Cibles d’attaques répétées, des mouvements marqués à gauche se voient affublés par la droite et l’extrême-droite de l’épithète de « wokes ». Pourtant, aucun des mouvements contestataires ne se définit lui-même comme « woke ». À l’origine utilisé par des afro-américains pour faire campagne contre le racisme ambiant aux Etats-Unis, il encourageait à s’affirmer politiquement (1). Ce fut cependant aux lendemains du meurtre du jeune afro-américain Michael Brown aux mains d’un policier blanc et la formation de Black lives matter que la formule a pris l’ampleur que l’on lui connaît aujourd’hui. La réaction à droite fut rapide. Le « wokisme » devient la posture à condamner, à criminaliser s’il le faut. Toute affirmation, article, recherche ou prise de parole dénonçant le racisme, le sexisme, les attaques contre les communautés LGBTQ sont dorénavant mis au ban sans appel.
Paul St-Pierre-Plamondon prend la balle au vol et affuble Québec solidaire du titre de « woke ». La sortie d‘Haroun Bouazzi à propos de la construction du racisme en serait la plus récente démonstration. Après François Legault, lui aussi grand inquisiteur du wokisme de la gauche, PSPP tire à boulets bleu sur tout ce qui remet en cause la cohésion de la « nation » québécoise. Et tout comme Legault, il résume tous les problèmes sociaux vécus au Québec par une immigration débridée, qui dépasserait la capacité d’accueil du Québec. Ainsi, le discours trumpiste et plus généralement des gouvernements néolibéraux qui veulent construire des murs contre l’immigration trouve ainsi des échos au PQ.
Le débat a pris une deuxième vitesse alors que la chroniqueuse Rima Elkouri de la Presse+ y allait d’une charge contre les propos de PSPP l’accusant de « jeter encore plus d’huile sur le woke » et qualifiant « d’insidieuse stratégie » la construction d’épouvantail pour désigner « l’autre ». Rappelant comment le terme fut utilisé par différentes mouvances de droite et d’extrême-droite pour disqualifier plusieurs revendications et mobilisations initiées par la gauche, Elkouri mentionne une étude portant sur le rôle des chroniqueurs de Québecor dans cette construction. Or, Québecor est étroitement lié au PQ, son PDG ayant été aussi chef de la formation politique.
La réplique ne tarda pas. Ce lundi, la présidente du PQ Catherine Gentilcore, future candidate du PQ dans Repentigny, accuse Rima Elkouri de wokisme. Par un ensemble d’associations douteuses (elle fait appel à Obama, à Kamela Harris et même à Bernie Sanders), elle prétend que le PQ n’est pas de cette mouvance qui fait de l’immigration un épouvantail. Que le PQ est de tous les enjeux sociétaux. Elle dénonce l’utilisation « de certains concepts de la gauche radicale qui se sont imposés à coup de procès d’intention et d’intimidation idéologique de toute personne osant les critiquer. » Nous pourrions rappeler à madame Gentilcore qu’on vient d’expulser un membre de son exécutif, monsieur Vincent Boulay, parce qu’il a osé critiquer la politique identitaire de son parti.
Le PQ des années 1970 était un parti que tentait de construire des alliances avec les différentes communautés culturelles. Le travail du député Gérald Godin fut à ce titre exemplaire. Si le PQ fut dans le passé un parti aux approches positives en matière d’accueil des immigrant.e.s, on pourrait accorder un peu de crédibilité à leurs déclarations. Mais il est utile de rappeler que l’embellie fut de courte durée et que le PQ abandonna cette orientation au tournant de années 2000 et il a été maître d’oeuvre de la mise au rancart des COFI (Centre d’orientation et de formation des immigrants) et de leur fermeture alors que tous convenaient que ces organismes étaient un exemple à suivre et à multiplier pour l’accueil et l’intégration des migrant.e.s.
Plus récemment, la publication de « Pour un Québec libre de ses choix », sa politique portant sur l’immigration, révèle le côté sombre de cette formation. Réduction radicale des seuil d’immigration, vision utilitariste des migrant »e.s, exigences excessives concernant la connaissance du français, tout les problèmes sont réduits à un seul enjeu : l’immigration. Le gouvernement fédéral est montré du doigt comme coupable de la situation actuelle, plaçant le Québec dans une position vulnérable dans la défense du français. Et puis tout y passe : les services publics sont victimes des surplus en immigration, la crise du logement y est attribuable, le marché du travail est dépendant d’une main d’oeuvre importée et tutti quanti. Bref, l’immigration massive serait facteur de « déstabilisation du climat social ».
Pour motiver cette politique restrictive, on évoque les limites de la « capacité d’accueil du Québec ». Or, sans définir cette « capacité », en quoi est-elle insuffisante et à quoi s’engage t-on à faire pour améliorer la situation, on ne va nulle part. La présentation de PSPP complète le tableau en qualifiant d’avance les contre-propositions de « militantisme » et de « clivages idéologiques ». Bref, une brochette d’explications faciles et de clichés qui prétendent répondre aux enjeux en s’inspirant des situations vécues par plusieurs pays européens (p. 39 et suivantes du document Pour un Québec libre de ses choix).
Le discours de Jacques Parizeau en 1995 sur les « votes ethniques » a causé une rupture et fournit des munitions aux adversaires de l’option indépendantiste. Puis ce fut le virage déficit zéro de Lucien Bouchard qui a concrétisé la rupture avec la gauche péquiste et recentré l’orientation péquiste vers un nationalisme davantage identitaire. Les pressions à droite sont devenues plus importantes avec la formation de l’ADQ, puis de la CAQ. L’accession au pouvoir de cette dernière a presque entraîné la disparition du PQ, réduit à une députation de 4 élus en 2022. La formation politique a choisi de se reconstruire autour d’un discours identitaire qui tient davantage de la mentalité d’assiégés que d’une politique émancipatrice pour tous et toutes.
Les engagements de Donald Trump sur les expulsions massives de migrant.e.s soulève aussi des questions sur les conséquences pour le Québec et le Canada. La CAQ exige le renforcement des frontières. Le PQ lui emboite le pas en déplorant la porosité de la frontière Québec-Etats-Unis et craint l’arrivée de « millions aux frontières ».
Tout cela nous confirme que le PQ est un parti caméléon qui prend la couleur qui lui permettra, croit-il, de revenir au pouvoir. Dans ce contexte, les récents discours sur la tenue d’un référendum lors du prochain mandat péquiste ne sont que des leurres. Sans l’apport et la mobilisation de communautés culturelles, l’option indépendantiste n’a aucune chance de devenir majoritaire. Il sera facile aux fédéralistes de peindre les indépendantistes de la couleur du racisme et de l’intolérance. Au contraire, la construction d’un bloc indépendantiste passe par une politique d’accueil et d’intégration émancipatrice et qui implique ces communautés dans la définition et la construction d’un Québec indépendant.
Notes
1- Voir le document de Vox
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