Édition du 12 novembre 2024

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Canada

Les richesses de l’Arctique suscitent la rivalité des nations riveraines

La chaleur fait fondre la banquise arctique, ce qui rend envisageable l’exploitation de ses ressources pétrolières. Nouvel objet de convoitise pour les pays riverains, l’océan blanc voit s’affronter les rivalités des nations riveraines. C’est le troisième volet de notre enquête.

« La combinaison d’un recul rapide de la banquise et de progrès technologiques ouvre de nouvelles perspectives économiques dans la région, notamment pour la navigation, l’industrie minière, la production d’énergie et la pêche. Bien que bénéfiques pour l’économie mondiale, ces activités demandent aussi une approche prudente et durable : le non-respect de normes environnementales élevées pourrait avoir des répercussions supplémentaires sur cette région fragile ».

En introduction de sa « Politique pour la région Arctique » publiée en juillet 2012, la Commission européenne pose clairement le contexte de l’Arctique : en dépit des risques environnementaux et de la vulnérabilité de son écosystème, cette région du monde est devenue un objet de convoitises géopolitiques en raison de ses ressources naturelles. Ce qui est d’autant plus préoccupant que manquent les outils juridiques de contrôle et de régulation.

Recelant 13 % du pétrole et 30 % du gaz naturel non-découverts dans le monde selon une étude en 2008 de l’agence de recherche géologique des Etats-Unis, USGS, les eaux arctiques représentent un potentiel économique majeur et nouveau, du fait du changement climatique, car la fonte de la banquise rend ces ressources de plus en plus accessibles. Le « offshore ». Anne Valette, chargée de la campagne Save the Arctic chez Greenpeace France,lance l’alerte : « Dès 2014, nous pourrions avoir du pétrole d’Arctique dans nos voitures ».

Cet enjeu économique se traduit par une nouvelle rivalité géopolitique, avec une course à l’extension des frontières maritimes entre la demi-douzaine de pays riverains de l’Arctique. Depuis 1982 et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (dite de Montego Bay), les Etats peuvent élargir jusqu’à 350 miles marins leurs plateaux continentaux, zone dans laquelle ils contrôlent l’exploitation des ressources du sous-sol. Charge à eux de fournir les études scientifiques et géologiques prouvant que leurs plateaux continentaux s’étendent au-delà des 200 miles marins habituels.

Parmi les Etats frontaliers de l’Arctique, la Norvège a déposé une demande en attente de réponse auprès de la Commission on the Limits of the Continental Shelf de l’ONU. Le Danemark et le Canada s’apprêtent à en déposer une dans les prochains mois, tandis que la Russie, dont la première a été refusée pour un problème d’évaluation des données, doit déposer une nouvelle demande.

Si toutes ces demandes venaient à être approuvées, il ne resterait que 9 % d’eaux libres dans tout le cercle polaire, correspondant aux zones blanches de la carte ci-dessous – les zones rouges représentant les eaux libres actuelles soumises aux demandes des Etats.


 Des eaux de plus en plus convoitées -

Greenpeace demande la « sanctuarisation » de ces eaux aujourd’hui libres : « Nous demandons que ces eaux soient préservées de toute activité économique – forage, pêche industrielle, etc. – au même titre que l’Antarctique où seules les activités scientifiques sont autorisées » explique Anne Valette.

Chercheur sur les océans et les zones côtières à l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales), Julien Rochette ne croit pas à un moratoire : « L’étalement des plateaux continentaux est un fait, les Etats cherchent à profiter des compétences dont ils bénéficient. Il n’est pas réaliste d’imaginer le contraire. Le véritable enjeu, c’est d’encadrer ces activités : comment soumettre l’exploration et l’exploitation offshore à des règles pour protéger l’environnement marin ? ».

Il dénonce ainsi un règlement maritime à deux vitesses. Alors que la plupart des activités maritimes - telles que la pêche ou le commerce - sont régies par des règlements internationaux, l’exploitation offshore échappe à des règles communes, et est encadré seulement par des législations nationales.
La protection des océans se fait donc à la discrétion des pays : « les normes sont différentes selon les Etats et peuvent parfois s’avérer particulièrement inadaptées aux risques que font peser les activités offshore. » Des protections à l’échelle régionale peuvent venir compenser cette carence au niveau international, « comme en Méditerranée où les pays frontaliers s’accordent sur un ensemble de règles globales. Mais dans le cas de l’Arctique, les règles environnementales sont faibles » précise Julien Rochette.

Pourquoi ? « Les Etats sont réticents à adopter des règles communes car les revenus économiques peuvent être très importants. Ils considèrent qu’ils peuvent gérer ces activités comme ils le souhaitent sur leur propre espace maritime ». Imposer la contrainte par des normes environnementales et universelles serait donc l’objectif prioritaire pour réguler les risques de l’activité offshore.

D’autant plus prioritaire que les mécanismes de responsabilité ne sont pas clairement établis en cas d’accident sur les plateformes pétrolières et gazières. Si le risque de marée noire existe, les répercussions peuvent être transfrontalières. Qui indemnise alors, en cas de drame écologique ? Dans le triste cas du Deepwater Horizon, les coûts ont été entièrement pris en charge par la compagnie pétrolière responsable, le géant britannique BP. Ils s’élèvent aujourd’hui à plus de 31 milliards de dollars, pour une marée noire dont le colmatage avait exigé 87 jours d’efforts.

La position des grands groupes pétroliers à l’égard du forage en Arctique est toutefois révélatrice. Contacté par Reporterre, Gazprom France n’a pas souhaité s’exprimer. La compagnie semble toutefois déterminée à passer à l’étape d’exploitation après des années d’exploration. Ce n’est pas le cas de Total. Ce groupe nous précise qu’il a « décidé de privilégier en Arctique les projets gaziers en dehors de la zone de banquise. Pour ce qui est du pétrole, Total exclut à ce jour toute exploration dans des zones de banquise ». Il y a un an, le PDG de la compagnie, Christophe de Margerie, avait déclaré que le risque de marée noire y était trop important.

Aujourd’hui, Total est impliqué dans six projets dans la zone Arctique, tous en dehors de la zone de banquise. Pour Julien Rochette, « à court-terme, les grandes compagnies ne se risqueront pas à l’exploitation car c’est trop risqué et trop coûteux. Plus que le pétrole, ce sont les réserves de gaz qui sont recherchées. Or la demande mondiale en gaz peut être satisfaite grâce aux gaz de schiste... ».

La menace pétrolière est donc encore limitée. Mais mieux vaut prévenir que guérir. C’est le sens de la campagne menée par Greenpeace.

Barnabé Binctin

Journaliste pour le site Reporterre.

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