Tiré de The Breach
18 janvier 2025]
Traduction Johan Wallengren
Le président qui arrive au pouvoir aux États-Unis, Donald Trump, a ces derniers temps réfléchi à voix haute à l’idée d’utiliser la « force économique » aux fins d’annexion du Canada. Cette menace est brandie avec une telle outrecuidance que bien de gens n’y voient que fanfaronnade, incapables qu’ils sont d’accepter qu’un président des États-Unis fasse planer une telle menace sur le sort de notre économie.
On aurait cependant tort de prendre ces propos à la légère, et Trump doit être traité comme un acteur hostile à la sécurité économique du Canada. Au niveau fédéral, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a eu le mérite de chercher à rallier des partisans derrière son plan contre Trump, qui consiste à préparer des représailles à tous tarifs douaniers que Trump pourrait imposer et à veiller à restreindre l’accès des sociétés américaines aux richesses minières du Canada.
Mais ces mesures de rétorsion, aussi nécessaires soient-elles, éludent un problème majeur. Ce n’est pas avec des tarifs douaniers et des messages sur Twitter que nous parviendrons à nous tirer de ce bourbier. Nous devons plutôt nous débattre avec la dure réalité que ce sont 40 ans de capitalisme néolibéral au Canada qui nous ont placé dans une telle position de faiblesse qu’un président peut à lui seul ternir notre avenir économique.
Pour résister véritablement à l’agression américaine, nous avons besoin d’une solution axée notamment sur des nationalisations, une planification économique et une participation des travailleurs, solution qui passe en d’autres mots par le socialisme.
Le passé du Canada offre quelques leçons et idées pour nous rapprocher de cet objectif. Les gens de gauche au pays ont jadis promu la vision d’un État robuste et de syndicats forts, gages de la construction d’une société socialiste démocratique indépendante. Il est temps de redonner vie à cette vision.
La réappropriation, rempart contre l’empire américain
Une partie du problème réside dans la profonde intégration de l’économie canadienne à l’économie américaine.
Lorsque des capitaux américains et étrangers sont investis dans une part aussi importante de l’économie canadienne que maintenant, en particulier dans des secteurs stratégiques tels que l’énergie, l’exploitation minière et l’industrie lourde, il ne faut pas s’étonner qu’un président américain s’en serve comme d’un levier.
Il y a un peu moins de 60 ans, il a pu sembler que le Canada était sur la bonne voie pour construire une économie plus autonome. Sous l’impulsion d’intellectuels de gauche et de militants syndicaux au sein du NPD et à l’extérieur du parti, des efforts ont été déployés non seulement pour se pencher sur l’étendue et les effets de la mainmise économique américaine sur le Canada, mais aussi pour s’y opposer.
Dans le contexte de la publication du rapport Watkins, qui détaillait pour le gouvernement fédéral les implications de l’engagement étranger dans notre économie – révélant pour la première fois à quel point le Canada était contrôlé par l’étranger sur le plan économique – il y a eu un grand sursaut de la part d’organisations nationales de gauche.
Des voix se sont élevées dans le champ gauche pour faire pression sur le gouvernement libéral de Pierre Trudeau afin qu’il s’engage à exercer un contrôle accru sur l’économie canadienne, notamment par la nationalisation d’industries clés, au premier rang desquelles l’énergie. (Il faut reconnaître que ces nationalistes de gauche ont souvent, mais pas toujours, négligé l’importance des droits des autochtones et de l’autodétermination). Ils ont fini par remporter des succès, parmi lesquels la création de la société publique Petro-Canada, obtenue uniquement parce que le leader du NPD David Lewis en avait fait une condition dans une entente intervenue du temps du gouvernement minoritaire de Trudeau en 1972.
Mais ces progrès initiaux se sont rapidement estompés lorsque le Canada et la plupart des pays occidentaux ont adopté des politiques de privatisation et ont adhéré au capitalisme néolibéral. Les gouvernements Mulroney et Chrétien ont ouvert les bras aux capitaux américains et à l’entreprise privée ; et ce qui a joué un rôle encore plus déterminant est que l’approche initiale de Trudeau père était trop motivée par le souci de permettre aux capitalistes canadiens d’avoir les coudées franches.
Nous devons tirer les leçons de ces échecs historiques : Le Canada doit défier la domination américaine en veillant à donner à l’État un certain contrôle sur l’ensemble des ressources stratégiques et des moyens de production.
Pendant 40 ans, le Canada a joué la carte de la privatisation et de l’intégration dans l’économie américaine. Cela n’a pas permis d’assurer la sécurité économique de notre pays, comme le montrent avec limpidité les menaces de Trump.
C’est dans cet esprit que le NPD doit faire preuve de courage et commencer à dire clairement que le capitalisme nous a desservi. Le socialisme peut nous mettre sur une autre voie.
Relancer la planification économique
Il est clair que le Canada a besoin que l’État reprenne un certain contrôle sur l’économie et se dote d’une vision à long terme pour être en mesure d’écarter des menaces telles que celles que Trump s’est mis à diffuser.
Mais ce n’est pas en un claquement de doigts que ces objectifs pourront être atteints. Il faut une planification économique réfléchie pour remettre en cause la mainmise américaine sur notre économie.
En effet, c’est le NPD, à ses débuts dans les années 1960, qui a soutenu, aux côtés des syndicats, que faute de planifier notre avenir économique, nous serions incapables de tenir tête aux États-Unis le moment venu. Eh bien, le moment est venu, et nous sommes pris au dépourvu.
À l’époque, le NPD et les syndicats réclamaient non seulement des sociétés d’État comme Petro-Canada, mais aussi une société d’État centrale qui investirait dans des projets en échange d’une participation au capital et d’un contrôle par les Canadiens, qui pourraient faire valoir des objectifs économiques d’une manière que les capitalistes ne permettraient jamais.
Ceux-ci ont aussi mis de l’avant que cette planification permettrait de mieux construire une économie est-ouest afin de réduire la dépendance à l’égard du commerce avec les États-Unis. L’objectif n’a jamais été, bien sûr, d’éliminer le commerce avec nos voisins du sud, mais bien d’éviter le calvaire actuel.
Malheureusement, tout cela a été soit rejeté par les gouvernements libéraux et conservateurs, soit rapidement démantelé lors de la vague de vente d’actifs des gouvernements dans les années 1980.
Trump a menacé, par exemple, de couper l’accès du Canada au marché américain de la construction automobile. De nombreux composants du secteur sont fabriqués au Canada, puis expédiés au sud pour entrer dans le processus de fabrication. Si la production de bout en bout pouvait s’enraciner au Canada, cela réduirait la portée des menaces de Trump.
Des pays comme la Norvège ont été beaucoup plus prévoyants en créant des industries énergétiques nationalisées qui ont rendu leurs citoyens plus riches que les Canadiens tout en constituant des fonds pour mieux planifier leur avenir économique. Ici, en revanche, nous avons de façon répétée « laissé aller à vau-l’eau » les booms pétroliers*.
Reste que la solution n’est pas de céder aux capitalistes à saveur de sirop d’érable plutôt qu’aux Américains. Galen Weston ne protégera pas plus la classe ouvrière canadienne que le ferait un magnat du Texas.
Le NPD a pris des initiatives qui ont requinqué un peu la flamme en demandant des comptes à classe des milliardaires, traînant certains d’entre eux devant des commissions parlementaires pour les interroger sur les prix abusifs. Pour ce qui a été de sévir contre les capitalistes du milieu de l’épicerie canadienne, une récente enquête de la CBC qui a révélé que ceux-ci lésaient les Canadiens en pratiquant des prix excessifs dans le commerce de la viande a montré qu’il y avait lieu de prendre des mesures.
Mais les auditions des commissions parlementaires ne suffisent pas. Oui, nous devons nous attaquer aux entreprises qui vivent aux crochets de l’état en obtenant toutes sortes d’avantages**, mais nous devons aussi nous attaquer de front à la question des participations étrangères et de la planification économique.
Une vision socialiste audacieuse pour l’avenir
Une des idées fausses sur le socialisme est que sa doctrine est focalisée uniquement sur le contrôle de l’État.
Une plateforme socialiste doit comprendre le contrôle de l’industrie par les travailleurs, ce qui peut aller de la syndicalisation universelle à la propriété directe des moyens de production sur le lieu de travail et mener à la démocratie économique au sens le plus large possible. Cela recouvre la propriété collective des entreprises, un plus grand pouvoir des travailleurs et une participation réelle des citoyens aux décisions relatives au fonctionnement de notre économie.
Une démocratie solide qui ne se réduit pas à l’acte de voter lors d’échéances qui se succèdent à quelques années d’intervalle mais permet d’exercer un contrôle collectif au jour le jour est essentielle pour dresser des barrages susceptibles d’endiguer la domination américaine.
De nos jours, les gens de la classe ouvrière n’ont pas leur mot à dire sur les décisions prises relativement à leur travail ni concernant les produits et les bénéfices généré par celui-ci. De ce fait, les travailleurs canadiens ont peu de contrôle direct sur leur destin, que ce soit au plan national ou dans nos relations avec les États-Unis.
Ce n’est qu’en restructurant notre société de manière que les Canadiens puissent dans une certaine mesure s’approprier leur lieu de travail, leur économie et leur pays que nous pourrons construire un rempart contre les attaques de Trump.
Il est toutefois essentiel de ne pas perdre de vue que la résistance à la domination américaine via le nationalisme économique ne doit pas occulter la recherche de la justice pour les peuples des premières nations, qui doivent être des partenaires de premier plan dans la construction d’une société et d’une économie démocratiques, notamment en mettant fin à notre propre agression coloniale en tant que pays et en procédant à une véritable restitution des terres.
Le moment est venu pour le socialisme démocratique de briller à nouveau, ce qui pourrait donner une occasion au NPD de s’illustrer. Des sondages récents montrent qu’une majorité écrasante de Canadiens rejettent les projets de Trump, et les néo-démocrates s’y opposent presque unanimement.
Nombreux sont les partisans faisant partie de la base du parti conservateur qui souhaitent prendre la nationalité américaine et l’engagement du parti libéral en faveur du capitalisme néolibéral ne lui permet pas de réagir en proposant quelque plan cohérent au-delà de la perspective d’attendre qu’un président démocrate retourne à la Maison Blanche.
Dans l’immédiat, le NPD se trouve devant une opportunité inestimable, alors qu’un mouvement anti-Trump se dessine, une occasion de se porter à la défense des travailleurs et des emplois. Mais cela est loin d’être suffisant : le parti doit procéder à des changements structurels fondamentaux pour réellement et significativement embrasser une vision de gauche.
Le NPD doit devenir le champion d’un avenir socialiste audacieux.
* L’auteur fait allusion ici à des autocollants qui sont apparus sur des voitures dans l’ouest du pays, avec la formule (en anglais) suivante : « PLEASE GOD LET THERE BE ANOTHER OIL BOOM.I WILL NOT PISS IT AWAY THE SECOND TIME ».
** L’auteur parle en anglais de « corporate welfare bums » une expression dont l’histoire est retracée dans une vidéo et un article (en anglais) disponibles sur le même site que l’article, à l’adresse Web : https://breachmedia.ca/corporate-welfare-bums-its-payback-time/
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