Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Mouterde du 18 août

Retour en classe : les dilemmes du mouvement étudiant

Ce n’est pas sans interrogations que plusieurs d’entre nous ont vu ces derniers jours les assemblées étudiantes du Printemps Érable, voter, une à une, le retour en classe. Après 6 mois de grève, des jours et des nuits de manifestation, des rassemblements de centaines de milliers de personnes, après une loi scélérate et des vagues de répression policière, voilà que les étudiants les plus engagés du Québec reprennent leurs cours, sans avoir rien obtenu quant à leurs revendications premières.

On peut aisément comprendre la frustration et la rage de certains. Comment analyser cet apparent retournement, alors que tant d’observateurs avaient insisté sur la force et la détermination d’un mouvement susceptible de libérer depuis le printemps tant d’énergies créatrices ?

En fait, quand on s’y arrête de plus près, on aperçoit vite combien sont nombreux les facteurs ayant pesé dans la balance. Car l’incroyable force de cette mobilisation –capable en plein mois de juillet de réunir près de 80 000 personnes sur le pavé de Montréal— ne doit pas faire oublier le contexte politique très spécial dans lequel les étudiants se trouvent aujourd’hui ainsi que les caractéristiques tout à fait particulières qui leur ont permis, ce printemps, de donner une ampleur croissante à leur contestation.

Un contexte très spécial

Pensez simplement au contexte de la rentrée scolaire de cet automne 2012 : il est loin d’être simple. Au-delà des amendes prohibitives à payer –tant par les individus (jusqu’à 35 000$) que par les associations ou les syndicats (jusqu’à 125 000 $)— en cas de non respect de la loi 12 (ex loi 78), il y a le fait que la session d’automne a été réorganisée par le gouvernement de telle sorte qu’elle puisse en contenir deux. Ce qui permet à tous les étudiants qui ont « grèvé » d’être peu pénalisés en termes d’études, puisqu’au mois de décembre ils pourraient avoir reçu le même nombre de cours que s’ils n’avaient pas participé à ce mouvement. Rajoutez à cela, le contexte de la campagne électorale et la possibilité –fort réaliste—que Charest ne soit pas réélu (laissant par exemple la place à un gouvernement minoritaire péquiste), et vous comprendrez que pour bien des étudiants le calcul est facile à faire. Tout au moins à court terme ! À tout prendre, il vaut mieux commencer la session et réajuster le tir le 4 septembre au regard des résultats électoraux à venir. Tel est sans doute le raisonnement spontané que bien des étudiants ont fait. Malgré les appels contraires des porte-parole de la CLASSE.

Mouvement social et parti politique

On touche là à une question centrale : le mouvement étudiant du Printemps Érable est un mouvement social qui a tiré sa force de sa capacité à réunir de larges secteurs de la jeunesse autour d’une revendication au fond assez simple et en soi guère radicale : maintenir le gel des frais de scolarité ! Et si leur lutte a eu l’écho qu’elle a connue, c’est qu’elle a su, devant le mur d’arrogance que leur opposait Jean Charest, combiner avec beaucoup d’habileté unité et détermination, ouvrant ainsi une brèche dans cette sorte d’acceptation collective de l’ordre néolibéral à laquelle tant d’entre nous ont fini, au fil des ans, par se résoudre. Au-delà de la dignité dont les étudiants ont fait preuve, c’est ce qu’ils nous ont appris, c’est ce qu’ils ont gagné : avec eux, en se tenant à leurs côtés, il devenait non seulement possible, mais encore tout à fait légitime de s’opposer aux diktats néolibéraux. D’où le mouvement des casseroles et les manifestations monstres de chaque 22 du mois, entrainant chaque fois plus de gens dans leur sillage.

Il reste que ce mouvement –aussi puissant qu’il ait pu être—n’a ouvert qu’une première brèche. Il n’a pas réussi avant les vacances à entraîner à ses côtés le gros du mouvement syndical (la grève sociale est restée dans les cartons des syndicats !), et s’il est parvenu avec succès à faire que la loi 78 soit à toute fin pratique sans effet, il n’est pas arrivé à faire reculer le gouvernement. D’autant plus que celui-ci –à la manière d’un ultime stratagème pour reprendre l’initiative—a décidé de placer le débat sur le terrain –non plus social—, mais cette fois-ci directement politique. En appellant à des élections générales en plein été !

Le chemin de la politique

De quoi brusquement entraîner les étudiants sur un chemin qui ne leur est plus aussi favorable. Non seulement parce qu’ils n’ont pas –au niveau politique— tous les mêmes sensibilités de fond (d’où la difficulté à maintenir l’unité), mais aussi et surtout parce que la frange la plus radicale du mouvement –d’allégeance libertaire—voit d’un très mauvais œil toute implication dans un processus électoral. Comme si la politique partisane était en soi mauvaise, et comme s’il n’était pas possible de « faire de la politique autrement », en combinant mobilisation sociale et intervention politique contre l‘ordre néolibéral.

Résultats : même si Québec solidaire (et dans une moindre mesure Option nationale) défendent sur la scène politique leurs aspirations à un éducation gratuite et se trouvent en faveur du gel des droits de scolarité, ces partis ne sont pas vus collectivement par les étudiants les plus engagés comme les relais politiques naturels aux côtés desquels ils auraient pu –avec toute l’énergie qu’on leur connaît— marquer des points.

Il ne leur restait alors –pour continuer la lutte—que la scène sociale, et l’appel à la grève, mais dans un contexte où tout avait changé et où leurs bases ne pouvaient plus se mobiliser à l’unisson aussi facilement ! D’où les impasses qu’ils sont en train de rencontrer !

Il est vrai que cette désarticulation entre la lutte sociale et lutte politique, n’est pas propre au mouvement étudiant québécois. Elle parcourt actuellement tous les grands mouvements en lutte contre la mondialisation néolibérale (indignés, altermondialistes, etc.). C’est pourtant de son dépassement que dépendra la possibilité de faire échec au néolibéralisme. Puissent ces élections montrer toute l’urgence d’en faire une priorité !


Pierre Mouterde Sociologue et philosophe essayiste pierremouterde@lestempspresents.com Site : http://www.lestempspresents.com/Les_temps_presents/accueil.html

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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