3 décembre 2020 | tiré du site de Québec solidaire
Pour lire le rapport de la commission, cliquez sur l’icône :
Il m’est arrivé souvent, depuis mon entrée à l’Assemblée nationale du Québec, d’assister aux débats entre parlementaires en ayant l’impression qu’ils ne remplissaient pas d’objectif concret et que le temps et l’argent qui y étaient engouffrés représentaient une perte pour les Québécois.
Or il arrive aussi que, dans l’enceinte de ce gros immeuble, des moments aient lieu où l’intelligence collective trouve un espace pour se mettre à l’oeuvre. L’exercice du mandat d’initiative sur l’avenir des médias auquel j’ai participé en compagnie de députés de la CAQ, du PLQ et du PQ a fait partie de ces moments, malgré le fait que les recommandations sur lesquelles nous nous sommes entendus sont à mon avis insatisfaisantes par rapport à la gravité de la situation des médias au Québec.
Les rencontres les plus riches ont été celles où les groupes ou personnes venus présenter leur mémoire se sont exprimés devant la commission. C’est là qu’en tant que parlementaires nous avons pu prendre acte de l’état des lieux du journalisme au Québec ainsi que des réflexions des principaux acteurs de ce milieu dont les socles fondateurs sont en train de s’effriter à une vitesse ahurissante.
Les discussions que nous avons eues entre députés par la suite n’étaient pas vaines non plus. Elles ont par moments laissé émerger les grandes questions qui devraient selon moi présider à l’élaboration d’une action gouvernementale cohérente concernant l’avenir des médias d’information au Québec.
Malheureusement, lorsque le temps de la rédaction du rapport conjoint est arrivé, ces grandes questions ont cédé la place à d’autres moins ambitieuses : celle des moyens temporaires permettant de boucher les fissures d’une fondation… une fondation assise sur un terrain qui est en train de s’effondrer dans la mer.
Ceux qui ont suivi le dossier connaissent bien le portrait : le monde des médias d’information est en crise depuis l’arrivée des GAFAM. Ces derniers ont capté une grande proportion de l’audimat/lectorat en plus de proposer aux annonceurs une offre de publicité moins coûteuse et plus efficace. Le budget des annonceurs a ainsi migré des médias traditionnels vers les GAFAM dans une spectaculaire proportion, et les revenus des médias québécois ont fondu comme neige au soleil.
Les médias d’information traditionnels ont dû couper partout où ils le pouvaient. Ils ont trouvé des stratégies pour conserver ou augmenter leur public au moindre coût possible : moins d’enquêtes, moins de reportages, moins de recherche fouillée, moins de vérification, moins de collecte d’information de première main, mais plus de commentariat-vedette, plus d’analystes et de chroniqueurs de tout acabit qui, des plus vertueux aux plus manipulateurs, discutent de l’actualité en n’exigeant pour tout investissement que leur cachet et en se basant sur des faits récoltés de façon de plus en plus expéditive.
Ce glissement a frappé de plein fouet la confiance que le public québécois entretient envers son monde médiatique. La méfiance à l’égard de ce dernier gagne du terrain, notamment chez les jeunes, et la majorité des Québécois sont aujourd’hui d’avis que la qualité de l’information dans les médias s’appauvrit. Cela rend plus difficile une large acceptabilité sociale d’un financement public significatif et récurrent de l’information au Québec.
Comment donc s’assurer que le bien public que représente une information locale, régionale et nationale de qualité au Québec puisse continuer d’exister au moment précis où le modèle financier qui le faisait vivre a démontré son obsolescence ?
Voici, pour répondre à cette question qui est en fait la question de fond en ce qui a trait à l’avenir des médias au Québec, quatre grandes prémisses qui auraient dû être à la base de nos recommandations, mais que les députés du gouvernement, malgré leur ouverture et leur bonne volonté manifeste, n’ont pas voulu admettre.
1. Une société démocratique peut-elle se passer de médias d’information sérieux, de journalistes professionnels qui rapportent les faits avec scrupule, qui alimentent le débat public avec de la recherche poussée, qui tiennent les puissants responsables de leurs actes ? Je suis d’avis que non, et qu’il faut donc, vu l’état des lieux, changer complètement de paradigme et envisager les médias comme un service public plutôt que comme des entreprises dont la fonction principale est de vendre du temps de cerveau disponible à des annonceurs. Il faut de toute urgence s’appuyer sur une logique où l’on conçoit l’importance d’informer et d’éduquer plutôt que de distraire à coups de clickbait et de faux scandales.
2. Si on considère que les médias d’information procurent un bien public nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie et qu’une intervention financière significative de l’État est nécessaire à leur survie, peut-on pour autant considérer que les Québécois seront prêts à en mutualiser les coûts, coûts qui ne seront pas négligeables ? Je crois qu’ils seront prêts à le faire, mais pas à n’importe quelle condition.
3. Quelles conditions les médias d’information et/ou les journalistes devraient-ils remplir pour profiter d’un soutien financier significatif de l’État ? À cette question on m’a souvent répondu que d’éventuelles « conditions » aux subventions nuiraient directement à l’indépendance de la presse, principe sacro-saint du journalisme et de toute démocratie qui se respecte. Je réponds que l’exemple de la télévision d’État démontre qu’il est tout à fait possible que le financement provienne du gouvernement tout en étant géré de manière indépendante du gouvernement. En ce moment, le gouvernement de la CAQ, avec son investissement majoré en publicité dans les médias et des programmes de sauvegarde dont les fonds ne suffiront pas à la demande, se garde la latitude de décider quel média sera financé et selon quelles conditions. C’est cela qui fragilisera grandement l’indépendance des médias.
Il faut selon moi qu’une institution indépendante soit mise sur pied (une sorte de Fonds des médias du Québec) pour gérer les fonds publics destinés à l’information au Québec, une institution qui établirait les meilleurs critères de qualité de l’information en se basant sur les codes de déontologie déjà reconnus par le métier. On pourrait aussi exiger du milieu journalistique qu’il se dote d’un statut de journaliste professionnel ou d’un ordre professionnel auquel il faudrait appartenir pour recevoir un financement public (pour des projets indépendants de reportage, par exemple). Il existe plusieurs manières de penser la qualité de l’information en dehors de toute influence gouvernementale et c’est de cela dont j’aurais aimé qu’on traite entre députés.
Je pense qu’ainsi balisé, un financement public significatif et récurrent de l’information au Québec pourrait passer le test de l’acceptabilité sociale.
4. D’où viendra l’argent ? L’État lui-même n’aura pas, dans les années à venir, de l’argent plein les poches, et les contribuables non plus, sauf les plus riches d’entre eux. La réponse a été matraquée par plusieurs députés des partis de l’opposition à toutes sortes d’occasions ainsi que par un très grand nombre de témoins venus nous parler de leur réalité lors des auditions : il faut imposer les GAFAM et le Québec doit être un pionnier, un fer-de-lance dans le domaine. Avec Revenu Québec, il n’a pas à attendre le fédéral, encore moins l’OCDE. Les médias d’information sont un acteur majeur des grands mouvements et des virages politiques auxquels nous prenons part, un miroir de ce que nous sommes et cherchons collectivement à devenir. Notre particularité culturelle fait de ce combat pour l’équité fiscale une nécessité pour la sauvegarde de notre culture. Ce n’est pas rien. Pourquoi le Québec, avec son histoire de militantisme à l’international pour l’exception culturelle, abandonnerait-il cette lutte importante alors même que nous avons grand besoin de l’argent qu’elle rapporterait ?
L’imposition des GAFAM était hélas un autre terrain inadmissible pour les députés de la partie gouvernementale.
Ma recommandation personnelle, suite à cet échec, est que la commission siège de nouveau rapidement pour une nouvelle ronde d’auditions de groupes sur la question de l’avenir des médias, en mettant de l’avant ces quatre grandes questions/prémisses. De toute façon, la situation des médias au Québec bouge tellement vite qu’il y a fort à parier que notre rapport tout frais prendra des airs vieillots dans le temps de le dire.
Je vous soumets la liste des recommandations que j’aurais aimé voir dans le rapport officiel de la commission en plus de celles qu’on y retrouve.
Je tiens à exprimer ma profonde admiration des fonctionnaires qui ont travaillé avec un talent et un professionnalisme impressionnants sur cette commission.
Recommandations Dorion pour l’avenir des médias au Québec
Recommandation 1 (aller chercher l’argent là où il est) :
Que le gouvernement du Québec impose à hauteur de 3 % le chiffre d’affaires réalisé au Québec par les grandes entreprises du numérique.
Recommandation 2 (gérer l’argent public de manière indépendante du gouvernement) :
Que le gouvernement du Québec crée un fonds des médias du Québec et lui octroie un financement capable d’assurer le maintien et le développement d’une information locale, régionale et nationale de qualité au Québec, respectueuse des codes de déontologie reconnus par le milieu, et peu importe son support.
Recommandation 3 (assurer le financement d’un journalisme de qualité) :
Que le gouvernement exige du milieu des médias, pour ceux qui souhaitent bénéficier de subventions publiques, la création d’un statut de journaliste professionnel déterminé par le respect des règles et pratiques et de la déontologie reconnues par la profession.
Recommandation 4 (décloisonner l’information de l’obligation de faire du profit) :
Que le gouvernement favorise l’acquisition d’entreprises de presse en difficulté par des coopératives de travailleurs ; qu’un éventuel fonds des médias du Québec s’inspire du secteur des arts et de la culture pour mettre en place des programmes de financement de projets de journalisme indépendant.
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