Ce mercredi 26 juin, le rapporteur public du Conseil d’État a recommandé le renvoi au Conseil constitutionnel de la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique, seule technique permettant l’exploitation des hydrocarbures de schiste. Cette recommandation fait suite au dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) auprès du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) par l’entreprise américaine Schuepbach Energy, dans le cadre des recours contre l’annulation de ses deux permis1. Cette QPC a été renvoyée au Conseil d’Etat par la décision du 21 mars 2013. Schuepbach conteste les articles 1 et 3 de la loi portant respectivement sur l’interdiction de la fracturation hydraulique et sur l’annulation des permis.
Le Conseil d’Etat n’est pas amené à se prononcer sur l’opportunité d’extraire des hydrocarbures de schiste. La QPC est une nouvelle procédure de contrôle de constitutionnalité sur les lois déjà promulguées qui peut-être utilisée par n’importe quel justiciable et devant la plupart des tribunaux. En matière administrative, et notamment dans le cadre d’un contentieux avec l’Etat, le recours est transmis au Conseil Constitutionnel par le Conseil d’Etat sur la base de trois critères : la loi visée doit-être applicable au litige, elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution, et la question soulevée doit être jugée comme présentant « un caractère sérieux ». Si la décision du Conseil d’Etat ne porte pas sur le fond, il semblerait que la ministre de l’Ecologie, Delphine Batho, n’ait pas mis tout son poids pour que cette QPC soit stoppée dès le tribunal de Cergy-Pontoise, les arguments du ministère de l’Ecologie ayant été écartées trop facilement.
Pour justifier sa démarche, Schuepbach invoque plusieurs arguments, plus ou moins fondés (http://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-fracturation-hydraulique-recours-qpc-conseil-etat-18276.php4). La plupart s’appuient sur le fait que la loi ne définit pas précisément ce qui est entendu par « fracturation hydraulique ». Une critique que les opposants aux hydrocarbures de schiste avaient formulé dès la rédaction de la loi. Schuepbach argue donc qu’il y aurait une discrimination contraire au principe d’égalité, et donc anti-constitutionnelle, entre l’interdiction de la technique dans le cadre de la recherche et l’exploitation des hydrocarbures et la possibilité de l’utiliser pour la géothermie. L’entreprise considère par ailleurs que l’interdiction de la fracturation hydraulique serait une mesure disproportionnée par rapport aux risques encourus. Enfin, l’annulation des permis serait en opposition avec le principe de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui institue le caractère "inviolable et sacré" de la propriété.
Si la QPC est transmise par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel, celui-ci devra se prononcer sous trois mois sur la conformité avec la Constitution des deux articles contestés par Schuepbach. Dans le cas où les deux articles seraient déclarés inconstitutionnels, ils seraient annulés. Les trois permis abrogés en octobre 2011 et les sept demandes de permis rejetées en septembre 2012 pourraient retrouver leur validité. Par cette aventure juridique, Schuepbach pourrait donc annihiler tous les résultats acquis de haute lutte par les dizaines de milliers de personnes qui, sur leurs territoires, ont été capables d’imposer un tel rapport de force que le législateur n’a pas eu d’autre choix que de voter à la hâte cette loi d’interdiction. Sans présager de la décision du Conseil Constitutionnel, cela en dit long sur les capacités des industriels et lobbies à peser et orienter les décisions qui concernent notre avenir.
Nul doute que la « guérilla juridique » (https://twitter.com/delphinebatho/statuses/349901159542165504) dénoncée par Delphine Batho aurait eu moins de résultats sans les tergiversations du gouvernement et la place démesurée laissée aux pro-gaz de schiste dans le débat public. Si, comme l’affirme la ministre, « la fracturation hydraulique a été interdite pour des raisons justifiées » et que « la position du gouvernement ne changerait pas », pourquoi Arnaud Montebourg n’a-t-il jamais été désavoué publiquement lorsque ce dernier donnait des gages aux lobbies pétroliers et gaziers ? On a également du mal à comprendre comment François Hollande et son gouvernement peuvent également se transformer en VRP des gaz de schiste dès qu’ils passent la frontière, que ce soit pour encourager la Pologne dans sa recherche d’hydrocarbures de schiste, pour envisager des expérimentations en Algérie ou encore pour promouvoir les intérêts de très nombreuses entreprises françaises impliquées dans l’industrie des hydrocarbures de schiste. Par ailleurs, le gouvernement français a cautionné une consultation publique de la Commission européenne considèrant pour acquis « le développement des combustibles fossiles non conventionnels » (http://www.france.attac.org/articles/contribution-la-consultation-de-la-commission-europeenne-les-combustibles-fossiles-non). Sans oublier que c’est François Hollande lui-même qui a cautionné2 la saisine de l’OPECST d’un rapport sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique dont on sait ce qu’il est devenu.
Multipliant les colloques, articles de presse, interventions télé et radio, promotion d’experts et d’études prétendument indépendantes, le MEDEF et les lobbies industriels ne cessent de renforcer l’intense campagne de relations publiques visant à faire croire que les hydrocarbures de schiste permettraient d’obtenir d’un coup de baguette magique de l’emploi, de la croissance et l’indépendance énergétique. L’énergie déployée est immense... mais est pour l’instant restée vaine tant les évidences sont frappantes et clairement intégrées par la majorité de nos concitoyens. Ainsi, si l’on en croit un récent sondage (http://www.harrisinteractive.fr/news/2013/13062013.asp), moins d’un Français sur trois (30 %) et moins d’un dirigeant d’entreprise sur quatre (23 %) jugent l’exploitation du gaz de schiste « compatible » avec la transition énergétique. A se demander de qui le MEDEF se prétend-il être le relai sur le sujet.
On se met à rêver que tant d’énergies jusqu’ici dépensées pour promouvoir des énergies du passée et dépassées le soient autrement, dans la perspective d’une transition énergétique qui satisfasse les exigences climatiques, permette de sortir du nucléaire, soit juste socialement et démocratiquement mise en œuvre. Des scénarios crédibles sont sur la table, tels que celui de Negawatt (http://www.negawatt.org/). De notre côté, nous avons mis par écrit les sept principes (http://www.france.attac.org/articles/la-transition-energetique-dans-une-perspective-altermondialiste) que doit suivre une transition énergétique dans une perspective altermondialiste. Chacun de ces principes est un des passages obligés pour une réappropriation citoyenne et collective de notre avenir énergétique, pour faire de l’énergie un bien commun, un commun dont on prend soin collectivement et démocratiquement.
C’est finalement ce que nous apprend l’épisode Schuepbach : il n’y aura point de transition énergétique sans mobilisation citoyenne continue et déterminée, qui permette de s’affranchir de l’inertie institutionnelle et politique et de prendre le dessus sur tous les lobbies conservateurs bloqués sur des logiciels du siècle passé.
Maxime Combes, membre d’Attac France et de l’Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
1Les deux permis de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux dont Schuepbach disposait avaient été délivrés par Jean-Louis Borloo le 1er mars 2010, puis annulés après le vote de la loi lorsque Schuepbach, tenue de préciser les techniques qu’elle envisageait d’utiliser, avait confirmé vouloir utiliser la technique interdite par la loi.
2François Hollande avait déclaré : « La recherche est possible sur d’autres techniques que celle de la fracturation hydraulique. Pour l’instant, cette recherche n’a pas abouti, je ne peux pas l’interdire, elle n’est pas interdite pas la loi... Tant qu’il n’y a pas de nouvelle technique, j’ai dit que durant mon quinquennat il n’y aurait pas d’autorisation de permis d’exploration des gaz de schiste » (cf. http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/11/14/ou-en-est-le-debat-sur-les-gaz-de-schiste-en-france_1790365_3244.html)