Allo ? Est-ce qu’il y a quelqu’un au bout du fil ?
Face à des questions hyper importantes comme les coupures sauvages contre l’assurance-emploi, le syndicalisme canadien ne répond pas à l’appel, laissant les syndicats du Québec et en partie au moins, du Nouveau-Brunswick, se battre seuls. Le Congrès du travail du Canada (CTC), qui regroupe en théorie la majorité des syndicats canadiens ne s’intéresse pas à cette bataille, pas plus non plus que les grands syndicats du secteur privé et public en Ontario où se trouvent pourtant des unités syndicales de longue tradition. Selon Herman, une des raisons de cet autisme relève du fait que l’idéologie néolibérale du tout-le-monde-contre-tout-le-monde a pénétré les syndicats et les syndiquéEs. Ce n’est pas rare, affirme-t-il, de constater que les syndicats ont intégré la nécessité de la « compétitivité » de « leurs » entreprises, ce qui va à l’encontre de la solidarité et de la coopération, pourtant à la base du syndicalisme. En pratique, les travailleurs et travailleuses sont de plus en plus segmentés en diverses « catégories » : permanents, semi-permanents, précaires avec droits, précaires sans droit, etc.
Le recul des TCA
Grand syndicat industriel (qui vient de fusionner avec le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier), les TCA ont pendant plusieurs années donné le ton au syndicalisme canadien. Ils avaient au-delà d’une structure efficace de négociation des conventions collectives investi dans l’action politique, notamment contre le gouvernement hyper conservateur de Mike Harris en Ontario dans les années 1990. Depuis la crise de 2008 toutefois, les TCA subissent recul après recul. Le gouvernement qui a sauvé de la faillite General Motors et Chrysler les a forcés à accepter de fortes concessions sur les avantages sociaux, les droits des nouveaux travailleurs, le temps de travail. Ces reculs par la suite ont été « négociés » par les autres entreprises du secteur, comme Ford, où les TCA ont même accepté de lier les niveaux des coûts de la main d’œuvre à ceux en vigueur dans les usines de montage délocalisées et non-syndiquées. Quelques mois plus tard malgré les belles promesses, Ford a fermé une de ses usines à Oshawa forçant au chômage plus de 2 000 travailleurs. Une autre défaite catastrophique a été vécue à Electro-Motive Diesel (EMD) à London en Ontario. Le propriétaire, la méga entreprise américaine Caterpillar « offrait » de maintenir l’usine en opération à condition que les salaires soient réduits de 50 % ! Une certaine mobilisation a été organisée, mais elle a eu peu d’impact. Plus tard, les TCA ont négocié des indemnités de départ. D’autres durs reculs ont été imposés contre les Métallos à Vale/Inco (Sudbury) et US Steel (Hamilton), surtout sur les régimes de retraite. Selon Herman Rosenfeld, les syndicats concernés n’ont pas eu l’audace des 780 lock-outés d’Alcan à Alma qui ont tenu bon pendant six mois et qui ont mobilisé massivement la population locale pour imposer un règlement à la satisfaction des travailleurs.
Un secteur public à la défensive
Des défaites importantes ont été enregistrées aux Postes lorsque le gouvernement fédéral est intervenu pour imposer un « règlement » tout à fait insultant en mars 2011. Plus tard, les travailleurs et travailleuses d’Air Canada ont subi le même sort aux mains du gouvernement Harper. En Ontario et en Colombie Britannique, les enseignants ont négocié le gel des salaires et l’élimination de congés de maladie (la bataille continue en Ontario cependant). Dans le monde municipal, le SCFP a été attaqué par une vaste campagne de dénigrement à Windsor et plus tard à Toronto où le populiste de droite Rob Ford a été élu sur le dos des droits syndicaux (2012). En général, la direction syndicale s’est contentée de faire campagne pour le NPD. Toutefois, il faut noter le fait que le SCFP s’est joint à des coalitions comme Ontario Coalition Against Poverty dans le cadre de la campagne Raise the Rates en faveur des bénéficiaires de l’aide sociale. Mais habituellement, ces initiatives se limitent à des activités de lobbying et de relations auprès d’alliés politiques élus.
À la recherche d’alternatives
Contrairement au Québec où la tradition existe de constituer de grandes coalitions syndicales et populaires, le mouvement syndical canadien se retrouve bien seul. Des débats sont en cours dans certains syndicats et parmi la frange militante pour redynamiser le mouvement, ce qui passe par rétablir des liens de solidarité actifs (pas seulement des déclarations) avec les chômeurs, les bénéficiaires de l’aide sociale et les mouvements sociaux. Il est nécessaire également de faire un très gros effort du côté des nouveaux immigrants, dont une bonne partie est confinée dans les emplois précaires et mal payés. Pour Herman Rosenfeld, il faut aller plus loin encore, et changer l’orientation de l’action syndicale, en confrontant le néolibéralisme directement. Cela implique des interventions énergiques pour sauver le secteur public, menacé de tout bord tout côté par les privatisations en douce ou en force. Dans le secteur privé, les syndicats doivent cesser de s’identifier à « leurs » entreprises et ne pas embarquer dans la politique glissante des concessions qui a totalement érodé la force syndicale aux États-Unis.
Rebâtir une force
Isolés les uns par rapport aux autres, les syndicats canadiens le sont aussi par rapport aux syndicats québécois. La FTQ, qui fait partie en principe du CTC, est une entité à peu près totalement indépendante, ce qui découle des revendications légitimes des syndicats québécois pour agir sur leurs propres bases. Mais dans un sens, cette autonomie a été pervertie en encourageant la direction syndicale au Canada à pratiquement ignorer ce qui se passe au Québec. L’exception (importante) étant les entités syndicales qui représentent à la fois les travailleurs et les travailleuses du Canada et du Québec, comme le STTP et l’Alliance de la fonction publique fédérale, notamment et où bon an mal an, la solidarité syndicale est nécessaire des deux côtés de l’Outaouais. Sur des questions politiques fondamentales, le CTC n’a jamais été capable d’appeler les choses par leur nom et d’appuyer clairement le droit à l’autodétermination du Québec, contrairement à des syndicats (pourtant affiliés au CTC) comme le SCFP et les TCA. Face au projet de Forum des peuples du Québec, du Canada et des Premières Nations (que nous avons évoqué dans une chronique précédente), les secteurs de gauche tentent de mobiliser la base en dépit de nombreux obstacles (indifférence, manque d’expérience à ce niveau, hostilité de certains chefs syndicaux, etc.). Sur le plan positif, plusieurs secteurs syndiqués se rendent maintenant compte de la gravité des politiques en cours et encore plus, de celles qui s’en viennent. C’est frappant dans le secteur universitaire par exemple où pour la première fois de leur histoire, des syndicats de profs se préparent à l’affrontement. Il faut dire enfin que la mobilisation des Carrés rouges québécois a impressionné beaucoup de monde au Canada, d’autant plus qu’elle dans une large mesure gagné la « bataille des idées », mais aussi forcé les dominants à reculer. Des rencontres organisées par les syndicats étudiants avec l’ASSÉ ont rempli des salles, une première au Canada dit anglais ! Est-ce le début de quelque chose ?!?