1. Les réactions des organisations syndicales, populaires et démocratiques au projet de loi 84 (PL84)
La CSN déplore que le projet de loi ait été déposé sans qu’aucun processus de consultation préalable n’ait été mis en place. La CSD résume bien le sens des critiques de ces organisations : « Le projet de loi propose des principes abstraits et des intentions, mais rien n’est mis au jeu pour voir comment réellement, concrètement, on améliorera l’accueil, la francisation et l’intégration des personnes immigrantes au Québec ». La FTQ dénonce les inconséquences du gouvernement qui prétend favoriser l’intégration des personnes migrantes alors qu’elles coupent les services en francisation. Les organisations syndicales n’ont pas de difficulté à multiplier les exemples des inconséquences à ce niveau. Mais des analyses de la part de ces organisations sur les fondements politiques et idéologiques de ce projet de loi restent à produire.
La Ligue des Droits et Libertés dans un communiqué intitulé Droits et libertés menacés pour la population québécoise, présente une analyse plus développée. Elle dénonce le fait que le PL84, fasse « porter aux personnes immigrantes le fardeau individuel de leur intégration à la société québécoise (…) et dénonce le fait que le PL84 vise à imposer les valeurs de la majorité plutôt qu’à ouvrir un dialogue respectueux des droits culturels de toutes et tous, souligne le fait que le projet de loi 84 fasse de la Loi 21 l’un des socles de sa politique » qui est « une loi discriminatoire, adoptée sous bâillon, sans l’unanimité de l’Assemblée nationale et en utilisant de manière préemptive et mur à mur les clauses dérogatoires de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et de la Charte canadienne des droits et libertés » et que le PL84 ne fasse « nulle part référence au droit des peuples autochtones à l’autodétermination, pourtant inscrit dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. »
2. Critiques des fondements du PL84
Malheureusement, jusqu’ici les critiques ne discutent pas les fondements politiques et idéologiques de ce projet de loi. C’est la notion d’intégration nationale qu’il faut d’abord discuter pour déconstruire le discours porté par le PL84.
Comme l’écrit Saïd Bouamama, le discours dominant sur « la question de l’intégration est de substituer l’alternative intégration / non-intégration à l’alternative intégration dominée / intégration égalitaire. Autrement dit, la place réelle de l’immigration et de ses enfants est un processus reflétant l’état d’une société, la place sociale qu’elle assigne à ses nouveaux membres, les réactions de luttes de ceux-ci pour obtenir une place plus égalitaire. Il s’agit bien de conflits entre une assignation dominée et le refus de celle-ci par les premiers concernés, et non d’adaptabilité, de « distance culturelle » ou de « volonté individuelle ». (…) Le paradigme culturaliste et intégrationniste réduit le réel social complexe en scission binaire, et permet ainsi une dépolitisation des questions analysées. (...). Le paradigme intégrationniste est le cadre idéologique, aujourd’hui quasi hégémonique, permettant cette évacuation des déterminants sociaux. ».
Le PL84 pose l’intégration nationale essentiellement sur le plan culturel et linguistique. De plus, il présente cette dernière avant tout comme un devoir des personnes migrantes, même si l’État est appelé à faciliter cette intégration. Le PL84 néglige ainsi les dimensions économiques, sociales, civiques et politiques de l’intégration.
Micheline Labelle rappelle les différentes dimensions de l’intégration. « Il y a intégration économique lorsqu’il y a participation active au marché du travail et que le travail accompli est en phase avec les compétences acquises et la reconnaissance des diplômes. Dans le cas contraire, la déqualification ou le chômage constituent un obstacle à l’intégration. (…) Oublier ce fait et mettre l’accent exclusivement sur la dimension culturelle revient à négliger les véritables obstacles à l’intégration qui constituent un terreau fertile pour l’adoption de postures antagonistes face à la société québécoise. » La non-reconnaissance des diplômes, les statuts spéciaux en matière de droit au travail et à la syndicalisation, les contrats fermés qui lient les travailleurs et travailleuses migrants temporaires à un employeur, les discriminations économiques de toutes sortes touchant les personnes migrantes et les communautés culturelles sont des exemples de ces obstacles à l’intégration, sans parler du racisme systémique dont le gouvernement de la CAQ, comme le PQ d’ailleurs, refuse de reconnaître la réalité.
L’intégration civique et politique est aussi exclue du projet du PL84. « L’intégration civique et politique signifie que les citoyens de toutes origines puissent participer dans les affaires publiques de la société d’accueil ; le vote, l’engagement dans les partis politiques nationaux, municipaux, les mouvements sociaux, la présence dans les instances municipales, etc. Cet engagement n’empêche en rien la participation dans les dossiers et débats concernant le pays d’origine, par le biais des réseaux transnationaux des immigrants. »(Micheline Labelle). Pourtant, les droits politiques, comme le droit de vote, sont déniés aux personnes migrantes, les constituant ainsi comme un secteur de la population séparé du reste de la société québécoise au niveau de droits politiques essentiels.
La conception culturaliste et individualiste de l’intégration mise de l’avant par le PL84 fait abstraction de l’égalité économique et se refuse à définir ce que serait une inclusion véritable à ce niveau. Elle refuse de prendre en compte le fait qu’une part de plus en plus importante de la population, constituée par les personnes migrantes, n’a pas les mêmes droits sociaux et politiques et en fait des citoyens et des citoyennes de deuxième classe. Le PL84 ne se donne nullement les moyens d’une véritable intégration. En ne tenant pas compte des conditions économiques, sociales et politiques de la population migrante, frappée par diverses discriminations, le PL84 évite d’identifier les réels fondements d’une véritable intégration qui ne peut passer par une égalité économique, sociale et politique. Plus encore, en refusant de reconnaître la réalité pluriculturelle et multinationale de la société québécoise, le PL84 risque de déboucher sur des ultimatums au vivre ensemble sans remettre en question l’assignation des personnes migrantes à vivre dans des positions subalternes dans la société québécoise.
3. Le gouvernement de la CAQ, moins préoccupé d’intégration nationale que de rente électorale
Pourquoi le gouvernement de la CAQ dépose-t-il un tel projet de loi en ce moment ? C’est qu’il juge qu’agiter le thème identitaire permettra de reconstruire sa base électorale. Il a connu un recul dans les intentions de vote au bénéfice du Parti québécois depuis des mois maintenant. Les sondages rappellent que la confiance de la population à son égard s’étiole. Et cela s’explique aisément. Des secteurs importants de la population souffrent de la crise du logement. Le gouvernement Legault s’est montré incapable de répondre aux attentes de la population en matière de santé et d’éducation. Plus, il multiplie les coupures dans les services publics. L’échec de Northvolt et son refus d’agir sérieusement sur le terrain de la lutte aux changements climatiques contribuent également à le discréditer. Sans ajouter que les coupures en matière de francisation démontrent une incohérence avec ses prétentions à vouloir défendre la langue française. La démagogie contre les immigrant-es, tenu-es responsables de tous les maux de la société québécoise, est une excuse facile pour cacher son désastreux bilan. La PL84 s’inscrit dans une politique de diversion.
4. Jeter les bases d’une véritable inclusion de toutes les composantes de la société québécoise
Une véritable politique d’inclusion des personnes migrantes et d’intégration à la société québécoise passera par une politique d’égalité sociale et d’extension des droits économiques, sociaux et politiques. Elle exigera : a) le rejet d’une vision ethniquement homogène de la société québécoise et le rejet du projet nationaliste d’homogénéisation culturelle ; b) une politique s’attaquant aux discriminations et le refus de l’existence de secteurs de la société privés de droits ; c) la liberté de circulation et d’installation de tous les migrant-es ; d) l’éradication du racisme systémique qui touche tant les nations autochtones que les autres secteurs racisés de la population ; e) le rejet des discours qui font des minorités les seules porteuses de l’inégalité des femmes dans la société ; f) par une politique linguistique qui refuse de faire des personnes immigrantes la cause du manque d’attractivité de la langue française ; et enfin, par g) le rejet d’une laïcité identitaire qui essentialise la réalité de la nation.
Il faut éviter de diviser le Québec entre un « nous » défini sur une base généalogique et culturelle et un « eux » qui en serait exclu. Partir sur cette base, c’est créer les conditions de l’approfondissement des divisions ethniques au sein de la société québécoise. La société québécoise doit se définir non pas comme un « nous » dont la substance se construit autour de certaines valeurs partagées. Elle se construit par l’apport de tous et de toutes dans un processus reflétant le nouveau contexte dans lequel toutes les personnes de la société sont appelées à vivre.
Toutes les personnes vivant au Québec, toutes celles qui y œuvrent et qui participent à la création de la richesse commune (et pas seulement économique) font partie de la société et contribuent à son destin national. Pour assurer une véritable inclusion des personnes migrantes, on ne peut accepter que des personnes se trouvant sur un même territoire et dans un même ordre juridique soient traitées différemment ou discriminées. Le principe d’égalité des droits implique donc la libre circulation, mais aussi une série d’autres droits, dont notamment : le droit de s’installer durablement, le droit au travail, le droit de recevoir un salaire égal, le droit d’acquérir la nationalité, le droit de vivre en famille, le droit de vote, le droit à la sécurité sociale, le droit d’avoir accès aux différents services publics, etc. La lutte pour l’égalité des droits doit être la tâche de tous les mouvements sociaux qui visent l’égalité sociale et la fin des discriminations (mouvement syndical, mouvement des femmes, des jeunes, mouvement populaire, mouvement antiraciste, …) Le combat contre les discriminations et l’égalité des conditions et des droits sont à la base de la convergence des différentes composantes de la majorité populaire.
Voilà quelques pistes, qu’il faudra approfondir. Mais elles marquent une rupture radicale avec le nationalisme étroit et d’exclusion que promeut le gouvernement de la CAQ et son projet de loi sur l’Intégration nationale.
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