Édition du 4 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Découplage sans divorce

Peut-être pourrait-on ainsi résumer sommairement l’évolution politique des rapports de force et des relations internationales qui se dessinent dans le monde occidental depuis que Donald Trump a pris les commandes à la Maison-Blanche.
Le président américain demande aux Européens d’assumer davantage de responsabilités dans leur mission de défense face à la Russie et de ne plus compter autant sur les États-Unis pour les protéger de Moscou. De plus, il est prêt à diminuer considérablement le soutien militaire à l’Ukraine, sauf si Kiev lui accorde des concessions commerciales au sujet des ressources minières du pays. Par ailleurs, il traite Vladimir Poutine presque en allié afin de l’éloigner de la Chine et essaie de le mettre en confiance en s’éloignant de l’Ukraine. Il veut, sinon briser l’alliance sino-russe, du moins l’affaiblir.

Sur le continent nord-américain, il exige d’Ottawa une augmentation de 2% de ses dépenses militaires de son PIB et que le gouvernement canadien fasse sa part pour la défense de l’Arctique. Il le menace d’une guerre commerciale sans merci s’il refuse d’obtempérer et ne consente en plus à certaines concessions d’ordre économique, comme la construction d’un pipe-line qui relierait les deux États. On note une intransigeance semblable envers le Mexique, en particulier celle d’une surveillance plus stricte de sa frontière avec les États-Unis pour juguler le flot d’immigrants qui y transitent et le trafic de drogues.

Trump et sa garde rapprochée donnent ainsi l’impression de vouloir relancer l’impérialisme américain au moindre coût, c’est-à-dire en évitant des engagements militaires directs et des dépenses énormes. Washington espère assurer la relance de son hégémonie chancelante. Le sentiment qui préside à cette opération, appuyée par toute une tranche de l’électorat républicain, repose sur la certitude que les États-Unis en ont assez fait pour leurs partenaires et alliés et que ceux-ci doivent désormais endosser leur part de responsabilité dans la gestion des affaires mondiales. On remarque là un sentiment de ras-le-bol à l’endroit d’alliés plus ou moins définis comme des parasites. On attend donc d’eux qu’ils "méritent" le maintien de l’alliance américaine.

On pourrait conclure que nous observons la fatigue d’une puissance hégémonique qui cherche une meilleure répartition des tâches entre elle et ses satellites. Il s’agit d’un découplage, c’est-à-dire d’un transfert de responsabilités entre elle et ceux-ci mais non d’un divorce, impensable vu l’état des rapports de force mondiaux.

Qu’en est-il maintenant du conflit commercial imminent entre le Canada et les États-Unis ? S’il est mené à terme, un certain découplage deviendra inévitable entre les deux pays, ce qui n’est pas mauvais en soi. Ottawa serait alors obligé de diversifier ses échanges avec d’autres nations et de prendre des mesures pour faciliter le flux commercial entre les provinces. Cette réorientation politique diminuerait sa dépendance envers son énorme voisin. Il y aurait bien entendu un prix à payer pour cette relative émancipation à l’endroit des États-Unis : des difficultés sociales et économiques en raison des mesures de rétorsion américaines. Mais à la longue, un meilleur équilibre commercial et économique en faveur du Canada pourrait en résulter.

Mais on serait quand même encore très loin d’une rupture. La population américaine compte 340 millions de personnes et elle représente un immense marché à la porte même du Canada ; ce dernier fait figure de nain par comparaison avec ses 40 millions d’habitants (dont 9 millions de Québécois) et son commerce est encore très dépendant du marché américain. Il est impossible de transformer cette situation du jour au lendemain. De son côté, vu l’étroite imbrication des deux économies, la République américaine n’a pas intérêt à ruiner son voisin nordique.

Là encore, on pourrait parler d’un (modeste) découplage, mais pas d’un divorce. Ottawa n’a pas les moyens d’arracher une totale indépendance à l’égard de son gigantesque voisin, du moins pas à un prix que le plupart des Canadiens et Québécois seraient prêts à accepter.

Il est difficile de prévoir à l’heure actuelle jusqu’où l’administration Trump est prête à aller dans ses pressions sur le gouvernement canadien. Si le relations entre les deux puissances s’enveniment et que de sérieux contrecoups économiques s’ensuivent pour plusieurs régions américaines, la tentation de diminuer son intransigeance incitera peut-être la clique Trump à modérer ses tactiques de harcèlement

Pour l’instant en tout cas, il s’avère difficile de faire la part entre les intentions claironnées de Trump et ce qui relève de simples manoeuvres d’intimidation. Une chose est certaine : sa volonté de faire du Canada le 51ème État américain relève du songe... l’heure est bien davantage au découplage qu’au mariage.

Jean-François Delisle

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