Catherine Caron<https://blogue.revuerelations.qc.ca...>
texte tiré du blogue de la revue Relation
Pourquoi ne serait-il pas possible de contrôler l’affluence et de s’assurer du respect des mesures sanitaires de base dans les bibliothèques (lavage des mains, masques, distanciation), comme on le fait dans de grands magasins, incluant les librairies ? En cela, la situation des bibliothèques diffère de celle de d’autres commerces qui subissent une fermeture complète ou partielle actuellement (bars, restaurants, lieux d’entraînement, etc.) et où le risque de propagation du virus est clairement plus élevé.
Mobilisation à la Grande Bibliothèque de Montréal
Les bibliothèques ne sont donc autorisées qu’à offrir un service de « prêt à emporter » et subissent nécessairement une baisse d’affluence. Dans le cas de la Grande Bibliothèque de BAnQ, à Montréal, la façon qu’a la direction de gérer cette semi-ouverture entraîne d’importantes conséquences pour plusieurs des employés qui tirent la sonnette d’alarme au sujet de leur situation précaire.
En effet, dans un article du Devoir, publié le 27 octobre dernier, on apprenait que des dizaines d’employés à temps partiel de BAnQ se font couper des heures et risquent de perdre jusqu’à 49 % de leurs revenus, selon les cas, soit 900 $ par mois. Ils n’auront pas accès à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) ni à l’assurance-emploi, contrairement aux surnuméraires mis à pied. Le Syndicat des travailleuses et des travailleurs uni-e-s BAnQ-CSN en est à organiser des manifestations et des collectes de fonds. Il affirme aussi avoir dû publiciser lui-même le service méconnu de prêt-à-emporter et que d’autres bibliothèques, en respectant les règles sanitaires, maintiennent tout leur personnel. Ses moyens de pression, dont une manifestation originale le jour de l’Halloween, ont toutefois réussi à faire bouger la direction, qui a redonné un peu moins de 50 % des heures coupées aux employés à temps partiel (140 heures sur les 309 coupées), « mais cette offre est temporaire, uniquement pour le mois de novembre. Si le semi-confinement perdure, dès décembre, nous serons dans une situation épouvantable », précise le président du syndicat, Jean-François Mauger[2].
Le virus du néolibéralisme
La situation à la Grande Bibliothèque, comme dans bien d’autres secteurs d’un milieu culturel mal soutenu en ces temps de pandémie, montre à quel point l’activité économique importante et les « vrais » emplois se trouvent principalement dans le secteur privé lucratif, aux yeux du gouvernement Legault. Il est en cela, comme ses prédécesseurs, sous l’effet d’un autre dangereux virus, celui du néolibéralisme, qui infecte la société québécoise depuis des décennies.
Dans « La culture comme vaccin », une lettre ouverte publiée dans Le Devoir le 30 septembre dernier, une vingtaine d’artistes le dénonçaient avec verve, pestant contre la fermeture des musées et des centres d’art publics imposée par le gouvernement sans discernement, pendant que les galeries privées – considérées comme des commerces – peuvent ouvrir. Ils écrivaient : « C’est la grande noirceur quand un gouvernement privilégie les magasins non essentiels aux lieux culturels publics. » En effet, et cela sans que le gouvernement n’y voie de conséquences négatives sur la santé et le bien-être de la collectivité et des personnes ou sur leur capacité de résilience face aux multiples crises actuelles.
Du côté des négociations du secteur public
Dans la tête du gouvernement Legault, la ligne de séparation n’est pas seulement entre ce qui serait « essentiel » et non-essentiel, comme on le voit. Elle est aussi entre le secteur privé, d’un côté, et le secteur public et des OSBL, de l’autre. Rien d’étonnant qu’un blocage se confirme de plus en plus dans les négociations du secteur public qui achoppent après un an de rencontres. Alors qu’un sondage Crop révélait, le 25 octobre dernier, que les trois quarts des Québécois et des Québécoises pensent que la conclusion d’une entente sur le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public peut aider à affronter la pandémie de coronavirus dans les prochains mois, toutes les grandes centrales syndicales et leurs fédérations affiliées (CSN, FTQ, FIQ, APTS, etc.) sont contraintes de multiplier les interpellations du gouvernement ces derniers jours, dénonçant un immobilisme inacceptable. L’absence d’un front commun face au gouvernement n’aide clairement pas.
Les grands médias informent trop peu la population sur ce sujet important. Certes, on peut se réjouir que des membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) aient réussi à attirer l’attention en bloquant un pont à Montréal et un autre à Québec, obtenant ainsi une oreille plus attentive de la part du gouvernement et du Conseil du trésor. Mais il est consternant, en pleine crise sanitaire et des services publics, que des travailleuses et des travailleurs qui tiennent à bout de bras ces services en soient réduits à devoir, en plus, multiplier les coups d’éclat (et d’autres seraient à souligner) pour que le gouvernement et les médias se montrent attentifs à des revendications incontournables en contexte de pandémie. Nos services publics et ceux et celles qui en sont le cœur méritent franchement mieux, mais tout va bien aller tant qu’on peut tous aller magasiner…
[1] Le 28 octobre, toutes les bibliothèques devaient être fermées complètement, ce n’est que sous la pression que le gouvernement a accepté, trois jours plus tard, la proposition de l’Association des bibliothèques publiques du Québec de maintenir semi-ouvertes les bibliothèques.
[2] Correspondance par courriel.
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