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Platon : Protagoras

Compte-rendu[1] critique (Texte 26)

Platon. 1997. Protagoras. Traduction de Frédérique Ildefonse. Paris : GF Flammarion, 267 p.

Dans le dialogue intitulé Protagoras (dialogue de jeunesse composé entre - 390 et - 385), Platon dénonce les prétentions des sophistiques à pouvoir tout enseigner aux Athéniens y compris le bien le plus précieux à l’époque : la « vertu » et ce, en échange d’un salaire. Le dialogue s’amorce par un prologue où Hippocrate réveille Socrate avec précipitation. Il lui demande de l’accompagner chez Callias où réside provisoirement Protagoras, le grand maître de la sophistique, qui enseigne l’art de bien discourir contre rémunération. De beaux discours qui portent sur quoi précisément, demande Socrate ? Car, selon ce dernier, n’importe quel art permet de faire de beaux discours. Incapable de répondre à cette interrogation avec précision, Hippocrate accepte d’aller interroger Protagoras, tout en demandant à Socrate de l’accompagner. Il se saura dès lors en mesure de pouvoir juger plus précisément ce à quoi correspond cette fameuse sophistique.

En arrivant chez Callias, Socrate et Hippocrate constatent qu’il n’y a pas que Protogoras de présent, il y a aussi Hippias et Prodicos qui se disent tous deux sophistes. Hippias est probablement le plus prétentieux des sophistes, il ose se prétendre omniscient, donc capable d’enseigner mieux que quiconque plusieurs sciences. Des trois sophistes présents, Protagoras est le moins prétentieux. Il a un sens moral qui l’amène à se démarquer de ceux qui, parmi les sophistes, font un usage moralement réprimandable de sa science. On retrouve également chez lui une forme de recherche de la vertu et il défend également la thèse que « L’homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas. » Thèse qui est vivement contestée par Platon qui la considère comme contraire à la vérité et préjudiciable à la dialectique. Pourquoi ? L’antithèse de l’homme n’est-elle pas l’absence de l’homme ? Et donc la synthèse ne viserait-elle pas une réalité où l’homme et son absence constituent sa véritable nature, vivant un jour et mort l’autre jour ? Si cela est peut-être vrai pour le corps, l’âme saura résister à ce dualisme, puisque l’homme est corps et âme. Son existence consiste avant tout à élever son âme.

D’entrée de jeu, Socrate demande à Protagoras quelle profession il exerce et quel bénéfice il est permis d’en espérer ? Protagoras répond qu’il exerce une vielle profession aux origines lointaines, pas toujours appréciée du public, et dont les premières personnes à pratiquer son art avaient pour non les illustres personnages suivants : Homère, Hésiode, Simonide et Orphée. Il est, en un mot, « sophiste » (du grec sophos, qui signifie « savant »). Cet art qu’il enseigne permet de mieux gérer ses affaires personnelles et les affaires publiques. La sophistique vise donc, selon lui, à rendre meilleure dans l’action et le discours politique la personne qui s’y forme et la met en pratique par la suite.

Socrate se montre un peu sceptique ici. Il se demande, à partir de deux arguments, si la vertu politique peut réellement s’enseigner ? Au départ, il avance que pour certaines décisions politiques, quand un savoir réellement technique est requis (pour la construction d’un navire ou d’un bâtiment, à titre d’exemple), les citoyens de la cité d’Athènes sollicitent un ou des avis émanant de personnes réputées expertes en la matière. Une personne n’ayant aucun apprentissage en architecture serait rapidement ridiculisée si elle s’avisait de donner son avis, avant même que soit connu l’avis de l’expert. Pour ce qui est des décisions politiques, en démocratie participative, tout le monde, expert ou non, peut prendre part à la discussion et à la décision. Ce simple fait, aux yeux de Socrate, est une preuve irréfutable qu’il n’y a aucun apprentissage possible en politique qui débouche sur une authentique expertise. Dans un deuxième temps, Socrate affirme que le grand stratège Périclès n’a jamais transmis son savoir (sa sagesse ou sa connaissance) à ses enfants. Chose probablement impossible à concevoir si une telle chose avait été possible. Disons que connaître la politique à travers ses règles semble possible pour quiconque y aspire ; en revanche, être un homme ou une femme politique dans une grandeur d’âme inspirant un agir totalement juste relève d’un trait de caractère ou d’un talent qui n’appartient pas à tout le monde. La majorité devra apprendre à le devenir, du moins y tendre, sans pour autant être réellement capable de transcender jusqu’à atteindre celui ou celle qui détient cette qualité de manière innée. Mais encore, existe-t-il en ce monde un dirigeant ou une dirigeante à ce point sage ?

Protagoras tient un discours dans lequel il fait référence aux cinq vertus suivantes : la justice, la piété, la tempérance, le courage et la sagesse. Socrate lui demande s’il s’agit là d’une seule vertu ou de cinq choses différentes ? Plusieurs selon Protagoras. Elles sont des parties qualitativement différentes de la vertu, comme le sont les différentes parties du visage.

Dans la discussion, ce sont deux visions de l’art de discourir (le logos) qui s’affrontent. Celle de Protagoras, qui se lance à la recherche de la belle formule dans l’expression et celle de Socrate, qui est plus austère parce que dépouillée de formules principalement agréables à l’écoute.

Arrive un moment dans le dialogue où Protagoras accepte de réviser sa position initiale. Il soutient que quatre vertus se ressemblent et pour ce qui est du courage, elle diffère des autres. Socrate examine plus finement le statut du courage par rapport aux quatre autres vertus. Il démontre que le courage est une forme de savoir et par conséquent de sagesse. Sa thèse triomphe sur celle de Protagoras. Protagoras accepte sa défaite et prédit à Socrate qu’il deviendra un des plus grands sages.

Conclusion

Il faut retenir de ce texte au moins deux choses : dans un premier temps, tout comme il ne faut pas confier son corps à quiconque qui se prétend « guérisseur », il ne faut pas confier son intellect à n’importe quel charlatan ou pseudo-maître d’un savoir factice. Dans un deuxième temps, la politique ne s’enseigne pas, elle ne s’enseigne surtout pas dans un régime de démocratie directe ou participative. Dans ce genre de régime, tout le monde peut donner son opinion. Il est donc impératif ici d’apprendre à débattre. Le « débat » consiste précisément à effectuer un examen critique d’une question en vue de distinguer le vrai et le faux. Puisque la sophistique correspond à un art de discourir qui s’agrémente de fioritures, il est préférable de pratiquer la dialectique qui consiste à examiner, de manière approfondie, un enjeu ou un sujet de recherche pour réussir à dévoiler le vrai ou ce qui est caché à nos sens ou ce qui échappe à nos perceptions immédiates et spontanées.

Il faut aussi retenir de ce livre que la vertu ne s’enseigne pas et surtout pas contre salaire. La morale de l’histoire serait donc la suivante : faites attention à celui ou celle qui a la parole facile, car son intention est de vous séduire afin d’atteindre une fin susceptible de ne pas vous être bénéfique.

Remarque additionnelle avant de clore

Depuis le mois d’octobre 2020 (et même un peu avant), il a beaucoup été question de la rectitude langagière. Il faut se poser ici une question : cela s’est-il fait dans le cadre d’une démarche dialectique ou non ? Nous laissons cette question à votre appréciation critique.

Yvan Perrier
Guylain Bernier
13 décembre 2020
13 heures
yvan_perrier@hotmail.com

[1] Précisons qu’il s’agit ici d’un compte-rendu partiel et sommaire.

Portfolio

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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