Tiré de la lettre de l’IRIS | mai 2019
Les auteur.e.s de cette note socioéconomique sont : PHILIPPE HURTEAU, chercheur à l’IRIS avec la collaboration de VIVIAN LABRIE, chercheure associée à l’IRIS MINH NGUYEN, chercheur associé à l’IRIS
Conclusion
Bien sûr, sortir de la pauvreté ou ne pas y entrer au sens des définitions officielles n’est pas seulement une affaire de revenu. Il importe de porter également attention aux avoirs, à la qualité des garanties et à la sécurité que permettent les protections sociales, les normes du travail, les services publics et la fiscalité. Tout cela est relié aux solidarités collectives qui s’expriment dans la société et qui déterminent les choix de gouvernance. D’où l’importance de s’intéresser aussi aux écarts existants dans la distribution des revenus, à la connaissance de ces écarts, au degré de tolérance aux inégalités prévalant dans la population et à ce qui peut le faire bouger vers un bien-vivre mieux partagé.
Le revenu viable ajoute à la connaissance des transitions à envisager entre la pauvreté et son absence. Il donne en somme la mesure d’un niveau de revenu modeste avec lequel on peut vivre décemment, autrement dit, d’un revenu qu’on peut vouloir pour soi et pour les autres. Nous avons vu dans cette note que ce niveau s’échelonne, pour sa partie comparable, entre 1,18 fois (pour une famille monoparentale avec un enfant à Trois-Rivières) et 1,64 fois (pour une personne seule à Sept-Îles) le seuil de la MPC correspondant pour les trois types de ménage et les sept localités considérés.
Une autre recherche publiée par l’IRIS en 2016 a montré que, bon an mal an entre 2002 et 2011, le revenu disponible au Québec équivalait à une capacité collective de deux fois le seuil de la MPC. Cette capacité se trouvait réalisée au sixième décile des ménages classés selon leur revenu après impôt. Pendant cette période, le premier décile des ménages (le plus pauvre) avait disposé en moyenne de moins de la moitié du seuil, et le dixième décile (le plus riche) s’était constamment situé au-dessus de quatre fois le seuil.
Enfin, lors d’une simulation réalisée en Gaspésie en 2016 avec ces ratios, il a été proposé à une centaine de participant·e·s de revenus divers distribués au hasard en dix tables représentant chacun de ces déciles, d’explorer à quoi pouvaient correspondre les différences de niveaux de vie correspondantes. Il en a résulté le sentiment qu’on pouvait envisager se sortir la tête de l’eau au troisième décile (1,25 fois le seuil de la MPC), qu’on tenait en équilibre précaire aux quatrième et cinquième déciles (1,55 et 1,74 fois le seuil de la MPC), et que le passage de la précarité à l’aisance s’opérait au sixième décile, lequel rejoignait la capacité collective moyenne de deux fois le seuil de la MPC32. Ces résultats mettent à tout le moins en question le choix de présenter la MPC comme la frontière entre la pauvreté et la classe moyenne dans la stratégie canadienne de réduction de la pauvreté. On aperçoit plutôt un continuum entre la pauvreté et l’aisance économique qui interroge l’idée de classe moyenne : malgré leur appartenance théorique à la classe moyenne, la réalité précaire d’un ménage du troisième décile, disposant de 1,25 fois le seuil de la MPC, se compare difficilement au niveau d’aisance d’un ménage du huitième décile, disposant de 2,55 fois ce seuil.
Dans ce continuum, le revenu viable fournit, comme son nom l’indique, un repère de viabilité qui va au-delà de la simple survie. L’étape accomplie dans cette édition 2019 du revenu viable aura montré la possibilité d’utiliser cette mesure et sa méthodologie en duo avec la MPC pour suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la transition entre la pauvreté et son absence. La question qui se pose maintenant touche à la façon de passer des cas étudiés, soit trois types de ménage dans sept localités, à un ensemble plus large des situations concrètes à prendre en compte pour tendre vers un Québec sans pauvreté.
Un message, un commentaire ?