Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Parlons éducation ! Un avenir à construire en commun

Il se tient depuis les 10 et 11 mars derniers un évènement rare au Québec, à savoir une réflexion citoyenne sur le système québécois d’éducation. Parlons Éducation ! ambitionne en effet de tenir, dans toutes les régions de la province, une consultation populaire sur une éventuelle réforme du système mis en place durant la Révolution tranquille. Ce désir de discuter d’éducation émane d’observateurs de notre système, de parents inquiets de ses dérives, des milieux de l’enseignement, des professionnels, etc. Son comité organisateur est composé du Mémo, Debout pour l’école !, L’École ensemble et Parents pour la défense de l’école publique. Tous ces groupes, actifs depuis plusieurs années, sont convaincus de l’urgence de repenser l’école publique, une institution malmenée, et qui n’arrive tout simplement plus à rivaliser avec une école privée qui ne cesse de gonfler ses effectifs.

Les raisons qui motivent pareille initiative sont nombreuses, à commencer par le refus du gouvernement, des gouvernements devrais-je dire, de procéder à une réflexion de fond sur le réseau québécois. Les problèmes qui l’affaiblissent sont pourtant connus et font régulièrement irruption dans les médias sans qu’il y ait de volonté sincère de les régler ?, de se pencher sur ce qui ne va plus en éducation. Au nombre des dysfonctionnements qui défraient régulièrement les manchettes, on compte l’épuisement des personnels qui s’occupent de nos enfants, l’état lamentable des infrastructures scolaires, la hausse constante du taux de décrochage des élèves au secondaire, les importantes difficultés de recrutement de personnel enseignant, la mise à l’écart des populations étudiantes les plus démunies, le financement public des collèges privés, la multiplication des troubles de comportement ou des troubles d’apprentissage, l’intégration des élèves issus de l’immigration, la place des autochtones dans notre système, etc. Cette liste n’est certes pas exhaustive, mais elle a le mérite de mettre clairement en relief une accumulation de problématiques pour lesquelles on ne semble pas chercher de solutions durables. Gardons en tête que le Conseil supérieur de l’éducation lui-même, a cru nécessaire de sonner l’alarme, il y a plusieurs années, dans un avis devenu célèbre, le Québec détenant le triste record du système d’éducation le plus inégalitaire au Canada.

Les animateurs de Parlons éducation ! sillonnent en ce moment les différentes régions de la province dans l’espoir d’obtenir ainsi un portrait le plus complet possible du rapport que nous entretenons avec l’école publique. Ils espèrent, au fil des rencontres, dégager un certain nombre d’éléments consensuels qui permettront une reprise en main équitable d’un système qui, pour l’instant, n’arrive plus à accomplir ses missions de base, ne serait-ce qu’auprès des populations étudiantes défavorisées.

Sans grande surprise, le premier forum montréalais a été fréquenté par un nombre considérable d’enseignants et d’enseignantes de tous les niveaux. Une si forte concentration de personnes en provenance des milieux de l’enseignement est en soi révélatrice d’un réel besoin d’être entendu par le gouvernement en place. Il est vrai que les ponts sont coupés entre les gestionnaires du ministère de l’éducation, ceux de l’enseignement supérieur et les différents personnels qui tiennent le système à bout de bras. Les échanges dans les ateliers au programme des deux journées de débats ont confirmé combien ceux-ci cherchent à redonner un sens à leur travail.

Pour louable et nécessaire que soit cette initiative, elle soulève néanmoins un certain nombre de questions qui sont révélatrices des limites de l’expérience en cours. Force est de constater tout d’abord que l’exercice auquel nous sommes conviés ne concerne que le primaire et le secondaire. Cette décision du comité organisateur est sans doute stratégique, les problèmes qui paraissent les plus criants au Québec se situant fort probablement du côté de ces secteurs, particulièrement au secondaire où l’exode vers le collège privé ne cesse de s’accentuer pour ceux et celles qui disposent des moyens d’y inscrire leur progéniture. Ce faisant, le comité organisateur de l’évènement reproduit un des principaux travers de la réflexion sur l’école au Québec, à savoir la tendance à considérer ses différents maillons comme autant d’unités indépendantes et isolées les unes des autres. Plusieurs interventions ont d’ailleurs soulevé ce problème, nombre d’intervenants confirmant combien le système sur ce plan génère une incompréhension de ce qui se passe d’un niveau à l’autre. Un manque de cohésion d’autant plus tangible que les possibilités de fréquenter des collègues de secteurs d’enseignement différents sont à peu près inexistantes.

Il est regrettable que l’on ait écarté l’enseignement supérieur de la consultation citoyenne. Comment peut-on croire qu’une refonte complète du primaire et du secondaire pourrait être menée à terme sans que l’on se soucie de son arrimage avec le collégial et l’université ? Que dire aussi du préscolaire qui semble dans l’angle mort des thématiques proposées ? Que dire enfin de ce qui touche l’apprentissage du français alors que la majorité des syndicats du collégial ont adopté une position qui demande l’extension de la loi 101 au collégial afin de colmater une brèche majeure de notre système qui a ouvert la porte à un exode massif des francophones vers les instituions anglophones ? Ne pas en tenir compte parait incongru et soulève des inquiétudes en ce qui concerne la pérennité de notre culture.

Sur ce dernier point, force est d’admettre que le gouvernement a pris la mesure du potentiel de disruption qu’un mouvement citoyen pourrait générer. Aussi s’est-il empressé de sortir de ses voutes un rapport sur la qualité du français au collégial, et ce, le jour même du lancement du premier forum montréalais. La manœuvre a été efficace, la ministre de l’enseignement supérieur faisant ainsi la démonstration d’un souci sans doute réel d’amélioration de la maitrise de la langue au cégep. Le gouvernement s’assure aussi de monopoliser l’espace médiatique autour des solutions qu’il se propose de mettre en œuvre dès l’automne prochain sans qu’il apparaisse nécessaire de consulter qui que ce soit. On ne peut s’empêcher de féliciter les spécialistes en communication du gouvernement Legault qui ont probablement ficelé cette campagne de promotion très rapidement pour s’assurer que le moins de monde possible entende parler du forum citoyen. Il demeure que ce qui nous a été présenté relève une fois de plus du bricolage, et non d’une tentative sérieuse de comprendre le réseau et de réfléchir à son avenir.

Une chose est certaine, nous ne pouvons plus accepter des solutions improvisées ou un bricolage qui dispense d’une réflexion sur les buts et les finalités de l’enseignement au Québec. Le plus grand mérite de Parlons éducation ! réside justement dans la volonté de ne plus se contenter d’expédients ou de réformes superficielles. Le comité d’organisation des forums s’engage à colliger l’ensemble des propos tenus lors des ateliers et à fournir une synthèse des idées qui auront émergé avec le plus de force. Que feront-ils ensuite de la somme de renseignements et d’avis récoltés durant la tournée du Québec ? Cela reste à définir. S’agit-il d’une première étape dans le but d’alimenter une éventuelle Commission Parent 2.0 que de nombreux observateurs de l’éducation appellent de leurs vœux ? S’agit-il d’établir un certain nombre de consensus autour des réformes à pousser de l’avant ? S’agit-il de créer un rapport de force avec le gouvernement ?

Il nous appartient de profiter de cette occasion unique pour créer les conditions d’une réappropriation collective d’un des plus grands legs de la Révolution tranquille.

Benoit Dugas
Professeur de littérature au Collège de Rosemont
Participant au Forum éducation des 10 et 11 mars 2023

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