Loi 70 : accélération de la lutte des classes au Québec ?
Il y a une continuité dans l’action du gouvernement libéral de Philippe Couillard depuis son élection. Comme les coupures dans les garderies et l’éducation, le projet de loi 70 s’attaque aux plus pauvres pendant qu’à l’autre bout de l’échelle, la fraction la plus riche de la société accroît l’écart entre ses revenus et ceux du reste de la population. Ce que semblent oublier les membres du gouvernement, c’est que le droit à l’aide sociale pour toute personne privée de ses moyens de subsistance n’est pas un acte de générosité. Ce sont les conséquences des troubles sociaux qui ont suivi la Crise économique mondiale des années 1930. Elles ont mené à la création de l’assistance sociale au Québec et obligé le gouvernement de jouer un rôle plus actif à l’égard de l’économie. Au début de la grande crise, les gouvernements provinciaux refusaient d’aider les hommes seuls et sans foyer, ce qui a mené à l’émeute de Regina en 1935 dans laquelle un policier est mort et où des dizaines de manifestants ont été blessés. Au Québec, c’est une grève de 10 000 travailleurs contre Dominion Textile en 1937 qui avait été un des points forts des manifestations des démunis. Ce sont ces pressions populaires et les nombreuses manifestations dans les rues qui ont amené en 1940 à la création du ministère du bien-être social. Ce combat qui s’est tenu principalement à Montréal dans la première moitié du 20e siècle a mené à une certaine paix sociale dont le gouvernement actuel oublie les principes de base.
Cet équilibre social a évolué jusqu’en 1966 quand le gouvernement fédéral a mis sur pied le Régime d’assistance publique du Canada (RAPC) qui établissait le montant donné en se basant seulement sur les besoins du prestataire. De plus, le RAPC interdisait aux provinces d’exiger une forme quelconque de travail comme condition pour recevoir l’aide. La Loi d’aide sociale a par la suite été adoptée au Québec en 1969. Le système d’aide aux plus démunis du Québec est donc le résultat d’une forme de lutte des classes, telle que Karl Marx et Friedrich Engels l’entendaient. Elle a fait trembler le Québec après la grande dépression et a amené à construire le filet social. C’est ce filet social que tente de déconstruire actuellement maille par maille le gouvernement Couillard sans réaliser qu’en faisant constamment plus mal aux plus pauvres de la société tout en enrichissant les plus riches, il ramène au Québec les conditions idéales pour l’aggravation de la lutte des classes. Ses actions divisent actuellement la société en classes sociales qui s’affrontent.
La Loi visant à lutter contre la pauvreté avait pourtant établi un revenu intouchable à l’aide sociale pour donner l’opportunité aux personnes de surmonter l’épreuve qu’ils vivent et leur donner une chance de se remettre sur leurs pieds. Il est particulièrement insultant que quelqu’un qui gagne plus de 100 000 $ d’argent public par année présume dans un projet de loi que les pauvres ne veulent pas travailler, qu’ils sont des profiteurs et des fraudeurs qu’il faut plus sanctionner. Un psychologue parlerait de projection. Chacun des députés qui vont voter sur le projet de loi 70 devrait essayer, avant de le faire, de vivre quelque mois avec un revenu mensuel de 623 $. Ce n’est pas d’emplois hors de leur milieu de vie, mais d’instruction et d’outils intellectuels pour s’en sortir qu’ont besoins les personnes actuellement à l’aide social.
S’il est normal selon les principes de la lutte des classes que la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) et le Conseil du patronat du Québec (CPQ) appuient les grands objectifs du gouvernement libéral en affirmant qu’il existe 66 000 postes à pourvoir en ce moment au sein des PME québécoises, ceux-ci savent qu’il existe un chômage structurel normal qui fait partie des fondements mêmes du système industriel dans lequel ils opèrent. Selon les propos du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad, ces sanctions devraient toucher environ 10 % des demandeurs. Le projet de loi 70 entraînera donc une augmentation significative du nombre de jeunes qui se retrouveront en situation d’itinérance. Atteindre les chômeurs laissés pour comptes sous un quelconque prétexte que ce soir est un geste bas et indigne de la réputation humaniste que tente de se donner le Québec.
Avec le projet de loi 70, les nouveaux prestataires devront accepter des emplois hors de leur milieu de vie sous peine de perdre jusqu’à la moitié du strict minimum qu’ils ont pour vivre. Un montant qui est d’ailleurs largement sous le seuil de la pauvreté. En plus de dépeupler encore un peu plus les régions éloignées, le Québec crée ainsi une classe d’individu sur lesquels les vautours de la société québécoise peuvent encore faire de l’argent, et ce, après s’être accaparé plus que leur part équitable des ressources de la province. Rappelons que le niveau de vie des gens dans le quintile le plus riche de la population s’accroît plus rapidement que celui du quintile le plus pauvre, et ce, sans qu’il y ait de processus de redistribution capable de rétablir l’équilibre. La meilleure preuve de cela est que le taux d’imposition de ce quintile le plus riche passait de 26 % à 22 % entre 1997 et 2011. Cet écart qui augmente et l’actuelle diminution de la mobilité sociale en raison du désinvestissement dans l’éducation ramènent la société québécoise au fondement de la lutte de classe qui a mené aux agitations sociales du siècle dernier. L’histoire se répète pour ceux qui ne savent pas la lire.
Michel Gourd