Il serait trop facile cependant d’accuser Pauline de « trahison ». À moins d’être sur une autre planète, on ne peut que constater l’étroitesse de sa marge de manœuvre, et pas seulement parce qu’elle dirige un gouvernement minoritaire. Certes, la majorité PLQ-CAQ peut tout bloquer, mais il n’y a pas que ce facteur.
L’« élite économique » (pour ne pas l’appeler par son nom : la bourgeoisie) exerce une influence énorme sur les décisions politiques. À l’échelle locale ou internationale, la réalité est qu’il existe un consensus « mur à mur » entre les diverses factions de la bourgeoisie. Ce consensus est qu’il faut accélérer les « réformes » néolibérales, ce qui signifie en clair démantibuler peu à peu (mais systématiquement) ce qui reste de l’héritage keynésien. C’est sans compromis. Si des débats existent, c’est sur le comment, compte tenu des rapports de forces qui existent dans diverses sociétés. Mais il y a unanimité sur le but à atteindre.
Le message aux éluEs ne peut pas être plus clair, et il est assorti de menaces directes et explicites, notamment la fuite des investissements et la fermeture des entreprises. Les gouvernements « responsables » qu’ils soient de droite ou de centre ou même de centre-gauche concluent habituellement qu’il est impossible de confronter cette réalité sans perdre le pouvoir. Je n’excuse ni Pauline Marois ni Thomas Mulcair ni François Hollande ni n’importe qui, mais cette réalité découle d’une lecture « réaliste » du rapport de forces au niveau de la gouvernance et non d’un désir de « trahir ».
Évidemment il y a un autre choix, mais cela implique de confronter les dominants et de s’appuyer sur un vaste éventail de forces et de classes populaires et moyennes. C’est ce choix qu’on peut observer actuellement dans certains pays d’Amérique latine comme la Bolivie et l’Équateur. Là, les mouvements populaires sont plus puissants. Ils font pencher la balance et il apparaît alors plus « réaliste » aux gouvernements de gérer la crise autrement. Admettons également qu’il y a des acteurs politiques qui décident de se tenir debout (le facteur de l’individualité a aussi son importance).
Revenons au Québec. Historiquement depuis la défaite du référendum de 1980 (et celui de 1995), les chefs du PQ ont pensé qu’il était impossible de confronter les dominants et que le seul choix était de faire le dos rond. Cela leur a permis d’être effectivement le gouvernement durant quelques années, mais à quel prix ?
Depuis longtemps, le vote pour le PQ est en déclin. Ce n’est pas un secret que l’abstentionnisme affecte davantage le PQ que le PLQ ou la CAQ-ADQ, car ce sont les électeurs et électrices des classes populaires qui ne votent plus, parce qu’ils sont désenchantés (en dépit de certains projets qui répondent aux aspirations populaires comme les CPE par exemple). Cette déception est en train d’évoluer maintenant en faveur de la croissance lente mais sérieuse d’un nouveau pôle autour de Québec Solidaire.
Si le PQ perd du côté populaire, il ne parvient jamais à progresser du côté des élites (la bourgeoisie). Quelque soit le compromis, ce n’est jamais assez pour celles-ci, en partie parce que le PQ ne provient pas de ces élites : il n’est pas « fiable », un peu comme le NPD ou le PS français aux yeux de la bourgeoisie canadienne ou française. En se mettant sur le terrain de la « gestion réaliste » et de l’acceptation des contraintes de la bourgeoisie néolibérale, les partis de centre et de centre-gauche sont condamnés non seulement à l’impuissance, mais à la défaite. À moins de se transformer totalement vers la droite, ce qui est arrivé avec les Travaillistes anglais notamment. Tony Blair en effet a réussi son coup en faisant du Labour Party un parti « fiable » du point de vue de la bourgeoisie.
Or une telle transformation arrive rarement. Ce n’est pas impensable au Québec (avec le PQ) ou même au Canada (avec le NPD), mais les obstacles sont nombreux. La bourgeoisie exige plus qu’un simple « reniement » de circonstance. Il faut une refonte interne. Un parti de centre relooké à droite doit éliminer son membership autrement que sous la forme symbolique. En termes programmatiques, il faut une adhésion « sincère » à la pensée unique du néolibéralisme : tout-au-marché, recentrage de l’État sur les fonctions de contrôle et de répression, participation « enthousiaste » aux organismes supranationaux du néolibéralisme (OMC, OTAN, etc.). Et encore, il faut que ces partis fassent leurs « preuves » pendant plusieurs années avant que les dominants puissent dire qu’ils sont réellement « fiables ».
En plus dans le cas québécois, les bourgeoisies estiment que le PQ ne peut être fiable à moins qu’il n’enterre définitivement la possibilité de la souveraineté, même une souveraineté édulcorée. Ce n’est pas juste la question d’un référendum hypothétique que le PQ doit remettre à la semaine des quatre jeudis, mais le projet dans sa substance même.
De tout cela, je retiens que l’avenir du PQ est plutôt problématique. L’exercice actuel pourrait produire le même effet que celui qu’on a vu en 1985 puis en 2003. La base populaire déjà étroite (33%) du PQ pourrait s’effriter. Les dominants pourront « relooker » la droite quitte à occulter leurs projets de restructuration avec la démagogie habituelle. Et le tout pourrait se transformer dans une autre dégringolade pour le PQ.
À moins que …
En politique, il ne faut jamais dire jamais. Trop de facteurs entrent en jeu. Et les dominés ne sont pas de simples objets, de « petites choses » qu’on mène à l’abattoir sans rien dire. Avec les Carrés Rouges, le Québec a connu une formidable mobilisation citoyenne. On dira, avec raison (contrairement à la naïveté d’une certaine extrême gauche) qu’on ne peut faire des manifestations de milliers de personnes pendant des années. On dira aussi que la convergence entre les mouvements repose encore sur une base fragile. On dira enfin que QS n’as pas encore réussi à transposer sur la scène politique cet élan de mobilisation. On dira tout cela et d’autres choses encore. Mais on ne pourrait pas dire que ce mouvement n’a rien changé. D’une part, ce mouvement n’est pas sorti comme un lapin d’un chapeau : il vient de loin, de la Marche des femmes au Sommet des peuples en passant par les grandes mobilisations syndicales et écologistes des 10 dernières années. D’autre part, ce mouvement a secoué la conscience populaire. Il a semé l’idée subversive que les dominants ne sont pas si puissants que cela. C’est un point de rupture …
De cela plusieurs choses peuvent se produire. La construction des grandes coalitions populaires peut s’approfondir face à des enjeux qui restent globalement les mêmes : la défense des services publics et de l’accès à la santé et à l’éducation et la lutte contre la prédation des ressources liée à l’assaut contre l’environnement. Finalement, la démocratie réelle, pas la démocratie de façade actuelle, mais une refonte des institutions qui rendraient, enfin ! les gouvernements imputables, et pas seulement à tous les 4 ans !
On en est rendus là. On peut le faire. En étant optimistes et en misant sur l’intelligence stratégique instinctive du mouvement populaire, on pourrait aller loin.
S’il y a encore des zones de réflexion au sein du PQ (je suis sûr qu’il y en a), il se pourrait que cela modifie le cours des choses. Mais attention ! Il est trop tard pour le PQ revienne à ses racines de centre-gauche, n’en déplaise à quelques nostalgiques. De là à capituler pour espérer gagner les prochaines élections en alliance avec la CAQ, il y a une marge ! Dans cette marge, il y a un espace pour le PQ pour mettre de l’eau dans son vin, pas seulement pour plaire à ceux « d’en haut ». Si ce n’est que pour espérer continuer, Pauline Marois devra tenir compte de l’état de mobilisation et d’organisation des mouvements et de QS. C’est en gagnant de « petites » victoires et en forçant les gouvernants à céder qu’on arrivera à construire une grande force.
La balle, finalement, est dans notre camp.