Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Interdire les signes religieux au travail, c’est faire un pas vers l’islamophobie d’État

Depuis deux mois nos élus s’affolent à nouveau devant le danger que présenteraient à leurs yeux, jupes, foulards ou bandeaux trop longs, trop larges, trop voyants…

(tiré du site entre les lignes)

Un esprit contraire à la loi de 1905

Après l’arrêt en date du 19 mars 2013 rendu par la Cour de Cassation à propos de l’affaire de la crèche Baby Loup, François Hollande a déclaré prévoir une refonte législative en vue du vote d’une loi étendant le champ de l’interdiction des signes religieux dans certains lieux de travail "dès lors qu’il y a contact avec les enfants", notamment "les crèches associatives avec financements publics". C’est dans cette perspective qu’il a inauguré, peu de temps après, l’Observatoire de la laïcité dont la première mission est de réfléchir à une loi sur le port de signes religieux en entreprise.

La droite parlementaire s’est immédiatement engouffrée dans cette brèche en rédigeant une proposition de loi "visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse". Par une surenchère sur ce qu’elle considère à tort comme une atteinte au pacte républicain, elle cherche à griller la politesse à la gauche sur le dos de femmes qui n’en demandent pas tant.

Une telle loi, qui céderait aux pires tentations populistes, serait contraire à l’esprit comme à la lettre de la loi de 1905 que les prétendus défenseurs de la laïcité ne cessent de bafouer. Elle constituerait une restriction des libertés religieuses que cette loi garantit. Elle ouvre de fait la voie à l’interdiction du port du foulard musulman dans tous les établissements privés gérant un service public et peut-être même, comme on l’entend déjà évoquer, dans les universités.

On veut légaliser l’exclusion et la discrimination

On veut donc faire adopter une loi qui vise d’abord les femmes et devrait aboutir à exclure les plus vulnérables d’entre elles du monde du travail et de l’éducation, comme si elles étaient en trop dans cette société. C’est ainsi que la petite Sirine, âgée de 15 ans a été exclue de son collège, parce qu’elle refusait de raccourcir sa jupe et de retirer son bandeau large de 6 cm. L’arbitraire de cette décision est flagrant, tout comme l’était le licenciement de l’employée de la crèche Baby Loup, puisque Sirine a été réinscrite dans un autre collège avec sa jupe et son bandeau, et que la Cour de Cassation a annulé le licenciement de l’employée.

Certes les lois en préparation mettraient fin à l’arbitraire, mais elles le remplaceraient par une véritable islamophobie d’État qui légaliserait l’exclusion, les pratiques discriminatoires et qui annoncerait la fin de la liberté des cultes garantie par la loi de 1905. Car, contrairement à ce que déclarent tous ceux qui réclament le vote d’une telle loi, l’espace public n’est pas neutre. Il est le lieu de déploiement de la diversité, des appartenances, des cultures, des coutumes, des convictions, des histoires individuelles et collectives. En cherchant à le neutraliser on nie cette diversité, et on vise à imposer à tous une culture uniformisée et totalisante.

Si elle était votée, la loi annoncée par François Hollande aboutirait à abolir la liberté de conscience et d’expression garantie par nos lois et les conventions internationales, à masquer la diversité et à renoncer à un véritable vivre-ensemble, qui implique de vivre et d’agir avec nos différences, et non en les occultant. Elle aurait pour conséquence un nouvel enfermement des femmes musulmanes que l’on confinerait dans leurs cuisines et dans leurs ghettos, et leur exclusion de l’espace public et du monde du travail, alors même qu’elles aspirent à s’investir pleinement dans la vie collective.

Le corps des femmes leur appartient

C’est la raison pour laquelle un groupe de 120 femmes de toutes appartenances et convictions, dont nous faisons partie, a lancé il y a quelques semaines un appel *, dans lequel elles refusent l’imposition d’un code vestimentaire quel qu’il soit, qu’il s’agisse d’interdire le port du voile ou de le rendre obligatoire.

Nous sommes désormais près de 2000. L’imposition d’un code vestimentaire est une forme de violence et nous la dénonçons comme telle. Le corps des femmes leur appartient, tout comme leur appartient le choix de leurs vêtements.

Nous nous opposons à des lois que nous jugeons à la fois sexistes, parce qu’elles ne concernent que les femmes, et racistes, parce que ce sont les femmes musulmanes qui sont discriminées et menacées d’exclusion sociale. Nous revendiquons aussi l’accès au travail pour toutes les femmes, et appelons l’opinion publique à se mobiliser contre leur adoption. Les femmes de France doivent TOUTES bénéficier de droits égaux.


Louiza Belhamici et Sonia Dayan-Herzbrun sont des militantes féministes. Leur texte a été publié sur le site du Nouvel Obs, le 18 juin 2013

* "Nous sommes toutes des femmes voilées". Cliquez ici pour signer l’appel.

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