Pour la Table nationale des Corporations de développement communautaire, le Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec, le FRAPRU, le Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec et le Collectif pour un Québec sans pauvreté, le constat est clair : qu’il s’agisse d’insécurité alimentaire, d’itinérance, d’accès à du logement social, de la pauvreté vécue par les femmes, la situation continue de s’aggraver. Voilà des années que ces organisations (et bien d’autres !) tirent la sonnette d’alarme et proposent des mesures structurantes, mais les choses n’iront qu’en empirant tant que le gouvernement refusera de s’attaquer résolument à la pauvreté, selon elles.
Des occasions manquées
Dans les derniers mois, le gouvernement de François Legault a raté plusieurs belles occasions :
-Dévoilé en juin, le 4e plan de lutte contre la pauvreté est doté d’un budget quatre fois moins important que le plan d’action précédent et il ne comporte aucune cible d’amélioration des revenus.
– Présentée en août, la Stratégie québécoise en habitation ne comporte aucune cible précise de construction de logements sociaux ni mesure de contrôle des loyers.
– Déposé en septembre, le projet de loi 71 ne prévoit aucune augmentation des prestations d’assistance sociale et propose au contraire des coupes pour des dizaines de milliers de personnes, incluant des femmes déjà en situation de vulnérabilité.
Des demandes urgentes
La situation est urgente, insistent les organisations communautaires. Il est temps que le gouvernement assume enfin ses responsabilités pour assurer le respect de droits fondamentaux et investisse dans des mesures pour faire reculer la pauvreté et renforcer le filet social. Les cinq organisations demandent au ministre des Finances, Éric Girard, de prendre des engagements financiers dès la mise à jour économique du 21 novembre :
– Pour garantir que toute personne dispose d’un revenu suffisant pour couvrir, au minimum, ses besoins de base tels que définis par la Mesure du panier de consommation (24 200 $ par année)
– Pour réaliser la construction de logements sociaux afin qu’ils composent, d’ici 15 ans, au moins 20 % du parc locatif, ce qui implique le financement annuel d’au moins 10 000 logements sociaux et communautaires sous différentes formes (HLM, coopératives et OSBL d’habitation)
– Pour augmenter le financement des services publics, et ainsi en améliorer l’accessibilité et la qualité.
Gare à l’austérité
Alors que le gouvernement prépare le terrain à l’austérité budgétaire, les cinq organisations communautaires lui rappellent qu’il est le principal responsable du déficit actuel et que ce n’est pas aux personnes en situation de pauvreté de payer le prix de ses mauvaises décisions et de tous les cadeaux qu’il a pu faire aux personnes plus fortunées. Pensons par exemple à la récente baisse d’impôt qui profite surtout aux contribuables mieux nanti-es mais prive le gouvernement de 1.8 milliard $ par année, ou encore aux 6.7 milliards $ distribués en aides ponctuelles en période électorale qui ont profité presque autant aux personnes avec un revenu annuel de 15 000 $ qu’à celles gagnant 100 000 $.
Citations
Marie-Line Audet, Table nationale des Corporations de développement communautaire
« On vit l’une des pires crises sociales de l’Histoire au Québec. Partout dans les communautés, on en voit les effets dévastateurs : des régions rurales où l’itinérance se fait visible, des familles à la rue, des travailleuses et des travailleurs qui n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’aide alimentaire, et ça ne fait qu’empirer dans la dernière année. Les données du dernier Bilan-Faim le confirment : 940 000 personnes auraient eu recours aux services des banques alimentaires chaque mois au Québec, une augmentation de 53 % depuis 2021. Cela représente plus d’une personne sur dix ! Les organismes communautaires ne peuvent pas répondre à l’ampleur de ces besoins et sont à bout de ressources. Ils réclament que le gouvernement prenne immédiatement ses responsabilités. Et pendant ce temps, on nous présente un plan de lutte à la pauvreté qui rate complètement la cible en plus d’être affreusement sous-financé. C’est pourquoi la TNCDC a lancé cet automne la campagne Le Québec est KO. Le gouvernement doit entendre notre cri du cœur et investir massivement dans le filet social dès la mise à jour économique, afin que le Québec puisse se relever et enfin passer de KO à OK. »
Boromir Vallée Dore, Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec
« Nos communautés sont sous tension. Une simple promenade dans nos centres-villes suffit pour constater l’augmentation flagrante de l’itinérance. Il faut comprendre le lien entre la situation dans nos espaces publics et les occasions manquées par notre gouvernement. On apprend que le plan santé est plombé par les problèmes d’accès en santé, que le plan de lutte à la pauvreté n’augmentera pas les revenus des plus démunis et que la stratégie en logement ne prévoit pas de mesure spécifique pour les personnes en situation de grande précarité. Il est évident que notre gouvernement n’a plus le luxe de se tromper et porte maintenant le fardeau de corriger la situation. Et ce surtout pour garantir le droit au logement, assurer un revenu suffisant et permettre l’accès à des soins de santé. Nous exigeons un engagement ferme du premier ministre pour garantir un financement adéquat des efforts de lutte à la pauvreté et une coordination efficace entre les ministères. »
Véronique Laflamme, FRAPRU
« Les locataires à faible et modeste revenus font face à une inabordabilité grandissante. 173 000 ménages locataires du Québec ont déjà des besoins impérieux de logement, selon Statistique Canada, car ils vivent dans un logement trop cher, trop petit ou en mauvais état, avec un revenu médian annuel de seulement 21 400 $. Les logements privés qui représentent pourtant 89 % du parc locatif ne répondent pas aux besoins d’un nombre grandissant de locataires. Le désespoir est palpable, accentué par l’absence d’alternatives. Il est donc urgent de travailler sur l’offre de logements sociaux sous différentes formes pour répondre à une diversité de besoins, à commencer par ceux des locataires vulnérables qui attendent pendant des années pour une habitation à loyer modique. Pour lutter contre la pauvreté, ça prend plus de logements sociaux publics, des HLM. Or, le ministre des Finances ralentit le développement en ne planifiant pas sur plusieurs années et en ne finançant pas de programme de logement social pérenne. Le gouvernement du Québec doit minimalement prévoir le financement de nouvelles unités de logement social dans sa mise à jour économique. »
Audrey Gosselin Pellerin, Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec
« Au Québec, la pauvreté a un genre. Et il est féminin. Pourtant, au lieu d’introduire des mesures qui prennent en compte les besoins des femmes et les obstacles qu’elles vivent, particulièrement pour celles à la croisée des oppressions, le gouvernement coupe, avec la récente réforme de l’assistance sociale, dans des mesures de soutien qui bénéficient notablement à des femmes déjà en situation de vulnérabilité, comme la bonification pour les chefs de famille monoparentale d’un enfant de moins de 5 ans à charge et l’octroi automatique de la prestation pour "contraintes temporaires à l’emploi" aux femmes victimes de violence conjugale et vivant en maison d’hébergement. La mise à jour économique est une opportunité pour le gouvernement de corriger le tir pour qu’enfin toutes les femmes et les personnes en situation de pauvreté puissent avoir du pain sur la table. »
Serge Petitclerc, Collectif pour un Québec sans pauvreté
« La couverture des besoins essentiels, ce ne devrait pas être négociable. La Charte des droits et libertés du Québec ne stipule-t-elle pas que "toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales […] susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent" ? Pourtant, au Québec, environ une personne sur dix vit — ou survit — avec un revenu insuffisant pour couvrir ses besoins de base tels que définis par la Mesure du panier de consommation (MPC), qui représente le minimum nécessaire pour espérer vivre en santé, avec un niveau de vie "modeste". Et comme nous l’avons vu, la situation empire pour bien des personnes. Devant l’ampleur des besoins, le dernier plan de lutte contre la pauvreté, le plus chiche des quatre plans d’action mis en œuvre depuis 2004, représente un affront à toutes les personnes en situation de pauvreté. En fait, l’indifférence généralisée du gouvernement du Québec à leur égard s’apparente à un déni des droits humains. »
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