Jean-François Lisée déplorait ses critiques trop sévères au parti dans son discours du 21 septembre 2014. Stéphane Bédard présentait ce discours du 21 septembre 2014 comme un éteignoir. Parizeau rageait, lui, de se voir réduit à son passé. Il réclamait haut et fort un droit de parole pour maintenant. Lorsque de jeunes députéEs, péquistes, et des moins jeunes, l’appelaient dans une lettre ouverte au Devoir à se taire et à leur faire confiance, il leur répondait vertement qu’il ne se ferait pas enlever son droit de parole. Il avait tant à dire encore...
Car sa préoccupation principale, lui qui ne lâchait pas, c’était de définir les voies de la reconstruction du mouvement souverainiste. Il ne revenait pas de la confusion semée à tout vent par son parti, des tergiversations sans fin, du refus de la direction péquiste de préparer activement un nouveau rendez-vous avec l’histoire. Il l’a dit et l’a redit, c’est l’irrésolution de l’état-major péquiste qui est responsable de la désorientation néfaste et destructrice qui a contribué à bâtir le parti des abstentionnistes. Comme pragmatique et comme homme d’action, il cherche d’abord à sortir son parti de l’enlisement. Il ne s’appesantit pas sur les fondements historiques de l’ambiguïté du discours péquiste moyen. Car il y retrouverait le fondement de sa singularité et de sa tragique solitude. La classe des affairistes québécois, dans sa vaste majorité, est apatride et si elle est prête à passer à la caisse le plus souvent possible, elle a renoncé à tout projet d’indépendance politique. Cette solitude a été tragique. L’argent donné par l’État québécois, par le peuple du Québec au Québec Inc., cette classe l’a gardé par-devers elle et elle s’est hâté de profiter de sa force nouvelle pour défendre la fédération canadienne comme le garant de la stabilité nécessaire à ses stratégies cumulardes. Oui, l’indépendance a été battue par l’argent et sa cupidité.
La perspective indépendantiste a aussi été renvoyée aux calendes grecques par les cadres nationalistes et la classe politique des dirigeants péquistes. La gouvernance de l’État provincial est devenue leur obsession. Dans leurs mains et dans leur esprit, la souveraineté a muté en gouvernance souverainiste, appellation frauduleuse d’un autonomisme qui n’ose pas dire son nom. Ces élites nationalistes n’ont pas hésité à sacrifier leur option tout en essayant de masquer par des contorsions tactiques sans fin leur démission devant un combat que Jacques Parizeau, lui, n’a jamais abandonné. La volonté des péquistes d’éviter de faire une élection référendaire deviendra leur principale préoccupation. Ce sont les fédéralistes, qui leur rappelleront, à chaque élection, que la question de l’indépendance ne saurait être remise au surlendemain. Ce sont les élections qui donnent un mandat pour agir, et on doit avoir le courage d’aller chercher un tel mandat, aimait à répéter Jacques Parizeau.
Jacques Parizeau se désolait que tant de souverainistes soient des souverainistes mous, des indécis, des tièdes, des incapables. Il n’a pas voulu reconnaître les raisons de cet état de fait. La minorité dominante utilise la souveraineté comme un marchepied vers le pouvoir. Seule la majorité populaire peut mener ce combat jusqu’au bout. La souveraineté du peuple est l’unique base au combat indépendantiste. Et tu ne convies pas un peuple à préparer son avenir, s’il n’est pas appelé à définir lui-même l’orientation que tu veux qu’il prenne. C’est le peuple qui doit décider de la suite des choses et son rôle ne doit être réduit à un oui ou à une question posée par la classe politique nationaliste au pouvoir. Il n’avait donc pas la clé du dépassement de l’impasse actuelle dans laquelle le PQ a entraîné les indépendantistes...
Jacques Parizeau était un stratège et il avait du cran. Il avait préparé des alliances avec des gouvernements amis. Il avait mobilisé l’argent qui devrait être disponible pour faire face à d’éventuelles mesures de déstabilisation des fédéralistes. Il insistait sur la droiture, l’esprit de décision dont devaient faire preuve les états-majors du mouvement indépendantiste. Il pouvait aller jusqu’à organiser de vastes écoutes collectives du peuple, comme l’avaient été les commissions itinérantes sur l’avenir du Québec qu’il avait initiées. Mais le pouvoir réel restait du côté des états-majors recrutés parmi les nationalistes de la classe dominante qui se sont avérés structurellement incapables de relever les défis qu’il leur a proposés. L’objectif de l’indépendance ne peut passer à côté du renforcement, de la mobilisation, de l’unification des classes populaires autour d’un projet de transformation réelle de la société québécoise.
En ce sens, Jacques Parizeau appartient encore et toujours au Parti québécois même si ce dernier ne le mérite pas. Faut-il envisager de construire un autre parti. Sa réponse est claire. Il propose la reconstruction du PQ comme parti indépendantiste, comme parti unique du mouvement souverainiste. Option nationale était pour lui comme pour plusieurs un instrument de redressement du Parti québécois. Pour Jacques Parizeau, il fallait un parti sachant unir les organisations patronales et les organisations syndicales, tous les QuébécoisEs. En cela, il s’inscrit dans un horizon de classe qui refuse de questionner un système économique qui s’avère de plus en plus désastreux pour la planète, qui provoque des inégalités de plus en plus graves et une concentration de la richesse dans les sommets de la société.
La solitude de Pierre Karl Péladeau que certains ont baptisé de fils spirituel de Jacques Parizeau, face à sa classe n’est pas tragique, elle est suspecte et douteuse. Après avoir mangé à tous les râteliers, et particulièrement à celui de l’argent public, le voilà qu’il identifie ses richesses personnelles à la richesse du Québec. La défense acharnée de ses droits à une accumulation sans frein est décrite par des indépendantistes désorientées comme de la rigueur et de la détermination. Mais c’est tout le contraire de ce qui peut fonder la mobilisation populaire. L’histoire trouble des rapports de la direction nationaliste à la classe dominante, en bégayant, se répète aujourd’hui sur le mode de la farce trompeuse et risque de déboucher sur des impasses plus graves encore.
Jacques Parizeau acceptait lui de vivre ce rejet, mais sans jamais abandonner l’espoir en nous invitant de toujours garder le cap sur l’indépendance. Et cela, nous ne l’oublierons pas !
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