Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Petits soldats rouges contre petits soldats bleus

La guerre des mots entre Pierre Karl Péladeau contre les petits soldats de l’empire de Power Corporation me fait bien rire, et c’est une belle analogie de la scène politique actuelle au Québec. Tout comme la bataille entre le PQ et le PLQ est l’histoire de deux vieux partis semblables sur le fond, les médias de Québecor et de l’empire Desmarais se livrent également une chaude lutte en matière de désinformation et d’insignifiance.

Avant de parler de La Presse, j’aimerais poser la question suivante : est-ce qu’il reste quelqu’un au Québec, à part les nouveaux arrivants Syriens, qui ne connaît pas la relation incestueuse entre La Presse et tout ce qui s’appelle libéral ?

Oui, ils sont très biaisés, surtout quand on approche d’une campagne électorale. Ils prennent les pires photos possibles pour faire mal paraître leurs opposants idéologiques ; doivent souvent se rétracter contre des indépendantistes ; ils font disparaître les sondages qui ne leur sont pas favorables ; et même si l’ensemble de la députation libéral se faisait arrêter par l’UPAC dans les deux prochaines années, André Pratte écrirait quand même quelques jours avant le scrutin un éditorial recommandant de voter pour les libéraux, avec le même simplisme que les campagnes libérales axées sur les mots santé, économie et la peur d’un référendum.

Pierre Karl Péladeau a tout à fait raison de suggérer que La Presse devrait être considérée comme une dépense électorale du PLQ. Ils ont perdu une somme colossale pour maintenir en vie artificiellement le journal dans les dernières décennies. Robin Philpot a effectué un excellent travail, rigoureux, pour mettre en lumière tous les aspects politiques et commerciaux de Power Corporation au travers de son organe médiatique privé :

Le Point : Quelle est la ligne éditoriale de La Presse ?

Paul Desmarais : C’est mon fils André qui est chargé de La Presse. Notre position est connue : nous sommes fédéralistes. Ça nous a valu des conflits très durs. Au final, on est arrivé à un compromis : je ne dois pas intervenir dans le journal. Le point de vue des séparatistes peut apparaître, mais la ligne éditoriale est fédéraliste. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Si le Québec se sépare ce sera sa fin. Les séparatistes nous conduisent à la dictature des syndicats...

(...) C’est exactement ce que son adjoint Claude Frenette a déclaré à un agent de l’ambassade des États-Unis six mois après que Paul Desmarais ait acheté La Presse : « Power Corporation a l’intention d’utiliser le réseau de télévision et de presse qu’elle contrôle au Québec pour aider à battre le séparatisme à l’aide d’opérations de propagande subtiles. »

Je repose la question, surtout aux militants péquistes qui sont indignés que « personne » ne parle de Power Corporation et de ses liens avec les libéraux : est-ce que quelqu’un est tombé en bas de sa chaise en lisant ceci ? J’ai toujours trouvé que cette façon dont La Presse patine pour défendre les libéraux et attaquer le mouvement indépendantiste est tellement caricaturale depuis quelques années que je peine à inclure tout ceci sous le terme de propagande. C’est un conflit d’intérêt réel, avoué et assumé depuis longtemps, qui est connu de tout le monde, y compris ceux qui consomment librement le produit.

Chaque fois que le chef péquiste attaque la neutralité de La Presse sur la question nationale, je ne peux m’empêcher d’observer son œuvre avec Québecor et y voir également un média biaisé à son image de conservateur.

Non, les médias de Québecor ne pondent pas d’éditoriaux bidons pour inciter les gens à voter pour un parti politique durant des élections, mais c’est la même entreprise privée qui nous inonde de l’opinion de Richard Martineau du matin jusqu’au soir depuis des années ; qui laisse l’Institut économique de Montréal publier sa propagande mensongère avec des textes de 350 mots pour expliquer des phénomènes économiques complexes ; qui a donné une tribune à la télé et dans ses journaux à presque tous les animateurs et chroniqueurs des radios de Québec.

C’est aussi le média qui a plus aidé à la formation de la CAQ en faisant presque des publi-reportages quotidiens sur eux pendant la formation du parti en 2011, tellement que les sondeurs croyaient que la CAQ balaierait le Québec une main dans le dos en 2012.

Le Journal de Montréal est le seul quotidien que je connaisse qui soit capable d’ignorer une manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personne à quelques rues de son quartier général pour mettre une histoire insignifiante sur quelqu’un qui s’est fait fourrer de 30 000 $ en première page le lendemain matin. Le seul également capable de nommer un conservateur dépassé par les évolutions sociales depuis les années 1950 au poste de directeur des pages d’opinion, qui a écrit un des pires torchons que j’ai pu lire dans les dernières années.

Si j’étais aussi paranoïaque que les militants péquistes, je dirais que Québecor est une machine de guerre de droite, détestant Québec solidaire (QS) et faisant tout pour empêcher sa progression. Tous les médias donnent des jambettes à QS, c’est normal, mais Québecor reste le seul qui manque souvent de respect en publiant des textes qui les nomment « Québec suicidaire » ou « Québec solitaire », et qui attaque leurs idées avec plus de sophismes qu’autre chose. Le blogue des spin doctors des anciens péquistes conservateurs comme Joseph Facal ou Mathieu Bock-Côté est une belle équipe de nationalistes au service du chef !

Non, je ne crois pas aux grandes théories du complot médiatique. Il y a bel et bien une ligne éditoriale fédéraliste à La Presse et une pensée conservatrice omniprésente chez Québecor, mais Sagard n’a pas besoin d’appeler chaque jour dans ses quotidiens, tout comme PKP ne se lève pas la nuit pour dicter à ses chroniqueurs de planter un autre parti politique.

Il y a cependant une chose à laquelle je crois, c’est que les entreprises privées ne cherchent qu’à satisfaire leurs propres besoins. Il n’y a pas de raison de traiter un média privé d’une façon différente qu’un fast food privé, et ceux qui y travaillent comme des employés. Les médias ne sont pas indépendants, ni au service de l’information avant tout. Ils sont à leur service et à ceux de leurs commanditaires, point.

Les journalistes et les chroniqueurs n’aiment pas que l’on remette en question leur neutralité, et je les crois dans la très grande majorité des cas. Ils sont libres d’une certaine façon, mais il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles non plus. La liberté de presse s’arrête là où les intérêts corporatifs commencent. Même les journalistes sportifs sont terrifiés de poser des questions gênantes au Canadien de Montréal par peur de se les mettre à dos et ainsi voir la compétition en profiter !

Tout n’est pas blanc ou noir. J’administre une page Facebook qui parle principalement d’économie et de politique depuis quelques années et j’ai régulièrement partagé des articles du Journal de Montréal et de La Presse. Il y a des bonnes choses qui en sortent. Léo-Paul Lauzon envoie encore dans les publications de Québecor d’excellents jabs au patronat, l’institut IRIS y possède également une tribune. Depuis quelques mois, une des personnes dont les indépendantistes partagent le plus de textes est l’excellent Boucar Diouf dans La Presse, avec des textes à saveur nationaliste. Ils essayent bien de balancer les choses, mais l’ensemble du tableau ne ment pas.

Il y a du bon et du mauvais partout. Mais, franchement, en général les médias de Gesca et ceux de Québecor sont sur un pied d’égalité, très bas sur l’échelle de la crédibilité et du professionnalisme.

Ce sont deux mauvais médias, qui prennent beaucoup de place, et qui sont également responsables de la piètre qualité du débat politique au Québec.

Eric Beaudry

Militant socialiste et blagueur sur Huffington Post Québec.

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