttes sociales tout en respectant l’autonomie de ces organisations.

Au diagnostic individualiste de la faible progression de QS correspond une réponse du même acabit

Le diagnostic faisant découler le succès où l’insuccès électoral du peu de notoriété des candidat-e-s n’est pas accepté d’emblée. Proposer que le dépassement de la croissance lente de Québec solidaire passe d’abord par l’attraction de personnalités connues disposant d’une grande notoriété et de compétences connues et porteuses – des personnalités ministrables – c’est chercher des raccourcis à un patient travail d’enracinement.

En fait, la performance électorale d’un parti ne peut découler et souvent, ne découle nullement des caractéristiques des personnes candidates. La vague orange aux dernières élections fédérales, ou la vague adéquiste aux élections québécoises de 2007 en ont été des démonstrations instructives. Les facteurs permettant une percée d’un parti politique sont beaucoup plus complexes qu’une approche purement individualiste pourrait le faire penser. Quand on explique le recul du Parti québécois, on mobilise plusieurs facteurs : son rejet de ses promesses électorales, son attitude inconséquente dans la défense de la souveraineté, son incapacité à apparaître comme une réelle force de changement... On n’essaie pas d’expliquer son recul par les caractéristiques de ses candidatEs... Une approche individualiste ne permet pas d’identifier les facteurs essentiels pouvant jouer pour un parti politique qui cherche en s’enraciner.

Les participantEs à la rencontre du 7 juin ont d’abord soulevé leurs appréhensions devant de telles perspectives et ont posé toute une série de questions : cette recherche de candidatEs - vedettes ne conduirait-elle pas à la centralisation du choix des candidatures et ne renforcerait-elle pas le danger du parachutage ? La priorité donnée à la recherche de candidates vedettes ne pousserait-elle pas à oublier l’importance à donner à un travail patient de formation de candidatEs qui s’enracinent dans leur milieu. Cette approche n’amènerait-elle pas à privilégier les candidatures disposant d’un plus grand capital culturel et social reproduisant l’exclusion des personnes issues des couches populaires ? Les personnes issues des classes moins nanties sont presque entièrement exclues de l’Assemblée nationale ? Leur représentation parmi les candidatEs ne devrait-elle pas être une préoccupation d’un parti de gauche comme Québec solidaire ? Cette approche vers les personnalités jouissant d’une grande notoriété ne rendrait-elle pas plus difficile l’obtention de la parité ? L’important, c’est que QS présente des candidatEs enracinés dans leur milieu, formés au programme du parti, liés aux luttes sociales de leur circonscription ou de leur région...

Le premier niveau de réponse au diagnostic proposé par le "Bilan" a été de retourner au caractère central de l’action collective et à la défense d’une approche qui fait de l’enracinement du parti la préoccupation première.

Diagnostic centré sur le caractère de la période : un parti de gauche se construira sur le renforcement des mouvements sociaux et par sa liaison à ses derniers

L’avancée de Québec solidaire aux denières élections, même modeste, est une réalisation remarquable. Il s’agit d’examiner le recul des partis de gauche un peu partout pour comprendre qu’on fait face à une période difficile. Les gouvernements néolibéraux sont à l’offensive. Ils chechent à s’en prendre à des acquis sociaux importants et à démanteler l’État social.

Depuis des décennies, les partis qui sont sont succédés au pouvoir à Québec et à Ottawa ont mené ce type de politique. Le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux ont été rejetés sur la défensive. Reprenant à son compte le programme économique du PQ, le gouvernement libéral mène une politique d’austérité au nom du déficit zéro qui conduira à une détérioration des services publics. Allié au gouvernement Harper, le gouvernement Couillard appuie la transformation du Québec en un lieu de transit pour le pétrole tiré des sables bitumineux et il soutient l’exploitation pétrolière dans le Golfe St-Laurent.

Mais la résistance des mouvements sociaux marque cependant des points : rappelons-nous la victoire du mouvement étudiant en 2012 ou le recul des entreprises gazières qui ont dû interrompre l’exploration des gaz de schiste dans la vallée du St-Laurent.

Québec solidaire se construit grâce à cette résistance... qui porte des espoirs de changement. C’est dans la mesure où cette résistance se développera et permettra de renverser les perspectives de la société québécoise dans son ensemble, que Québec solidaire peut espérer connaître un saut qualitatif.

Dans cet enjeu, Québec solidaire n’est pas un acteur passif. Il peut jouer un rôle essentiel dans les débats stratégiques sur les perspectives des différents mouvements, dans le travail de réseautage, dans la construction de solidarités agissantes entre mouvements sociaux. Pour ce faire, il devra renforcer ses liens avec les différents mouvements sociaux. Il faudra reconnaître sa réalité de parti radical qui lutte pour l’indépendance, contre l’austérité et pour la sortie du pétrole... et qu’il s’oppose aux politiques néolibérales.

Une avancée majeure de l’influence d’un parti comme Québec solidaire passe d’abord par le renversement des rapports de force actuels et par la construction d’un bloc social des classes subalternes capable de résister aux plans de régression sociale de la classe dominante. C’est là une orientation parmi d’autres qui s’est exprimée dans les débats.

Diagnostic social-démocrate : le renforcement de Québec solidaire passe par un nécessaire recentrage programmatique et politique

CertainEs militantEs, pas nécessairement nombreux, mais ayant une approche cohérente défendent l’orientation suivante. Québec solidaire doit se recentrer. Il doit en finir avec des aspects trop radicaux de son programme (particulièrement ceux qui remettent en question la propriété privée des moyens de production et des richesses naturelles et qui avancent la rupture d’avec le capitalisme) qui le coupent de la majorité de la population. Il faut se reconnaître clairement et ouvertement social-démocrate et proposer des réformes moins importantes mais qui amélioreraient les conditions d’existence des gens. Cela correspondrait au niveau de conscience actuelle d’une majorité progressiste. Une telle perspective permettrait de fonder une nouvelle crédibilité de Québec solidaire, base d’une réelle avancée électorale.

Questions programmatiques, politiques et initiatives proposées pour renforcer Québec solidaire ?

Toute une série de débats programmatiques ont resurgi de l’expérience de la campagne. Le Bilan de la Coordination affirmait même : "la plate-forme doit être assurément renouvelée". [2] La question de la crédibilité économique du discours de Québec solidaire semblait préoccuper nombre de militantEs. Et cette question peut conduire à toutes sortes de réponses contradictoires qui ne se sont pas réellement exprimées et encore moins confrontées.

La question de l’indépendance demeure une préoccupation essentielle. Le recul de la souveraineté et la défaite péquiste posent à Québec solidaire la nécessité d’élaborer une orientation encore plus claire sur ce terrain. C’est ainsi que des solidaires ont exigé un travail de réélaboration sur ce terrain et un travail pédagogique soutenus sur la question de l’assemblée constituante. D’autres, par contre, se sont interrogés sur la nécessité de garder le caractère central de cette orientation dans le discours du Parti. D’autres ont souligné l’importance de développer la dimension antiraciste de notre programme et l’articulation entre cette dimension et la lutte pour l’indépendance... Des militantes ont souligné qu’il ne fallait pas accepter que les communautés ethnoculturelles ne puissent être gagnées à l’indépendance et ont soutenu qu’il n’est pas vrai que le vote des communautés culturelles soit un vote monolithique. Il faut que Québec Solidaire s’identifie à un Québec qui refuse toute discrimination et qui défend leur participation égalitaire des communautés ethnoculturelles à la société québécoise

Débattre pour mieux construire un parti acteur de la transformation sociale

L’ensemble de ces interventions démontrait qu’une série de débats importants, à plusieurs niveaux, traversent Québec solidaire. Ces débats devraient se mener dans la cadre de la préparation du Conseil national de novembre prochain. Des discussions essentielles, difficiles sans doute, mais qui marqueront un autre moment fort dans la définition des orientations de Québec solidaire et de sa pertinence politique.


[1Bilan politique de la campagne électorale 2014, par le Comité de coordination national, mai 2014, 23 p.

[2Bilan de la Campagne électorale, mai 2014, page 21

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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