Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Motion de l’Assemblée nationale sur l’islamophobie

Quelques questions à Djemila Benhabib

Dans la série des absences énigmatiques du débat sur le niqab qui empoisonne la campagne électorale fédérale, outre celui du prédicateur intégriste Adil Charkaoui, le silence de Djemila Benhabib a de quoi susciter quelques interrogations. Tout ce qui tourne autour de l’islam, de l’islamisme et du voile, c’est pourtant son champ de prédilection. Plusieurs diront son fonds de commerce !

En tout et pour tout, en termes de sorties publiques, elle a publié, le 2 octobre sur LaPresse.ca, un très court texte sur « les voiles islamiques » dans lequel elle réfute l’argument sur « le nombre dérisoire de femmes portant le voile intégral » avancé pour déplorer la trop grande place qu’occupe cette question dans la campagne électorale. Trop peu, trop tard.

Par contre, quand Françoise David, dans un cri du cœur qui honore le Québec en entier, propose et fait voter, par l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale du Québec, une motion s’inquiétant notamment de « l’augmentation des vidéos et déclarations à caractère islamophobe et raciste qui fusent sur les réseaux sociaux », c’est-à-dire de la multiplication de gestes et de propos ciblant des personnes, des citoyens et citoyennes et non pas la religion ou l’islamisme, Djemila Benhabib dégaine. Elle ressort, sur sa page Facebook, l’une de ses cassettes habituelles pour s’en prendre à Québec solidaire. C’est de loin son statut le plus « liké », ces derniers mois.

Djemila Benhabib écrit : « Non, la critique de l’islam n’est pas de l’islamophobie. Non, la dénonciation des voiles islamiques et de l’islam politique n’est pas de l’islamophobie. »

Nous sommes nombreux à être d’accord avec elle, et Françoise David elle-même dit que le niqab est une prison pour les femmes.

Mais - on veut savoir - quand une femme portant un foulard se fait agresser en pleine rue, à Montréal, s’agit-il d’une simple dénonciation des voiles islamiques ?

Quand Bernard Gauthier, syndicaliste connu de la FTQ, considère l’immigration comme un fléau et l’arrivée de réfugiés syriens comme de la « marde », est-il question ici d’une dénonciation de l’islam politique ?

Quand un lieu de culte musulman est vandalisé, doit-on qualifier cet acte comme une critique légitime de l’islam ?

C’est à ces questions que Benhabib devrait répondre avant de tomber à bras raccourcis sur l’une des plus grandes féministes de l’histoire du Québec, qui œuvre depuis des décennies pour les droits des femmes québécoises, autochtones, immigrantes et du monde entier.

Djemila Benhabib considère que l’islamophobie est un concept flou, soit. Elle croit qu’il est instrumentalisé par les islamistes : c’est tout à fait vrai.

Qu’est-ce qui l’empêche cependant de dénoncer les discours haineux qui touchent les citoyens et citoyennes de confession ou de culture musulmane en le qualifiant non pas d’islamophobes mais de racistes ou de xénophobes ? Sauf à faire le jeu des courants xénophobes, elle ne peut plus continuer à se cacher derrière le flou entourant un mot pour détourner le regard sur la montée d’un phénomène qui stigmatise une partie de la population québécoise et sape la cohésion sociale.

À la fin de son texte, elle écrit ceci :

Les islamistes épaulés par les nouveaux poncifs communautaristes avec un sérieux coup de main des islamo-gauchistes, ceux qui chez nous ont trouvé une niche confortable à Québec solidaire et au NPD, veulent imposer une chape de plomb au débat public à chaque fois qu’il était question de l’islam et des musulmans.

Parmi ceux et celles qui connaissent bien Québec solidaire, plusieurs regrettent que ce parti n’ait pas encore réussi à se construire parmi les minorités culturelles et ethniques. Affirmer qu’il est un abri pour les islamistes, c’est faire preuve d’un délire total. Personne ne peut évidemment prendre au sérieux une telle affirmation, sauf dans quelques cercles xénophobes ignorants.

Enfin, Djemila Benhabib semble oublier qu’en s’en prenant à Françoise David sur cette motion, c’est toute la représentation parlementaire dans toute sa diversité qu’elle dénigre et dont elle aurait pu faire partie si elle avait été élue lors des élections de 2014.

Il est en tout cas curieux qu’elle ne fasse pas preuve de la même « audace » face à Stephen Harper, qui a pourtant déclaré avoir comme allié l’Arabie saoudite, plus grand parrain international de l’intégrisme islamiste.

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