1. Une situation internationale chaotique
Le capitalisme mondial a engendré de multiples crises. Il y a d’abord l’effondrement de l’économie mondiale. Celle-ci est de plus en plus incapable de satisfaire aux besoins élémentaires de la population, particulièrement à celle du Sud global.
La catastrophe climatique n’est plus une perspective d’avenir, elle frappe déjà dans toutes les régions du monde, même si ce sont les pays les plus pauvres qui en subissent d’abord les effets. Les périodes de canicule, les inondations destructrices, les ouragans et les tornades, les feux de forêt deviennent de plus en plus nombreux et graves. Cela affecte directement la production alimentaire qui est de plus en plus difficile.
Une économie mondiale de moins en moins capable de répondre aux besoins élémentaires de la population et de la crise climatique provoque des migrations importantes de la population, particulièrement dans les zones frappées par la guerre. Les migrations se sont d’abord faites sur un axe SUD-SUD, mais cela est appelé à changer, car les zones tropicales du globe vont voir leur habitabilité diminuer considérablement face à l’intrication des crises économique et climatique. Les migrations vers les pays du Nord ont commencé à se développer. La classe dominante a répondu aux conséquences de ses politiques de prédation, à la fois la mobilisation d’une main-d’œuvre immigrée et sans droits, mais choisie, et le blocage de l’immigration de demandeur-euses d’asile ou de réfugié-es climatiques, en dressant des murs à leurs frontières. Les différents États impérialistes nourrissent les sentiments d’insécurité et les préjugés xénophobes pour justifier leurs politiques. Cela crée un terrain pour la remontée de l’extrême droite qui fait son beurre du rejet des personnes migrantes, qui défend la notion de préférence nationale et qui va jusqu’à proposer la « remigration », soit l’expulsion massive d’une partie de la population. Aux États-Unis et en Europe, de telles politiques sont déjà à l’ordre du jour.
Dans une situation de pénurie des ressources, on voit l’augmentation des guerres dans différentes régions, surtout celles où est contestée la prédation des ressources par différentes puissances impérialistes. C’est ainsi que nous sommes entrés dans une période d’exacerbation des rivalités impérialistes entre les États-Unis, la Chine et la Russie et la formation de blocs rivaux prêts à en découdre pour défendre leurs intérêts.
La crise climatique, la chute de la biodiversité, les pollutions diverses et la destruction de la vie animale ont détérioré les différents écosystèmes et crée les conditions pour la réapparition de maladies et de zoonoses.
Nous n’avons pas connu une telle période de crise, de conflits, de guerres, d’instabilité politique et de révoltes depuis des décennies. Nous sommes dans une période marquée par le chaos où nombre de repères ont disparu. Tout cela constitue un défi et une chance pour une gauche internationale et un mouvement ouvrier qui souffrent encore des conséquences de plusieurs décennies de défaites et de reculs. Des soulèvements populaires se sont multipliés du Moyen-Orient à l’Europe, de l’Inde à l’Amérique du Sud. Mais ces soulèvements, souvent très durement réprimés, ne sont pas parvenus à construire les instruments politiques capables de se poser comme une alternative au pouvoir de la classe dominante.
2. La politique de Trudeau, usure du gouvernement et maintien de l’avance du Parti conservateur du Canada dans les sondages
Le gouvernement Trudeau étant minoritaire, il doit compter sur le maintien de l’alliance avec le Nouveau Parti Démocratique et lui faire certaines concessions mineures (soins de santé, soins dentaires, aide au logement), ou certaines promesses de concessions pour aider ce parti à prétendre apporter des acquis à la majorité populaire. Le NPD continue de s’engoncer dans le rôle de soutien au PLC et il ne profite pas au niveau des intentions de vote de cette inféodation.
Le gouvernement Trudeau subit l’usure du pouvoir, car il en est déjà à son troisième mandat et il s’avère incapable de faire de face aux crises qui frappent le Canada, comme l’ensemble du monde. L’inflation diminue le pouvoir d’achat de la majorité ; la crise du logement s’approfondit tant au niveau de l’accès à des logements décents qu’au niveau de l’explosion des prix ; l’accès aux services de santé et à la qualité des soins médicaux continue de se détériorer. Lors du dépôt de son dernier budget, le gouvernement Trudeau a lancé une série d’initiatives sur ces terrains, ce qui l’amène à occuper les champs de compétence des provinces, sans que ces manœuvres débouchent sur des transformations réelles et visibles par la population. Il est incapable de dépasser le mécontentement populaire et il se heurte aux prérogatives des provinces.
Au niveau de la lutte à la crise climatique, les GES continuent d’augmenter et l’écart entre les prétentions de ses discours et les politiques réelles du gouvernement minent de plus en plus sa crédibilité sur ce terrain. Après avoir acheté pour des milliards de dollars l’entreprise Trans Mountain afin d’augmenter les capacités d’exportation du pétrole extrait des sables bitumineux, il maintient son soutien financier et politique à l’exploitation des énergies fossiles. L’imposition d’une taxe carbone dans les provinces qui n’ont pas de bourse du carbone a soulevé l’ire des gouvernements conservateurs provinciaux. En somme, cette politique de soutien à la définition comme État pétrolier tout en avançant une politique d’écoblanchiment, ne fait que manifester son inconséquence sur ce terrain et mécontente tant les secteurs climatosceptiques que les secteurs sensibles à la protection de l’environnement.
Au niveau de sa politique internationale, Trudeau s’aligne sur la politique de l’administration américaine. C’est ainsi, que dans un premier temps, il a soutenu l’offensive meurtrière de l’État sioniste contre la bande de Gaza. Mais, la réalité des actes génocidaires à Gaza, l’a obligé à tergiverser. S’il a ainsi refusé de reconnaître la réalité du génocide de l’État israélien contre la population de Gaza et d’accepter clairement et ouvertement la condamnation de Netanyahu comme responsable de crimes de guerre par la Cour Internationale de Justice, il a enfin demandé un cessez-le-feu et rappelé la nécessité d’une solution à deux états pour régler la question palestinienne. Ces tergiversations ont provoqué des divisions au sein du gouvernement et du PLC. Face au Parti conservateur de Polievre qui a maintenu un soutien indéfectible à l’État d’Israël, y compris dans ses actes génocidaires, le PLC est apparu comme un allié manquant de détermination face au soutien à l’État d’Israël.
Le Parti conservateur du Canada défend un conservatisme de plus en plus populiste et réactionnaire, inspiré par la politique américaine. Il refuse de reconnaître l’urgence de la crise climatique. Poilievre défend le développement de l’exploitation des hydrocarbures ; il se présente comme le défenseur des transports individuels et l’opposant au développement du transport public. De plus, il n’a strictement rien à proposer pour faire face à la crise climatique. Il soutient tous les plans et aventures de l’impérialisme américain et particulièrement le développement de sa rhétorique contre le gouvernement chinois.
Il se contente d’une politique qui surfe sur les préjugés contre l’immigration, sur un conservatisme social, tout en évitant de reprendre la lutte contre le droit à l’avortement, qui se heurterait trop frontalement au soutien au droit à l’avortement dans la population canadienne et particulièrement au Québec. Il tente de renforcer et de développer sa base par une politique démagogique et populiste (le gros bon sens) … en comptant sur l’usure du pouvoir. Il parvient ainsi à ramasser les dividendes de la montée de l’extrême droite dans le monde.
Le tassement à droite du champ politique au Canada, comme ailleurs dans la plupart des pays impérialistes, lui permet de maintenir une avance considérable (10 à 20 points) dans les différents sondages sur les intentions de vote. Tant et si bien que le leadership de Justin Trudeau commence à être discuté sur la scène publique.
Le Bloc québécois joue la carte nationaliste. Le refus de respecter les champs de compétence du Québec par Ottawa lui permet de se présenter comme le seul défenseur réel des intérêts du Québec au fédéral. Il se fait également le relais des discours anti-immigration de la CAQ comme du PQ, ce qui lui permet de consolider sa base électorale dans les secteurs influencés par le nationalisme conservateur. Il a réussi jusqu’ici à empêcher la percée du Parti conservateur, si ce n’est dans certaines régions du Québec. Il maintient donc un important soutien électoral qui le place au premier rang des partis fédéraux au Québec.
La prochaine échéance électorale (au printemps ou à l’automne 2025) risque de déboucher sur la prise du pouvoir par le Parti conservateur du Canada, même si rien n’est jamais joué et que la volatilité de l’électorat peut provoquer encore des surprises. Il reste que face à la montée du PCC, l’échéance électorale va poser des défis majeurs à la gauche et à QS en particulier. Le soutien au NPD (qui a été la cinquième roue du carrosse libéral) ou au Bloc québécois (qui n’a pris aucune distance face au gouvernement de la CAQ), n’offre pas de perspectives cohérentes pour la gauche indépendantiste.
3. La politique caquiste : une politique anti-populaire, antiécologiste, antiféministe qui commence à délégitimer ce gouvernement et à abaisser son soutien auprès de la population
La politique économique du gouvernement Legault s’articule autour d’une politique industrielle qui vise à attirer des multinationales manufacturières en leur offrant de l’électricité à faible coût, de généreuses subventions et l’accès à des ressources minières. Il refuse de réformer la loi des mines marquée par le free mining, alors que le Québec connaît une véritable prolifération de claims miniers, ce qui annonce un véritable pillage de nos ressources pour satisfaire les multinationales, ainsi que l’aggravation de la pollution des terres et des eaux du Québec. Cela est d’autant plus alarmant que le gouvernement a tendance à permettre à des entreprises polluantes de ne pas tenir compte des normes environnementales et de mettre de l’avant des projets qui leur permettent d’éviter des études du BAPE. L’exemple de Northvolt en est un éloquent. Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs se fait davantage l’accompagnateur des entreprises pour éviter leurs obligations environnementales. Il est prompt à balayer du revers de la main les propositions écologiques des citoyens et des citoyennes des différentes régions et des institutions qui les représentent. Il s’est même fait le représentant de l’industrie forestière dans le dossier de la biodiversité en s’attaquant aux propositions visant à protéger le caribou forestier.
Ses investissements dans l’éolien, soit public avec Hydro-Québec, soit privé en ouvrant la possibilité de production énergétique à des entreprises privées, est exemplaire à cet égard. Il s’agit d’inscrire le Québec comme fournisseur de marchandises pouvant alimenter les entreprises américaines, particulièrement dans le domaine de l’automobile. Ce modèle économique refuse de reconnaître l’urgence climatique. Il s’inscrit dans la logique croissanciste, où décroissance, sobriété et économie d’énergie ne tiennent aucune place significative. Au niveau du transport, cette politique vise le maintien de l’auto solo et l’électrification du parc automobile, ce qui ne résoudra pas les dépenses importantes de ressources et d’énergie et qui nécessitera d’importants investissements dans les infrastructures routières. Les investissements dans les transports publics sont moins importants que ceux dans le transport individuel ; la surconsommation et le gaspillage demeurent très importants à ce niveau.
Si ces capitaux publics imposants sont mobilisés pour le développement de son modèle économique prédateur et écocidaire, ils ne sont pas disponibles pour des investissements massifs dans le secteur public, que ce soit au niveau du système de santé ou du système d’éducation. Au lieu de faire ces investissements, le gouvernement Legault privatise des pans entiers du système de santé. Après avoir fait la promotion des cliniques privées, il cherche maintenant à mettre en place des hôpitaux privés. Il s’affaire aussi à centraliser le système de santé dans une agence privée dont il a confié les rênes à des administrateurs et administratrices qui viennent du privé. L’éducation est également sous-financée et la part des écoles privées dans le réseau continue de se développer. À la mi-décembre 2023, Québec avait proposé des augmentations salariales de 9 % sur une période de cinq ans, tout en demandant aux travailleuses et travailleurs de la fonction publique de « faire preuve de flexibilité ». Son intransigeance face aux revendications des travailleuses et des travailleurs du secteur public (éducation et santé) s’est brisée face à l’intensité de la mobilisation et a amené son gouvernement à faire des concessions salariales aux salarié-es les moins bien rémunéré-es.
Le gouvernement de la CAQ encourage le développement des inégalités et refuse de prendre des mesures pour contrer l’inflation. La hausse du salaire minimum est si faible qu’elle ne permet nullement de répondre à la montée des prix, particulièrement dans le secteur de l’alimentation.
Il laisse la responsabilité de l’offre de logements dans les mains des entrepreneurs-euses immobiliers qui préfèrent construire des logements coûteux qui leur rapportent gros, plutôt que des logements répondant aux besoins de la majorité de la population. Le gouvernement ne prend aucune mesure contre les évictions faites par des grands propriétaires immobiliers et laisse ces derniers hausser le prix des logements sans frein ni plafond. Il refuse de reconnaître qu’un logement est un droit social et qu’il est nécessaire de démarchandiser la production de logements et de les offrir à bas coûts.
Pour masquer les conséquences sociales de ces différentes politiques et pour chercher à construire une rente électorale, le gouvernement de la CAQ, et particulièrement le premier ministre du Québec, cherche à faire peser sur les épaules de la population migrante la responsabilité de tous les maux de la société québécoise : crise du logement, accès difficile de la population aux services de santé, d’éducation et de garderie, développement de l’itinérance et détérioration de la santé mentale de la population. Cette démagogie est relayée par le Parti québécois et le Bloc québécois.
Non seulement le gouvernement de la CAQ développe une telle démagogie contre les personnes migrantes, mais il fait campagne pour la diminution par le gouvernement fédéral de l’accueil de réfugié-es. Il demande le transfert de pouvoir vers le Québec pour pouvoir bloquer les possibilités de regroupement familial. Il appelle à la diminution du nombre de migrant-es temporaires, alors que ce sont ces politiques qui ont favorisé la venue d’une main-d’œuvre corvéable et exploitable à merci.
Le gouvernement Legault n’hésite pas à nier l’existence du racisme systémique présent dans la société québécoise, vécu particulièrement par les populations autochtones.
4. Redéfinition des rapports de force entre les partis politiques québécois…
Le gouvernement de la CAQ connaît un recul profond. La population est de moins en moins dupe des politiques et des promesses du gouvernement de la CAQ. Ce dernier est d’ailleurs passé en seconde place dans les sondages d‘intentions de vote, et cela depuis des mois maintenant. Si ses promesses, que ce soient celles qui concernent le troisième lien à Québec, l’amélioration de l’accès au service de santé ou la présence de ressources enseignantes suffisantes dans le système scolaire ne se concrétisent pas, cela minera de plus en plus la crédibilité et le soutien à ce parti et à ses député-es.
Le PQ connaît une remontée : il se maintient à plus de 30% dans les sondages, en avance sur la CAQ. Comme parti d’opposition, il peut se dédouaner de toutes les difficultés vécues actuellement par la majorité populaire. La direction de Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) a décidé de redéfinir le champ politique autour de la polarisation fédéralisme contre indépendantisme en mettant de l’avant la tenue d’un référendum sur l’indépendance du Québec dans un premier mandat et en stigmatisant l’inefficacité du positionnement de la CAQ sur un autonomisme incapable d’arracher des gains significatifs au gouvernement fédéral quant à ce qui a trait aux augmentations de transfert en santé et à la protection face à la centralisation du gouvernement fédéral qui n’hésite pas à occuper les champs de compétences du Québec.
Ce sont là d’habiles manœuvres sur un fond de nationalisme identitaire et régressif. Pour PSPP, l’indépendance s’identifie à la souveraineté-association, le gouvernement canadien y étant présenté comme un futur partenaire consentant. Plus, s’il propose la mise sur pied d’une armée québécoise, il n’hésite pas à affirmer qu’un Québec indépendant serait membre de l’OTAN et de NORAD, car « on va toujours demeurer loyal envers les intérêts géopolitiques de l’Amérique du Nord, notamment sur le plan des ressources et de la défense. »(Jérome Labbé, Radio-Canada, 18 octobre 2023)
Qu’est-ce que cela veut dire ? Dépenser 2% du budget du Québec sur l’armement pour satisfaire aux demandes de l’OTAN ? Défendre des politiques de libre-échange qui répondent d’abord aux besoins des États-Unis ? Produire plus d’électricité pour les besoins de l’industrie américaine comme s’apprête à le faire le gouvernement Legault ? Il cherchera bien sûr à conserver un vernis social et démocratique en disant appuyer le tournant écologique, mais sans aucune critique de fond cependant du modèle de développement proposé par la CAQ.
Le PQ se reconstruit dans un Québec où le nationalisme identitaire occupe une place de plus en plus importante. Pour le PQ, la défense de la nation québécoise passe par la baisse des quotas d’immigration et par la lutte pour l’homogénéité culturelle. Le refus du PQ de reconnaître la réalité de l’islamophobie et du racisme systémique, contre les Noir-es et les peuples autochtones notamment, démontre que le PQ refuse de comprendre les voies de la construction du Québec comme société multinationale et pluriculturelle.
Le Parti libéral du Québec peut profiter de cette repolarisation du champ politique autour de la question nationale pour se reconstruire. Les gouvernements Charest et Couillard, par leurs politiques néolibérales, les coupures massives qu’ils ont effectué dans les services publics, la répression et la criminalisation des mouvements sociaux et leur fédéralisme complètement à-plat-ventriste face au gouvernement fédéral, au mépris de la défense du moindre droit national du Québec, a conduit à une défaite catastrophique, qui l’a réduit pour l’essentiel à la région montréalaise et à la communauté anglophone qui lui ont permis de garder son statut d’opposition officielle à l’Assemblée nationale. Sa minorisation dans la population francophone a été telle que différents sondages ont révélé qu’il se maintenait entre 5 et 10% des intentions de vote dans les circonscriptions majoritairement francophones.
La polarisation du champ politique lui permettra sans doute de se présenter comme le seul défenseur conséquent du fédéralisme canadien, mais il devra surmonter sa crise de direction et être de capable de définir un fédéralisme coopératif dans le cadre d’une probable prise du pouvoir par le Parti conservateur du Canada en 2025. Rien ne dit qu’il sera capable de relever ces défis. Il veut déjà se présenter comme le meilleur défenseur des intérêts du patronat.
La direction de Québec solidaire propose une stratégie de recentrage inspirée par un électoralisme à courte vue. Pourquoi la direction de QS a-t-elle mis l’indépendance en marge de son discours durant la dernière campagne électorale ? Pourquoi a-t-elle refusé d’inclure la nécessité d’une nationalisation / socialisation des richesses naturelles, minières et forestières, dans sa plate-forme électorale ? Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à préciser les conditions du développement d’une aspiration à l’élection d’une constituante dans la population du Québec ? Pourquoi a-t-elle ciblé les citoyen-nes et leur consommation avec la taxe sur les VUS au lieu de viser directement les grandes entreprises et leur volonté de continuer à utiliser les énergies fossiles et à produire des véhicules énergivores ? Pourquoi a-t-elle accepté de rentrer dans la logique des quotas d’immigration ? La réponse essentielle à l’ensemble de ces questions, c’est qu’elle a cherché non pas à poser la nécessité d’une société en rupture avec la société capitaliste actuelle, mais à se présenter comme une alternative gouvernementale qui pouvait aspirer à devenir à court terme l’opposition officielle. Cette stratégie a fait la preuve de son inefficacité. Québec solidaire est entré dans une période de stagnation. Pour imposer ses vues, la direction a rapetissé l’expression démocratique des membres du parti. Les démissions de la députée Catherine Dorion et de la porte parole féminine, Émilise Lessard-Therrien, ont été des symptômes du grippage démocratique et du recul des sensibilités féministes au sein du parti. Les débats autour de la reformulation du programme du parti et des statuts vont être l’expression d’un débat sur l’avenir de l’orientation fondamentale de Québec solidaire, soit celle d’un parti électoraliste et social-libéral soit celle d’un parti de rupture avec le capitalisme.
L’un et l’autre cherchera à reprendre les circonscriptions ravies par Québec solidaire au fil des ans, soit cinq au PLQ et sept au PQ. Ce n’est pas avec une stratégie encore plus réformiste que le parti pourra se défendre sur ces deux fronts. QS n’aura d’autre choix que d’affirmer sa singularité de parti de rupture sociale et écologique et de lier intimement l’indépendance du Québec à son projet social. Pour faire face à l’échéance électorale, QS a besoin d’un programme qui fait une critique radicale des politiques du gouvernement de la CAQ et se démarque clairement de la politique péquiste tant sur le terrain social que climatique et au niveau de sa conception de la stratégie pour l’indépendance.
5. Des mouvements sociaux sont traversés par des débats stratégiques importants
Le mouvement syndical a connu une série de mobilisations sans pareil des travailleuses et travailleurs du secteur public québécois. Les gains et les améliorations aux conditions de travail obtenus auraient été impossibles sans cette mobilisation exemplaire et sans l’appui de la population. Mais dans l’ensemble, le mouvement syndical s’est avéré incapable d’améliorer les conditions de travail et à faire reculer la précarité et la surcharge de travail vécues dans le secteur, ce qui aurait nécessité un réinvestissement massif et la planification d’une hausse significative du nombre des travailleuses et travailleurs de ces secteurs. Le mouvement syndical est miné par les politiques de privatisation dans le secteur de la santé et défendu par le renforcement de la précarité des différents personnels.
La réforme en santé et sécurité du travail a diminué le pouvoir syndical sur ce terrain. La nouvelle loi a été condamnée unanimement par le mouvement syndical ; mais elle a été imposée. Si elle étend finalement les droits en prévention à tous les secteurs de l’économie, elle réduit les pouvoirs, déjà très limités, que l’ancien régime accordait aux travailleurs et travailleuses. Elle réduit le temps de libération des représentant-es en santé-sécurité ce qui existait avant dans les quelques secteurs où la loi avait été appliquée.
Le mouvement syndical a été incapable de s’opposer à l’adoption de la Loi modifiant l’encadrement de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (r-20). L’embauche des travailleurs et travailleuses des régions n’est plus protégée. La polyvalence des métiers a été imposée. Tous les amendements proposés par les organisations syndicales du secteur ont été rejetés. L’ensemble des propositions patronales ont été reprises.
Le mouvement syndical fait face à de nouveaux défis. Une partie de plus en plus importante du prolétariat est composée de travailleurs et travailleuses migrant-es sans droits, ce qui rend plus difficile leur organisation, sans parler des migrant-es sans statut qui n’ont pas de perspective de régularisation. De plus, l’extrême droite se renforce et cela préoccupe les organisations syndicales. La FTQ a d’ailleurs organisé une rencontre de réflexion sur la nécessité de passer à l’action contre l’extrême droite. (https://www.pressegauche.org/Passer-a-l-action-61843)
Pourtant, les directions des différentes centrales appellent au dialogue social. Lors de son bilan de rencontre avec le premier ministre Legault, le premier mai 2022, avant l’affrontement du Front commun, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a affirmé avoir remarqué une ouverture du premier ministre au « dialogue social » qu’il n’avait pas autant perçue avant. (Lia Lévesque, 29 avr. 2022, Lia Lévesque La Presse Canadienne ). Même après la lutte du secteur public, l’ouverture du dialogue social est encore à l’ordre du jour.
Mais si les directions restent sur une orientation de concertation avec le gouvernement et le patronat et que le mouvement syndical est traversé par des orientations contradictoires, il existe également une orientation qui prône un syndicalisme de combat ou de transformation sociale, même si cette dernière demeure minoritaire. Différentes tentatives de regrouper la gauche syndicale ont vu le jour, même si elles sont restées minoritaires.
Plusieurs questionnements traversent les mouvements de femmes actuellement ; intersectionnalité, écoféminisme, prostitution pornographie, queer et trans. Les réponses se font difficiles. Mais ces tempêtes d’idées ne peuvent expliquer à elles seules l’état de désorganisation, de paralysie, de démission des organisations féministes. D’autres facteurs jouent, comme le manque de financement et conséquemment, de structuration, le pouvoir des femmes et entre femmes, les conflits intergénérationnels. La Fédération des femmes du Québec et l’R des Centres de femmes, les deux regroupements de femmes les plus connus, vivent cette crise actuellement et mettent en branle des moyens pour s’en sortir.
Tout cela se jouant dans un contexte de montée de l’extrême droite où les droits des femmes risquent d’être remis en question, que ce soit en Europe, en Argentine ou plus près de nous aux États-Unis, autour de l’avortement et, au Canada, sous un gouvernement conservateur. Les politiques gouvernementales doivent donc être scrutées à la loupe. Cela crée évidemment une pression additionnelle sur les organisations.
Le gouvernement Legault vient intensifier les débats avec le refus de reconnaître le racisme systémique et le Principe de Joyce ; il se refuse donc à reconnaître les revendications des femmes autochtones et la surexploitation des femmes racisées rendues pourtant visibles durant la pandémie. Les « anges gardiens » de monsieur Legault sont en fait majoritairement des femmes racisées. Ce même refus de reconnaître le racisme systémique lui permet de tout mettre sur le dos de l’immigration : crise de la santé, crise du logement, crise du travail, crise de l’itinérance. Crises dont les femmes subissent des conséquences graves.
Ce même gouvernement Legault refuse aussi de voir l’importance de la santé dans le bien-vivre d’une société en centralisant davantage la structuration du réseau et surtout en privatisant les services. Ce qui là aussi aura des conséquences graves sur la situation des femmes et surtout des femmes pauvres. Les travailleuses du secteur public, majoritaires à 75% dans la main-d’œuvre, goûtent aussi aux médecines du gouvernement caquiste. La dernière négociation du secteur public a permis aux plus bas salarié-es de faire un rattrapage salarial, mais l’indexation des salaires est loin de garantir le niveau de vie des gens. Les revendications sur l’organisation du travail n’ont pas fait l’unanimité. Les infirmières en savent quelque chose, elles dont la négociation ne réussit pas à se conclure.
Les politiques caquistes en matière d’environnement ne peuvent que faire augmenter l’écoanxiété. Elles s’axent uniquement sur la satisfaction des multinationales et des entreprises, que ce soit en fourniture d’énergie électrique à bas prix, en généreuses subventions, en outrepassant les lois environnementales actuelles et en promesses de toutes sortes. Tout cela au détriment d’une société pour le bien-vivre axée sur l’humain comme le revendique le mouvement des femmes, plutôt que sur le profit.
Les perspectives suivantes peuvent être esquissées. Tous les cinq ans, la Marche Mondiale des Femmes rappelle la nécessité d’agir mondialement, ensemble, entre le 8 mars 2025 Journée Internationale des femmes et le 17 octobre, Journée pour l’élimination de la pauvreté.
« Les Actions internationales, tous les 5 ans, sont des moments pour réaffirmer notre identité en tant que mouvement. Être « en marche » exprime l’idée de bouger et avancer librement, sans contrainte, et exprime la force des femmes organisées collectivement dans des associations, groupes et mouvements ; femmes avec diverses expériences, cultures politiques, ethnicités, mais avec un objectif commun, soit de surmonter l’ordre en place qui est injuste et qui cause violence et pauvreté. Notre solidarité internationale constitue également une partie de notre identité, ainsi que l’attention portée à ce qui arrive à nos sœurs dans d’autres parties du monde ». (Marche mondiale des femmes| Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF)
C’est autour de thématiques comme : « Nous continuerons à marcher contre les guerres et le capital, pour la souveraineté populaire et le bien-vivre » (Tiré du site Capiré La force féministe de la 13e Rencontre internationale de la MMF - Capire (capiremov.org) ) que les femmes à travers le monde, en 2025, vont marcher.
Ces perspectives d’action vont aider à unifier les militantes du mouvement des femmes en mettant tout le monde à la tâche autour d’un projet commun.
Cette action mondiale aura pour effet de remettre de l’avant la solidarité internationale, mais aussi les revendications féministes dans leur ensemble. Et, espérons-le, cela permettra le renforcement du mouvement des femmes au Québec.
Le mouvement écologiste et de lutte aux changements climatiques a connu une remontée après l’éclipse qu’il a connu sous l’effet de la COVID. Le mouvement s’est orienté vers une résistance à l’implantation du projet de croissance verte du gouvernement de la CAQ. C’est ainsi qu’a été publié le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable autour des 14 revendications suivantes : pour une énergie publique sous contrôle démocratique ; pour un débat sur l’énergie au Québec ; pour une nouvelle politique énergétique au Québec ; pour une planification intégrée des ressources ; pour des mesures qui favorisent la réduction des demandes en énergie ; pour des plans contraignants visant une sortie graduelle et prévisible, mais rapide, des énergies fossiles ; contre le principe du pollueur payé ; contre la privatisation totale ou partielle d’Hydro-Québec ; pour la sauvegarde et le renforcement des pouvoirs de la Régie de l’énergie ; pour une transition juste pour les travailleurs et travailleuses ; contre une augmentation des tarifs d’électricité qui accentuerait la précarité et risquerait de ralentir la transition énergétique ; pour la protection du territoire ; pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones ; et pour le consentement des populations locales. Ce manifeste a été soutenu par nombre d’organisations environnementales, syndicales et populaires.
Ce sont les organisations des populations locales qui ont été au centre des mobilisations (avec les municipalités et les MRC) qui se sont opposées à l’installation du projet Northvolt et des projets de parcs éoliens sur les terres agricoles et contre le mépris du gouvernement de la CAQ de leurs revendications. Le mouvement syndical, particulièrement le SCFP-Hydro, a mené campagne contre la privatisation d’Hydro-Québec.
Mais le mouvement écologiste et de luttes aux changements climatiques est traversé par de nombreux débats stratégiques. Les travailleurs et travailleuses pour la justice climatique, qui regroupe des militant-es syndicaux en provenance particulièrement du syndicalisme enseignant cégépien a publié un manifeste qui proclame que « le syndicalisme doit devenir un écosyndicalisme : il doit défendre, bien plus que des salaires et des congés, des conditions de travail qui enrichissent et régénèrent notre milieu de vie. C’est en nous appuyant sur nos syndicats que nous pourrons contrer le ravage. Nous avons le pouvoir de sonner l’alarme et de forcer l’arrêt de la machine. Par notre intelligence démocratique, par nos actions de mobilisation, par la solidarité que nous bâtissons, par notre pouvoir de grève, nous pouvons renverser la vapeur. Les carburants fossiles sont aujourd’hui la principale menace à la préservation de l’humanité, mais aussi de l’ensemble du vivant. Il faut s’en libérer. La crise écologique ne se résoudra pas en achetant une voiture électrique. Ce sont les transports publics qu’il faut déployer partout, c’est le chauffage au gaz qu’il faut détrôner, ce sont nos manières d’habiter, de produire et de manger qu’il faut révolutionner. Le réchauffement climatique n’est plus une éventualité, c’est une réalité. Nous revendiquons la sortie des énergies fossiles d’ici 2030. » Ce regroupement travaille à créer les conditions politiques et organisationnelles de possibles grèves pour le climat. Ce travail en est à ses débuts, mais constitue une perspective essentielle pour construire le rapport de force nécessaire à bloquer les projets de croissance “verte”.
Des noyaux militants se sont intéressés à la théorie écologique, à l’analyse des luttes écologiques et à leur stratégie. Ce sont des groupes comme Polémos, de l’IRIS, de Rage climatique, de Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) et de Mob6600. Ils développent une réflexion qui leur permet d’esquisser la possibilité d’un monde « post-croissance ».
Mais tout un autre pan du mouvement écologiste reste engoncé dans la possibilité d’une croissance verte, de la nécessité de larges alliances avec des secteurs verts du patronat, de limiter leur stratégie à une politique de pression sur le gouvernement. Il y aurait même un « momentum mondial pour une relance solidaire, prospère et verte », soutient le G15+ qui serait la démonstration d’un mouvement d’ensemble dans la lutte aux changements climatiques. Fondé en mars 2020, par quinze leaders issus des domaines sociaux, syndicaux, environnementaux et d’affaires défendant des « mesures pour une relance, solidaire, prospère et verte, le G15+ regroupe le Conseil du patronat du Québec, la Fédération des chambres de commerce du Québec, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la Fondation David Suzuki, Équiterre, Vivre en ville, le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement, le Chantier de l’économie sociale et bien d’autres. (G15+, Contribution aux initiatives de relance du gouvernement du Québec, Cahier de propositions - recommandations et fiches-projets, juillet 2020, https://www.g15plus.quebec/ )
Les postulats qui fondent leur action peuvent être résumés ainsi : la crise climatique est une occasion économique à saisir. Il faut mobiliser les capitaux pour investir dans les énergies renouvelables. L’économie québécoise doit prendre le tournant vert qui lui permettra de répondre aux besoins mondiaux de décarbonisation. Les gouvernements doivent aider les entreprises à prendre ce tournant.
Les revendications de la coalition G15+ sont complètement en phase avec le Plan pour une Économie verte de la CAQ : a) faire de la croissance verte une priorité et multiplier pour ce faire les occasions d’investissements rentables ; b) utiliser les impôts ou les taxes de la population pour aider les entreprises à passer à des technologies vertes et développer leurs capacités concurrentielles sur le marché mondial ; c) définir une énergie fossile comme le gaz naturel comme une énergie de transition et accepter la perspective du bouquet énergétique ; d) inscrire l’action gouvernementale dans une logique de croissance verte combinant réindustrialisation pour certains biens stratégiques et expansion des exportations sur le marché international ; e) viser une souveraineté alimentaire, mais sans remettre en question une industrie agro-exportatrice centrée sur la production carnée et utilisant des entrants qui, comme les pesticides, sont dévastateurs sur le plan écologique.
Les débats stratégiques dans le mouvement écologiste sont donc à l’ordre du jour.
Le mouvement antiraciste et de solidarité internationale s’est développé autour des mobilisations des peuples autochtones contre la négation par le gouvernement de la CAQ de l’existence du racisme systémique et pour dénoncer la politique de soutien au gouvernement israélien du gouvernement Trudeau dans son offensive et sa politique génocidaire contre le peuple palestinien de Gaza. La complicité du gouvernement de la CAQ à ce niveau a également été dénoncée. Les campements établis sur les campus universitaires sont à la pointe de ces mobilisations.
6. La défense d’une stratégie écosocialiste et écoféministe dans le cadre de la conjoncture actuelle.
La stratégie que nous défendons n’est pas une stratégie électoraliste alternative pour la construction d’un parti de gouvernement, mais bien celle d’une stratégie visant à construire le pouvoir dans la société par le renforcement de l’expression démocratique, de la combativité et de l’unité des différents mouvements sociaux antisystémiques.
La ligne de rupture que nous proposons pour rallier une majorité populaire, c’est celle défendant une société plurinationale et pluriculturelle qui nécessitera :
a) la remise en question de l’exploitation de nos ressources naturelles et de notre énergie par des multinationales étrangères ;
b) la planification démocratique de nos choix d’investissements pour une transition écologique véritable ;
c) la mise en place d’institutions politiques dépassant le strict cadre de la démocratie représentative. Ce qui se fera dans le cadre de l’élection d’une constituante visant l’établissement d’une république sociale ;
d) la lutte pour une société écoféministe assurant l’égalité de genre ;
e) le développement de nos services publics contrôlés par les usagers et les usagères et les personnes qui y travaillent ;
f) le refus de l’existence de secteurs de la société privés de droits, comme ceux des travailleurs et travailleuses temporaires et des sans-papiers ;
g) la liberté de circulation et d’installation de toutes les personnes migrantes ;
h) l’éradication du racisme systémique qui touche tant les peuples autochtones que les autres secteurs racisés de la population ;
i) une politique linguistique qui défend l’usage du français comme langue commune, mais qui refuse de faire des personnes immigrantes la cause du manque d’attractivité de la langue française et enfin :
k) le rejet d’une laïcité identitaire qui essentialise la réalité de la nation.
Ce ne sont là, rapidement esquissés, que certains axes, parmi d’autres, qu’il faudra préciser pour l’indépendance que nous voulons. C’est autour de ces axes programmatiques que nous voulons construire un Québec indépendant et solidaire.
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