D’abord, il est certes paradoxal qu’un tel règlement émane d’un ministère chargé de la lutte aux changements climatiques [2]. Il est aussi extrêmement gênant de considérer qu’il répond aux demandes des citoyens et des municipalités. Qu’ont appris nos décideurs, qu’ont-ils retenu de la mobilisation sociale sans précédent, des audiences et consultations multiples sur la question et de la démarche rigoureuse et démocratique menée par des milliers de citoyens et des centaines d’élus pour doter leurs municipalités de règlements adéquats pour la protection de leur eau [3] ?
Avant même le début du processus annoncé d’évaluation environnementale stratégique sur la filière des hydrocarbures, le MDDECL va donc ainsi de l’avant avec ce règlement fondé sur la gestion de risques mal évalués [4] ? Certes, en vue de contribuer à l’« allègement réglementaire », une étude d’impact économique (EIE) du règlement a été commandée. Le rapport signale une incertitude quant à son coût d’opérationnalisation : les impacts globaux à long terme pour les entreprises pétrolières ou gazières « n’ont pu être évalués en raison des difficultés à déterminer le potentiel de développement de l’industrie » [5]… potentiel qu’on espère abondant – il va de soi – pour rentabiliser l’imposante infrastructure requise (assumée en grande partie par l’état). Mais alors qu’en est-il de l’horizon d’incertitude des coûts collectifs engendrés par cette industrie invasive et extensive sur les territoires concernés (comme en témoigne l’expérience américaine) ? De façon optimiste, le rapport de l’EIE du RPEP annonce des « bénéfices environnementaux ».
Une rhétorique vertueuse
Sans surprise, nos décideurs ont étudié le dossier au regard des « vraies affaires ». Il faut observer aussi qu’ils utilisent d’habiles stratégies de communication, adoptant entre autres un discours vertueux : sécurité, vigilance, protection, intégrité des sources d’eau potable pour les générations actuelles et futures, accroissement des connaissances, transparence, sévérité exemplaire, suivis très rigoureux, etc. Nous voilà au cœur d’une problématique qui concerne la dimension éthique d’une politique publique en matière d’environnement.
Il importe d’abord de reconnaître que les valeurs n’ont de sens que dans le système éthique où elles s’inscrivent. Les valeurs instrumentales de sécurité ou de vigilance par exemple, sont essentiellement relatives, tout comme celle de richesse collective. Leur sens et leur portée dépendent des valeurs fondamentales qui sous-tendent le projet en question. Or quels sont les fondements des choix éthiques d’un système de gouvernance où le « marché » devient « partie prenante » des dynamiques de prise de décision publique et peut acheter en toute légitimité des droits d’influence [6] ? Quel sens prend ici le « bien commun », qui devrait être le pôle de référence de toute décision politique ?
Des enjeux éthiques
Parmi les enjeux majeurs concernant le rapport contemporain entre éthique et politiques publiques en matière d’environnement, mentionnons les suivants [7], qui se retrouvent également au cœur du nouveau Règlement (RDEP).
D’abord, la légitimité même de la gouvernance par la « gestion du risque » doit être remise en question. Une telle approche managériale occulte la recherche de finalités : au bout du compte, pourquoi accepte-t-on de prendre de tels risques ? Dans l’intérêt de qui ? Par ailleurs, la notion même de gestion du risque « s’éprouve hypocrite dans tous les cas d’incertitude scientifique » (A. Papaux).
La foi en la résilience, soit l’adaptation technologique, réglementaire et comportementale comme mode de gestion des risques, est un dangereux mirage. L’éthique de la résilience, entendue comme flexibilité en faveur d’une économie néolibérale « durable » et incluant l’internalisation de l’environnement comme moteur du marché, ne doit pas occulter la nécessité d’une véritable « politique de transformation » (R. Felli).
Au regard du « bien commun », le principe de précaution – associé à la lucidité du risque et à l’espoir qu’il est encore temps (A. Papaux) – doit prévaloir sur celui de la gestion du risque. De même en est-il de l’éthique de la justice écologique et du partage des avantages (F. Thomas). « Il ne s’agit plus de ferrailler sur l’à-propos de consommer un carburant fossile importé ou d’extraction locale mais de dénoncer l’intenable ronde d’investissements massifs consentis à des projets d’extraction alimentant des usages que des filières viables, mieux qualifiées et plus structurantes au plan intergénérationnel, peuvent satisfaire à moindre coût social » (B. Saulnier).
Quant à la transparence, elle ne correspond trop souvent qu’à une fenêtre de lumière dans de larges pans de secrets (F. Lemarchand). La « transparence » est une exigence de démocratie, qui fait appel à la vigilance constante à l’égard de diverses formes d’opacité : quelle que soit la transparence des informations, on ne peut occulter que la dynamique de décision n’est pas fondée sur une soi-disant objectivité : elle est tributaire d’un « jeu d’interprétation et d’argumentation » (A. Papaux).
Enfin, l’acceptabilité sociale ne doit pas être réduite à l’acceptation sociale, surtout lorsque le public ne dispose pas d’une information complète et crédible. Le fameux « dialogue avec les communautés » mené par des experts institutionnels et de l’industrie peut correspondre à « un système de communication fondé sur l’évacuation de la capacité réflexive des acteurs » (R. Beaudry et coll.). Or toutes les initiatives de marketing social ne remplaceront jamais la nécessité d’identifier collectivement des critères d’acceptabilité fondamentale. L’acceptabilité sociale fait référence à l’exercice d’une démocratie participative et active. La présence accrue des citoyens dans l’arène des choses publiques élargit la dimension éthique des débats et peut conduire à repenser les systèmes de valeurs, généralement implicites ou instrumentalisées, qui déterminent les politiques publiques en matière d’environnement.
La préoccupation grandissante à l’égard de l’acceptabilité sociale au sein de la sphère politico-économique – résultat positif des mouvements de résistance citoyenne – devient ainsi une voie majeure pour renouveler la démocratie, dans un contexte où celle-ci risque d’être kidnappée par une caste oligarchique politico-économique masquant ses propres intérêts « dans la mise en avant formelle des intérêts du plus grand nombre » (D. Bergandi).