Édition du 12 novembre 2024

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Québec

Pour en finir avec la loi 21

Depuis son adoption le 16 juin, la loi 21 dite « sur la laïcité de l’État » a été un élément central dans les débats politiques et idéologique, en plus de devenir l’enjeu de batailles juridiques. Son application cause déjà des drames personnels. Le mouvement qui s’y oppose activement est encore marginal et les sondages semblent indiquer qu’elle bénéficie toujours d’un appui majoritaire. Allons-nous assister à un durcissement du nationalisme conservateur triomphant ? Un renversement de tendance vers une vision inclusive du Québec est-il envisageable ? Quelle stratégie devrions-nous mettre de l’avant pour mettre fin à cette injustice et prévenir d’autres défaites sur le plan des droits de la personne ? Des éléments de réponse à ces questions se trouvent dans les origines de la loi, les arguments qui l’ont justifiée et l’alignement des forces sociales et politiques qui en résulte.

décembre 08, 2019 | tiré du bloque de l’auteur - Le blogueur solidaire

Un nationalisme à l’ancienne

L’adoption du projet de loi 21 a été l’aboutissement d’une longue bataille idéologique menée par les nationalistes conservateurs. Les porte-paroles les plus connus de ce courant d’idée ont d’ailleurs poussé de cris de victoire quand les députés de la CAQ et du PQ ont voté pour la légalisation d’une forme de discrimination. Pour ces personnes, la vision tordue de la laïcité incarnée dans cette loi fait désormais partie de l’identité québécoise et doit être défendue comme si notre existence comme collectivité en dépendait [1].

Le point de départ de la longue campagne politique des nationalistes conservateurs a consisté à jeter le bébé des droits de la personne avec l’eau du bain du coup constitutionnel de 1982. L’amalgame est assez simple tout en étant complètement fallacieux. « La constitution canadienne a été adoptée sans le consentement du Québec. La Charte canadienne a été conçue notamment pour entraver les efforts du Québec en vue de protéger la langue française. Donc, la préservation de l’identité québécoise demande qu’on rejette les chartes des droits et le multiculturalisme. »

Les deux premières parties de cette équation sont véridiques. Mais le saut vers la troisième affirmation est pour le moins périlleux. On peut y répondre notamment que si certains articles de la constitution de 1982 visaient à miner la loi 101, ce n’est pas une raison pour rejeter le reste de la Charte canadienne. Aussi, si le bilinguisme et le multiculturalisme canadiens sont en conflit avec la notion même d’une nation québécoise ayant le français comme langue commune, ce n’est pas une raison pour tomber dans une définition étroite de l’identité québécoise. En fait, le vieux nationalisme ethnique du temps de Duplessis est parfaitement compatible avec l’intégration de l’ethnie canadienne-française dans la mosaïque canadienne. C’est l’idée d’un Québec interculturel, foyer d’intégration de gens venus « des autres saisons » qui est en conflit frontal avec le « nation building » canadien.

Bref, le ralliement des partis politiques nationalistes à cette vision, hostile aux chartes des droits et assimilatrice plutôt qu’intégratrice, n’était pas une fatalité. D’ailleurs, c’est seulement vers 2006 que l’ADQ s’est installée dans ce giron identitaire. Auparavant, elle se distinguait surtout par son conservatisme socio-économique. Le PQ y a résisté jusqu’à sa défaite électorale cinglante du printemps 2007. Puis, le ralliement des troupes au virage opéré par Pauline Marois ne s’est pas fait sans résistance ou sans débats. C’est la bataille politique pour la Charte des valeurs en 2013 qui a consolidé le virage et rendu le processus irréversible.

Positionnements aux élections fédérales

La récente campagne électorale fédérale nous a donné un éventail des différents positionnements possible face à la loi 21. Le Bloc québécois a démontré son ralliement au nationalisme conservateur en mettant de l’avant un discours dénué de l’ombre de la moindre critique de la loi sur le fond, en plus de présenter toute opposition celle-ci comme une attaque contre le Québec en général. Pourtant, deux partis sur quatre à l’Assemblée nationale avaient voté contre !

Les conservateurs ont tenté de jouer une carte politique opportuniste en atténuant les critiques et en mettant l’accent sur leur respect de la juridiction québécoise en la matière. Leur ambition était de rafler une partie de la base électorale de la CAQ. Mais celle-ci leur a échappé au profit d’une augmentation spectaculaire des appuis pour le Bloc, beaucoup plus fermement aligné sur le gouvernement Legault.

Les Libéraux ont laissé la porte ouverte à une implication du gouvernement fédéral dans les contestations judiciaires de la loi. Ce positionnement, prévisible pour le parti qui nous a donné la constitution de 1982, correspondait à leur situation de gouvernement sortant un peu amoché par les scandales et dont la campagne visait surtout leur base traditionnelle. Le fait qu’une telle intervention du fédéral ne ferait que nourrir le discours nationaliste conservateur et n’apporterait rien à des contestations judiciaires déjà en cours ne semble pas avoir compté dans leur stratégie.

C’est le NPD qui a adopté la position la plus à même de désarmer les nationalistes conservateurs et de combattre la loi. Ses principaux représentants ont martelé à la fois que le parti était contre la loi sur le fond et que ce n’était pas le rôle du gouvernement fédéral de la contester. Cette position faisait d’ailleurs écho à celle de Québec solidaire demandant aux partis fédéraux de se mêler de leurs affaires, tout en s’opposant fermement à la loi.

Le message et les messagers

Une publicité du gouvernement du Manitoba invitant les personnes ciblées par la loi 21 à venir s’établir dans leur province a fait réagir. D’abord, l’idée de quitter le Québec pour une autre province constitue une solution logique pour des femmes et des hommes qui veulent exercer une des professions couvertes par la loi tout en portant un signe visible de leur appartenance religieuse. Que le gouvernement manitobain veuille profiter de cette situation pour aller chercher des personnes compétentes et les intégrer à une minorité francophone en déclin est tout aussi logique.

Évoquer en réponse la mémoire de Louis Riel, comme l’a fait le chef intérimaire du PQ est pour le moins anachronique. Riel est maintenant reconnu comme un héros canadien et le fondateur de la province, tandis que John A. Macdonald a de plus en plus mauvaise presse… En même temps, toute intervention de la part des gouvernements provinciaux ou du fédéral est mal perçue en raison d’une longue histoire de marginalisation du Québec dans le système politique canadien et de Québec bashing. Au cours des dernières années, les attaques contre le Québec sont venues principalement des politiciens de l’Alberta et de la Saskatchewan, fâchés par le rejet massif du projet Énergie Est et amères d’avoir à financer les services publics québécois par la péréquation. Donc, même si le message est pertinent, les messagers ne sont pas bien placés pour le livrer. Ce sont les personnes visées par la loi qu’on a besoin d’entendre nous parler de leur détresse et de leur envie de partir.

Il en est de même des accusations de racisme portées avec raison contre cette loi. Pendant trop longtemps, des leaders politiques et des médias du Canada anglais et de la minorité anglo-québécoise ont accusé injustement le mouvement souverainiste de racisme quand il défendait la langue française ou menait des batailles pour l’émancipation nationale. Maintenant que ces accusations sont fondées, bien des gens ne veulent pas les entendre, surtout si elles viennent des mêmes institutions [2]. Ce sont les personnes québécoises racisées qui doivent prendre leur place dans le débat, en alliance avec les membres de la majorité qui sont solidaires de leurs luttes.

Pour renverser cette loi, il va falloir décontaminer le nationalisme québécois, malade des influences de l’extrême-droite culturelle européenne et des nativistes étasuniens. Si les contestations judiciaires sont légitimes et nécessaires, elles ne suffiront pas à remporter la bataille d’idées et à rallier une majorité de la population à une vision inclusive et juste de la société. Il ne suffit pas d’arracher la mauvaise herbe, il faut planter autre chose et prévenir sa réapparition. Ultimement, seule l’adhésion démocratique pourra garantir le respect des droits des personnes et des minorités. C’est notamment pour cette raison que nous avons besoin d’une constitution québécoise, élaborée par une assemblée constituante et ratifiée par référendum, comme le prévoit le programme de Québec solidaire.


[1Pour une autre vision de la laïcité, voir ma présentation du 9 février 2018 https://tinyurl.com/rhzy5uk

[2Pour plus de détails sur cet aspect de la question, voir sur Le blogueur solidaire, le billet intitulé Racisme, privilèges et incompréhension https://leblogueursolidaire.blogspot.com/2017/11/racismes-privileges-et-incomprehensions.html

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