Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Réflexion sur trois tendances au sein de QS

Un départ soudain d’une porte-parole, une onde de choc, un point de presse de l’autre porte-parole qui invite à prendre un virage pragmatique pour créer un « parti de gouvernement », quelques démissions au passage, et différentes lettres ouvertes publiées cette semaine. Ça brasse pas mal au sein de Québec solidaire, c’est le moins qu’on puisse dire.

Cela dit, il ne faut pas non plus craindre les débats, la divergences de visions ou l’implosion potentielle du parti. Comme le disait Simonne Monet-Chartrand (je reprends la citation partagée hier par Carol-Anne Kack) : « À mon sens, les inévitables tensions et honnêtes affrontements entre les tenants d’idées, d’objectifs différents, tant au sein des couples que des groupes socio-politiques et nationaux peuvent avoir une fonction positive de déblocage, d’éclairage et de libération. »

Depuis la semaine dernière, trois tendances se distinguent au sein de Québec solidaire : 1) une tendance « gouvernementiste », mise de l’avant par Gabriel Nadeau-Dubois mais aussi plusieurs membres à l’interne (une lettre ouverte à ce sujet est en préparation) ; 2) une tendance « équilibriste » exprimée par la lettre d’Haroun Bouazzi et consignée par Amir Khadir) ; 3)une tendance « mouvementiste » rendue visible par la lettre ouverte publiée dans La Presse qui a fait beaucoup jaser, notamment en raison de la signature de Catherine Dorion.

La première tendance fait entièrement confiance à la direction du parti, invite les membres à embrasser les grands chantiers de QS et le virage modernisateur de la Déclaration de Saguenay, regrette le départ d’Émilise mais appelle surtout les membres à aller de l’avant avec l’objectif central de former le gouvernement. La deuxième tendance, plus critique, cherche à trouver un terrain d’entente entre l’aile modérée et l’aile radicale du parti, invite à ne pas oublier le besoin de garder un ancrage fort dans les mouvements sociaux, et reconnaît le besoin d’une introspection plus importante sur les problèmes organisationnels internes, sans remettre en question les chantiers de la Déclaration de Saguenay ou le leadership de GND. La troisième tendance, de son côté, met de l’avant la nécessité d’un virage plus radical au niveau du discours et des positions de QS, questionne plus frontalement la centralisation du pouvoir à l’interne et le discours pragmatique/modernisateur, et invite à retrouver un côté plus subversif sans se positionner clairement sur les enjeux du prochain CN.

Ces trois tendances peuvent-elles cohabiter au sein du même parti ? Elles ont réussi à le faire jusqu’à la plus récente crise, et maintenant on voit que les bouleversements internes créent une situation d’incertitude qui réactive les réflexion collectives et les mobilisations en courants distincts autour de textes co-signés. À mon avis, cela est un signe de « santé démocratique », et que l’unité autour de la vision de GND ne va plus de soi. Mais il y a bien des risques de déchirures internes et de membres déçu.e.s qui pourraient avoir envie de quitter le bateau.

Bien que le souhait de GND, de Manon et de plusieurs soit que cette crise interne se résorbe avec le prochain Conseil national à la fin mai, je crois plutôt que ces trois tendances continueront de coexister et de se chamailler dans les mois à venir ? Pourquoi ? Car même si on pourrait croire que la position de GND se trouve exprimée dans la Déclaration de Saguenay et que l’adoption de celle-ci serait l’indicateur de la victoire du camp « gouvernementiste », en réalité il y a bien des chances que cette déclaration soit amendée par des propositions des deux autres courants.

Par ailleurs, les autres grands chantiers, dont la révision/refonte du programme et la modification des statuts et règlements du parti, ne seront pas des enjeux réglés au prochain CN ; le processus ne fera que commencer. Pour ma part, me trouvant quelque part à mi-chemin entre le courant équilibriste et mouvementiste, je n’ai rien contre le fait de revoir le programme ou d’améliorer les structures démocratiques de QS. Mais tant qu’on n’aura pas de proposition claire, concrète et détaillée sous les yeux, il est difficile de prendre une position ferme sur ces dossiers.

Autrement dit, lors du prochain CN, rien ne sera définitivement réglé, bien que la crise et les tensions internes seront peut-être apaisées momentanément. Les membres de différents courants vont certainement prendre la parole, exprimer leur mécontentement, inquiétudes et espoirs pour la suite, les délégué.e.s débattront des amendements à la Déclaration de Saguenay, GND et Christine Labrie feront un appel à l’unité, et à mon avis il n’y aura pas de grandes décisions controversées, outre quelques prises de paroles qui seront doute plus senties.

Cela étant dit, la prochaine année pour QS sera haute en débats ; un procesus d’enquête interne et un plan d’action lié au départ interne d’Émilise seront mis en oeuvre, il y aura une course pour le poste de porte-parole féminin (la deuxième en deux ans), et un chaud débat sur la révision des statuts et structures de QS, avec en toile le fond la tension entre la critique de la centralisation du pouvoir (tendance mouvementiste) et le besoin d’allègement/efficacité (tendance gouvernementiste), avec des positions qui essayeront d’équilibrer ces deux tendances (tendance équilibriste).

Pour la suite des choses, je ne sais pas quelle tendance aura le dessus sur les autres. La tendance gouvernementiste a une certaine avance avec plusieurs cadres, élu.e.s et militant.e.s de longue date qui y adhèrent, mais le leadership de GND est légèrement affaibli depuis la crise. La tendance équilibriste aura un rôle certain à jouer, notamment avec la présence d’ancien.ne.s qui ont à coeur d’éviter l’éclatement de la gauche et de trouver des positions consensuelles qui rallient le plus grand nombre. Enfin, la tendance mouvementiste a un destin plus incertain, car elle inclut des gens très mobilisés à l’interne, mais aussi plusieurs personnes qui ont quitté le navire de QS dans les dernières années.

À mon humble avis, si un rééquilibrage doit avoir lieu pour éviter un virage gouvernementiste trop prononcé, il faudrait une sorte de coalition plus large entre la tendance équilibriste et mouvementiste, afin de créer un contre-pouvoir à la dynamique hyper-modernisatrice. Concrètement parlant, cela impliquera un travail sérieux d’amendement ou contre-proposition concernant la révision des statuts afin que l’impératif d’efficacité ne prenne pas trop le dessus sur le besoin de décentraliser le pouvoir. Le tout se complique par le fait que la tendance mouvementiste est composée de plusieurs ex-solidaires qui ne sont pas intéressés à revenir s’impliquer dans le climat actuel.

Par ailleurs, les gros débats viendront au moment de la refonte du programme, surtout si les membres décident de mettre de côté le programme actuel au profit d’une table rase, avec la réécriture d’un nouveau programme concis avec seulement 4 mois de consultation et un congrès pour adopter le tout.

De mon côté, pour le moment, j’ai besoin d’un pas de recul par rapport à tout ceci. J’ai été fortement impliqué dans les instances de QS de 2012 à 2016, j’ai ensuite pris mes distances, je suis revenu au dernier congrès de novembre 2023 au moment même où Catherine Dorion sortait son livre et qu’Émilise a été élue porte-parole. J’ai noué des amitiés plus fortes avec des gens de l’aile mouvementiste, même si j’ai aussi des liens de camaraderie et d’amitié avec des personnes de la tendance équilibriste, et un respect pour plusieurs personnes de le tendance gouvernementiste qui ne se résument pas à la seule figure de GND.

Mais il faut avouer que tous ces débats sont très prenants. De mon côté je ne pourrai pas être au prochain CN pour des raisons familiales et logistiques, bien que j’aurais aimé y être pour observer, écouter, m’exprimer et voir les choses évoluer de l’intérieur. Je reste membre du parti malgré tout, je ne suis pas du genre à déchirer ma carte pour une position ou un désaccord, bien que je sente pour l’instant que le virage gouvernementiste ne m’inspire guère confiance s’il se concrétise dans les deux prochaines années.

C’est pourquoi, à court terme du moins, je resterai en quelque sorte à la marge, comme sympathisant et observateur critique, et m’impliquerai davantage dans des projets et initiatives plus alignées avec mes orientations politiques : communs, municipalisme, décroissance, critique de l’IA, démocratie radicale. C’est aussi un phénomène étrange, car QS ne s’intéresse pas, ou très peu, à ces thématiques si chères à mes yeux, et qui sont essentielles à la construction d’une société postcapitaliste digne de ce nom.

Il y a là un certain paradoxe ou une tension que je vis en moi : je suis en quelque sorte un "social-démocrate radical" qui prône aussi le "communalisme", et je reste accroché à un parti de gauche à l’échelle nationale même si à chaque année je deviens de plus en plus critique de l’État et des dynamiques de centralisation du pouvoir qui sont inextricablement liées à la conquête de cet appareil bureaucratique.

Nous portons tous des contradictions en nous, je ne crois pas qu’il y a des gens purement "gouvernementistes" ou des personnes purement "mouvementistes" ; ces différents courants cohabitent à l’intérieur d’un parti comme QS et dans le cerveau de chaque militant.e. Cela dit, certaines tendances s’expriment plus fortement chez certaines personnes, GND et Dorion représentant les deux pôles d’un spectre entre lesquels il y a beaucoup d’entre-deux et de multiples milieux. Et les crises comme nous vivons en ce moment a tendance à mettre en lumière de façon plus nette ces différentes tendances qui coexistaient de façon souterraine.

Pour reprendre les mots de Monet-Chartrand, puisse cette crise servir à de « fonction positive de déblocage, d’éclairage et de libération ». Comme le pôle mouvementiste s’exprime davantage en moi depuis quelques années, je crois que cette tendance va continuer à s’exprimer tant dans l’aile gauche de QS, et de plus en plus à l’extérieur, dans d’autres initiatives, groupes et prises de parole plus décomplexées cherchant à expérimenter d’autres manières de voir, d’agir et de sentir au-delà des impératifs de la conquête des urnes.

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