Ce qui ressort le plus, à mon sens, dans les dernières déclarations de GND ainsi que dans les prises de position de la direction de QS, et qui est aussi le plus problématique, c’est le sentiment d’« urgence », voire de « panique » qui habite tout ce beau monde. Comme si les membres les plus influents du parti venaient de prendre conscience de l’ampleur de tous les problèmes soulevés (environnement, logement, services publics) et qu’il fallait, de ce fait, prendre le pouvoir à Québec « de toute urgence » pour remédier le plus tôt possible à la situation devenue alarmante. Comme si la volonté affirmée de résoudre au plus vite ces crises devenues « chroniques » allait pouvoir précipiter les événements en faveur d’un parti qui serait le seul à avoir les moyens d’en venir à bout. Comme si le fait, pour QS, de décréter l’« urgence » d’accéder au pouvoir parlementaire allait coïncider, comme par magie, avec ces autres « urgences » (climat, habitation, éducation, santé, etc.) Tout comme cette « foi » dans l’alignement favorable des planètes pour poser une action, prendre une décision, lancer un projet qu’on retrouve principalement dans l’ésotérisme ou l’astrologie, qui ne se sont pas des disciplines qui se démarquent particulièrement par leur caractère rigoureux, scientifique ou prédictif, on prend ses désirs pour la réalité et on veut une victoire électorale dans l’« immédiat ».
Pour quelqu’un qui veut faire prendre à QS un tournant « pragmatique », donc « réaliste », GND (appuyé semble-t-il par la nomenklatura du parti) fait preuve au contraire d’un très grand « idéalisme », pour ne pas dire d’un illusionnisme qui se détourne des fondements « idéologiques », « politiques » et « éthiques » de Québec Solidaire. Cet empressement subi à gravir les marches institutionnelles vers la gouvernance de la Belle Province est le symptôme, soit d’une perte de confiance dans le programme « progressiste » de QS, soit d’une montée de fièvre « politicienne », « partisane », « opportuniste » qui relègue au second rang les principes les plus élémentaires d’un mouvement social et populaire de « gauche ». Dans les deux cas, la seule réponse possible est la précipitation qui va toujours de pair avec l’improvisation. On s’interdit ainsi de mettre à profit le caractère potentiellement « rationnel » du libéralisme démocratique qui pourrait nous être favorable si on y adhère avec discernement.
Dans le contexte de cette démocratie libérale qui perd de plus en plus ses ancrages et d’un système parlementaire qui se fossilise en réaction au déclin du modèle (et du monde) occidental, ces tentatives de « recentrage », ce vocabulaire (« pragmatisme ») et cette méthode (« électoralisme »), directement inspirés du modèle stratégique « caquiste » (qui, comme on le sait, se démarque par ses « hauteurs de vue »), donnent l’impression d’une démission devant la lenteur du processus électoral qui n’est, somme toute, qu’un moyen parmi d’autres pour faire advenir la société à laquelle aspire la gauche québécoise. Avec la perspective pessimiste qui se fait jour depuis les dernières élections, le parti est confronté à faire des choix « difficiles », comme le disent notre chef, notre directrice et notre présidente, quoiqu’il faille interpréter ce constat en un sens fort différent de celui qu’ils veulent lui donner. Allons-nous nous enfoncer encore plus loin dans une optique « opportuniste » à partir de laquelle il faudra éternellement se questionner sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire, comment le dire ou comment ne pas le dire, dans quelles circonstances il est bon d’affirmer ceci ou cela ou de ne pas l’affirmer (ou encore de l’affirmer sans vraiment l’affirmer), que maintient-t-on dans notre plate-forme électorale et que repousse-t-on aux calendes grecques ? Là est la question : comment se situer face au parlementarisme qui n’a pas que des qualités mais dont les militants progressistes ont accepté les règles en formant un parti en bonne et due forme (QS), quitte à redéfinir, en temps et lieu, au moment d’avoir en mains les rênes du pouvoir parlementaire, certains protocoles qui se sont empoussiérés depuis que l’Empire britannique nous a fait « cadeau » de son système électoral.
Étant donné la récente remontée du PQ dans les sondages qui pourrait se traduire par un retour au pouvoir du parti souverainiste et un déclassement de QS, avec comme conséquence une régression vers le troisième groupe d’opposition (ou peut-être même le quatrième), ce qui constituerait un recul encore pire qu’en 2022 où le pourcentage de votes en faveur du parti a diminué, il est compréhensible et même nécessaire de vouloir opérer un processus d’introspection (une sorte de « thérapie de groupe », si l’on veut), d’autant plus que les deux formations sollicitent à peu près le même électorat (une gauche plus ou moins modérée, souverainiste ou indépendantiste selon le cas, « progressiste » avec toutes les variantes sémantiques existantes qui peuvent qualifier cette expression).
Ceci dit, évitons de tomber dans l’auto-flagellation, la culpabilisation à outrance (mea culpa, mea maxima culpa), le remords de conscience, procédés que nous avons hérité de notre culture judéo-chrétienne (du moins, pour les plus vieux d’entre nous), car il semble bien que, déjà, nous ayons beaucoup d’éléments à portée de la main pour effectuer un questionnement « en-retour » sur les décisions (plus ou moins heureuses, plus ou moins pertinentes et avisées) prises depuis 2018 : a) Le résultat tangible de la stratégie de « recentrage » de la dernière campagne électorale, b) L’abandon du travail parlementaire par des éléments cruciaux du parti (Dorion, Lessard-Thérien), c) Les effets négatifs, perturbateurs, aliénants (et même « traumatisants ») de l’adoption, sans distance « critique », du rythme effréné imposé par l’appareil politico-médiatique qui dicte quasiment l’agenda du Parlement (ce qui constitue une entrave sérieuse à une démocratie parlementaire « libérée » des pressions extérieures indues exercées par des intérêts particuliers qui viennent en contradiction avec les intérêts de la Majorité, donc avec le Bien Commun) et, finalement, d) L’expérience, très parlante, de la surmédiatisation grandissante de GND qui a pour effet de concentrer l’attention sur le porte-parole masculin, au détriment, peut-être, des fondamentaux du programme, ce qui, de plus, nourrit faussement l’image d’un parti dirigé par un seul homme.
En résumé, même si la ferveur « citoyenne » (devrait-on dire « révolutionnaire » ?) est importante dans la militance, elle constitue une sorte de « carburant » pour se mobiliser, mener des actions, poser des gestes « concrets » et « significatifs », il faut garder la tête froide et prendre des décisions réfléchies à l’aune de nos valeurs, nos principes, notre sens de l’intégrité morale, éthique, politique. Dans ce qu’on peut lire, entendre, voir de la part des représentants « officiels » de QS (Internet, médias, réseaux sociaux), on perçoit assez bien une sorte d’irritation, de décontenance, d’impatience devant le piétinement que vit QS eu égard à la volonté populaire (toujours instable, il faut le dire) ; à l’inverse (comme on peut s’en rendre compte en consultant le site Presse-toi à gauche !), il ressort une vraie et grande sagesse venant de la base militante qui a à cœur de mener une réflexion rigoureuse en faisant la part des choses entre le réel « électoraliste » (dont il faut tenir compte) et la pureté « idéologique » (qu’on doit toujours garder à l’esprit). L’impasse dans laquelle semble se débattre actuellement le parti, autant au niveau des instances décisionnelles qu’au niveau du membership militant, va trouver sa résolution entre ces deux extrêmes…
Mario Charland
Shawinigan
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