Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Québec Solidaire et le Parti Québécois : compatibles ?

C’est la question que doivent se poser beaucoup de progressistes par les temps qui courent. Bon nombre de solidaires espèrent sans doute supplanter l’ancien grand parti souverainiste, alors que les membres de celui-ci se demandent si une relance de leur formation est même envisageable.

Peut-on alors parler de « frères ennemis » ? À regarder aller les choses, on en retire plutôt le sentiment d’observer deux étrangers que des « frères », ou alors que les péquistes considèrent leurs vis-à-vis solidaires comme un « p’tit frère honteux » qu’ils préféreraient cacher dans un placard. En fait, l’évolution respective des deux formations dépendra de la capacité de chacune à rallier sous sa bannière le plus grand nombre de progressistes, souverainistes ou autonomistes.

Pour y voir plus clair, il faut d’abord effectuer un bref survol de l’évolution de l’appui électoral et du nombre de députés élus par ces deux formations depuis le scrutin d’avril 2003.

Le 14 avril de cette année-là, le gouvernement péquiste subissait la défaite en recueillant 33% du vote (contre 45% pour les libéraux) et en faisant élire 45 candidats. Le prédécesseur immédiat de Québec solidaire, l’Union des forces progressistes (l’UFP) n’allait chercher qu’un maigre 1.6% des voix et n’obtenait bien sûr aucun élu. Il avait présenté des candidats dans 74 circonscriptions sur 125. Le Parti québécois avait tout de même raflé à cette occasion le tiers des suffrages exprimés. Il ne semblait donc pas menacé. Il pouvait d’ailleurs se targuer d’une tradition gouvernementale assez longue et aussi celle d’Opposition officielle à certains moments.

Québec solidaire pour sa part voit le jour en 2006 de la fusion de l’UFP et d’Option citoyenne. La nouvelle formation est fondée par Françoise David et Amir Khadir.

Au scrutin du 28 mars 2007, les libéraux de Jean Charest conservent le pouvoir avec 33% des voix et 48 députés, le Parti québécois lui, descend à 28.3% des suffrages et ne fait élire que 36 candidats. Le nouveau parti de gauche Québec solidaire restait dans la marge comme avant lui l’UFP avec 3.6% des votes et aucun député. Il avait cependant réussi à présenter 123 candidats sur les 125 que compte la carte électorale du Québec, ce qui dénote un certain enracinement au sein de l’électorat, en particulier à Montréal.

De son côté, le Parti québécois connaît par la suite une évolution en zigzags : au scrutin du 8 décembre 2008, il rafle 35% du vote et fait entrer à l’Assemblée nationale 51 députés. Québec solidaire créée la surprise : il va chercher un modeste 3,7% des voix mais réussit contre toute attente à faire élire un député, Amir Khadir. Les libéraux s’accrochent au pouvoir avec 42% des suffrages et 66 députés.

Aux générales du 4 septembre 2012, pour l’essentiella position des partis en présence ne change guère en termes de votes obtenus : le Parti québécois sous Pauline Marois parvient à culbuter les libéraux avec 31.9% du vote et 64 députés, le Parti libéral voit le pouvoir lui échapper de peu avec 31.2% des voix et Québec solidaire passe de 3.7% des suffrages à 6.3% mais obtient un député supplémentaire, Françoise David. Il faut noter qu’une nouvelle formation, la Coalition Avenir Québec (la CAQ) fondée l’année précédente par François Legault rafle 27.5% des voix et fait entrer à l’Assemblée nationale 19 députés. Pauline Marois peut alors former un gouvernement minoritaire qui se révélera très éphémère.

En effet, défait à l’Assemblée nationale, le gouvernement Marois doit déclencher des élections pour le 7 avril 2014 : Le Parti libéral avec son nouveau chef Philippe Couillard obtient un solide 41.5% des voix pour 70 députés, le Parti québécois subit un véritable recul avec seulement 25.3% des suffrages et 30 députés ; Québec solidaire progresse un peu par rapport au scrutin précédent avec 7.6% du vote mais passe de 2 à 3 députés. La Coalition Avenir Québec recule un peu en termes de votes (23.5%) mais avance sur le plan parlementaire avec 22 députés.

Ce résultat signale le début de la descente aux enfers du Parti québécois. Sans qu’ils le sachent encore, les libéraux s’apprêtent eux aussi à encaisser une gifle magistrale de la part de la population.

C’est le scrutin du 1er octobre 2018 qui bouleverse la donne politico-électorale : la Coalition Avenir Québec réalise une entrée triomphale à l’Assemblée nationale avec 37.4% des voix et 74 députés. La Parti québécois continue sa dégringolade, tombant à 17.6% du vote pour 10 députés. Québec solidaire crée la surprise : il bondit de 7.6% du vote et 3 députés en 2014 à 16% et 10 députés, presque à égalité avec son rival péquiste.Les libéraux eux, chutent de 41.5% des voix à 24.8% et de 70 députés à 31. François Legault le nouveau premier ministre peut gouverner en toute tranquillité, face à des adversaires désunis et diminués.

Que conclure donc de cette évolution politico-électorale ?

Longtemps, l’UFP d’abord, puis Québec solidaire ensuite sont apparus aux gens comme le petit frère radical (si on veut demeurer dans la métaphore familialiste) du Parti québécois, surtout pour leur opposition au capitalisme rétrolibéral. Québec solidaire a moisi dans la marginalité électorale jusqu’en 2018.

Le Parti québécois a maintenu tant bien que mal une audience populaire assez vaste jusqu’en septembre 2012, mais en avril 2014 il est retombé à son vote... d’avril 1970. Donc, le scrutin désastreux pour lui d’octobre 2018 pourrait bien signifier le début de la fin pour le principal parti souverainiste, alors que Québec solidaire lui a damé le pion en proportion.

Il importe ici de souligner que la position constitutionnelle de ce dernier a évolué depuis 2006 : au début, le parti proposait en cas d’arrivée au pouvoir de mettre sur pied une assemblée constituante dite ouverte, où tous les courants idéologiques auraient eu droit de parole et qui aurait hérité de la mission de proposer au gouvernement et à la population par voie de référendum une option nationale (pas forcément indépendantiste). Le parti se définissait alors comme avant tout socialiste ou social-démocrate.

En 2017, sous l’influence du nouveau co porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois, le parti rejetait l’option d’une assemblée constituante ouverte au profit d’une autre ouverte aux seuls souverainistes. Il se repliait donc sur une position strictement indépendantiste, adoptant une stratégie découlant à la fois des convictions profondes de Dubois et peut-être aussi d’un certain opportunisme visant à doubler le Parti québécois sur sa gauche nationaliste.

Le Parti québécois a été de toute évidence sonné par sa défaite de 2018 tandis que Québec solidaire savoure encore sa percée. Le premier est mal en point et plusieurs se demandent s’il n’est pas condamné à la disparition comme la défunte Union nationale. Dans cette hypothèse, Québec solidaire pourrait-il lui succéder comme principale alternative nationaliste ?

Tout d’abord, l’effacement du Parti québécois n’est pas certain et il reste à vérifier si la montée de Québec solidaire se poursuivra. Malgré son succès, il démontre des signes de faiblesse qui l’empêcheront peut-être d’accéder au rang de parti majeur.

Il est en effet révélateur que la plupart des cadres péquistes ont rejoint les rangs de la CAQ ou qu’ils se sont simplement retirés de la joute politique au lieu d’accourir chez Québec solidaire. Celui-ci regroupe essentiellement des militants communautaires, syndicaux et écologistes, mais aucun ex ministre ou haut fonctionnaire.

Les gens le regardent comme la conscience sociale du Québec mais pas comme un parti à vocation de pouvoir. Si bien des électeurs et électrices le trouvent sympathique, ils ne le voient pas comme une solution de remplacement à la Coalition Avenir Québec ou au Parti québécois. Pourquoi donc ?

Parce qu’on doute de sa compétence à gérer les affaires de l’État. Parmi sa direction, personne ne se qualifie comme « ministrable » et encore moins comme « premier ministrable ». Les gens n’imaginent pas Gabriel Nadeau-Dubois comme premier ministre. Tout au plus Manon Massé comme ministre des Affaires sociales et peut-être Ruba Ghazal comme ministre de l’environnement, et encore...


Une comparaison avec le Parti québécois s’impose.

Le PQ était dirigé par René Lévesque, un ancien ministre libéral durant les années 1960 ; il possédait donc l’expérience, l’expertise et certains réseau de soutien haut placés nécessaires pour aspirer au rôle de premier ministre ; des fonctionnaires de gros calibre comme Claude Morin, Jacques Parizeau et Jacques-Yvan Morin ont rallié les rangs du Parti de Lévesque. À la veille du scrutin décisif de novembre 1976, la formation souverainiste pouvait donc aligner une impressionnante brochette de candidats éminemment « ministrables » et dont plusieurs sont devenus ministres par la suite.

Ce n’est pas le cas de Québec solidaire. En dépit d’une audience populaire accrue, il ne compte dans ses rangs aucun gestionnaire de haut niveau. La sincérité et la bonne volonté ne suffisent pas en politique pour rallier une grande majorité.

Beaucoup d’électeurs et d’électrices voient les solidaires comme les défenseurs par excellence des pauvres et des laissés-pour-compte mais pas comme un parti de gouvernement.

La chute du Parti québécois est-elle irréversible et la montée de Québec solidaire se poursuivra-t-elle ? Chacun possède ce qui manque à l’autre : dans le cas péquiste, une longue tradition d’opposition officielle et de gouvernement, dans celui de Québec solidaire l’idéalisme, le militantisme intense et l’espoir de continuer à progresser.

Ah, si vieillesse pouvait et si jeunesse savait...

Les votes confondus des deux partis au scrutin de 2018 atteignent un total de 33%, quatre points seulement de moins que le score de la Coalition Avenir Québec. La popularité des libéraux chez les francophones, elle, stagne au plus bas.

Donc, l’ensemble des suffrages récoltés par les deux formations souverainistes se maintient au tiers des électeurs et électrices.

Mais mais il faut admettre que si Québec solidaire a beaucoup avancé (son « grand bond en avant »), sa progression ne se compare pas à celle du Parti québécois entre 1970 (23% des voix) et 1976 (41%), ce qui fait planer un doute sérieux sur la capacité du parti à élargir sa base électorale au-delà des milieux de gauche.

L’essentiel du problème pour Québec solidaire réside précisément là. Ce dilemme s’impose à toute formation politique ambitionnant de « changer le système ». Notre système politico-électoral est implacable pour ce genre de parti, qui peut rassembler un appui électoral assez substantiel mais ne recueillir que quelques députés.

Il lui faut élargir ses appuis mais pour y arriver, rejoindre d’autres catégories d’électeurs et d’électrices, essentiellement de centre-droit mais sans pour autant trahir sa vocation première de gauche.

Il doit donc affronter la question épineuse et délicate des compromis à ficeler entre la « pureté » du programme initial et les adaptations réalistes nécessaires pour aller chercher le soutien de strates d’électeurs tièdes à l’égard des mesures de gauche. Cette situation entraîne d’inévitables tensions entre les idéalistes et les réalistes. Des tensions que le Parti québécois a subies souvent tout au long de son histoire tourmentée.

Pour l’instant, rien n’indique que Québec solidaire est capable de poursuivre sur sa lancée et d’atteindre un jour les 30% du vote, plancher d’appuis populaires essentiel pour tout parti qui rêve d’entrer dans la cour des grands, c’est-à-dire de devenir l’opposition officielle et de former éventuellement le gouvernement. Après tout, Québec solidaire n’a ramassé que 16.1% des suffrages l’année dernière, très en dessous encore de la barre du 30%. Et comme je l’ai déjà mentionné, sa capacité d’attraction auprès de politiciens et politiciennes aguerris et de gestionnaires chevronnés est faible, sinon nulle.

Le Parti québécois connaît le problème inverse : il a perdu son aura de séduction auprès de la jeunesse, aussi beaucoup de membres, il est déboussolé mais il conserve son « auguste » tradition de parti qui a marqué l’histoire du Québec. L’orientation social-démocrate de Québec solidaire ne peut que rebuter ses éléments influents, nécessairement conservateurs.

Alors, une fusion ou même une simple alliance entre les deux formations est-elle une hypothèse plausible ? Il n’est pas certain que leur adhésion commune de principe à l’indépendance y suffise.

Bien des propositions dans leur programme social et fiscal les oppose. Dans ce contexte, il paraît fort improbable que les derniers péquistes acceptent de saborder leur parti au profit d’une fusion avec Québec solidaire. Si malgré tout des péquistes décident de rejoindre celui-ci, ce sera en nombre minime.

Alors, que peut-on augurer de l’avenir de Québec solidaire et du projet social qu’il véhicule ? Pourra-t-il seulement dépasser les 20% du vote ? Québec solidaire a quitté la marginalité mais il est toujours très minoritaire au sein de l’électorat.

La réponse à cette interrogation est pour le moment fort incertaine. Mais on peut avancer sans risque d’erreur que son avenir dépend moins d’une alliance avec le Parti québécois que de progrès accrus et décisifs parmi les électeurs et électrices, progrès qui vont découler du ralliement de couches sociales supplémentaires au parti, groupes pas forcément très campés à gauche. Ce ralliement dépendra en définitive de la crédibilité que le parti acquerra et qui viendra qu’on le veuille ou non d’un réajustement du programme vers le centre. Les beaux principes ne suffiront pas à convaincre des groupes importants électeurs d’appuyer Québec solidaire.

Quant à l’indépendance... étant donné son déclin marqué, le parti serait peut-être bien inspiré d’en revenir à sa position initiale, celle d’une assemblée constituante ouverte, proposition plus rassembleuse que la « fermée » réservée aux seuls souverainistes.

Tout le défi de ce modeste mais indispensable parti consistera à faire des compromis entre les factions en présence sans renier sa raison d’être. Autrement dit, éviter l’écueil de possibles schismes, déchirements qui pourraient se révéler fatals pour lui. Le Parti québécois lui, a démontré au moins une remarquable capacité de résilience.

L’histoire se répète... ce qui représente peut-être une condition essentielle pour qu’elle se transforme.

Jean-François Delisle

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