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En 2013, le comité des Finances de la Chambre des Communes a entrepris une étude de cinq rencontres sur « l’évasion fiscale et l’usage de paradis fiscaux », qui a été amorcé suite à la motion déposée par le député néo-démocrate Hoang Mai.
Pendant ces dix heures de rencontres, le Comité a entendu 26 témoins et s’est penché sur divers angles de cet enjeu, incluant le blanchiment d’argent, l’estimation de l’écart fiscal (le montant de revenus d’impôts non collectés en raison des paradis fiscaux) et les prix de transfert (une façon pour les compagnies d’éviter les impôts en achetant à prix gonflés ses propres produits d’une filiale offshore, augmentant ses profits dans une juridiction à faible impôt, et diminuant ses profits au Canada).
À la fin, cette étude a donné lieu à un rapport de 62 pages et seulement 11 recommandations. Ce rapport amasse de la poussière sur une étagère et la surface du problème a à peine été effleurée.
En mai 2016, le NPD a obtenu une autre étude de cinq rencontres intitulée « Les efforts de l’Agence du revenu du Canada pour combattre l’évitement et l’évasion fiscaux », et qui n’a traité que du stratagème de KPMG à l’Île de Man. Le rapport de l’étude sera déposé cet automne.
Le Parlement est incapable de mener une étude significative sur l’un des problèmes les plus épineux de notre époque, cédant sous la pression externe.
Ne vous attendez pas à y retrouver des révélations-chocs sur la manière de combattre les paradis fiscaux et l’évitement fiscal agressif, et ce, pour trois raisons :
Premièrement, KPMG s’est cachée derrière le privilège accordé aux communications entre avocats et clients (des avocats fiscaux étaient impliqués dans le stratagème) pour éviter de répondre aux questions.
Deuxièmement, KPMG a aussi créé un effet paralysant en avertissant le comité que toute question délicate était à éviter, puisque ces questions pourraient nuire à des causes se trouvant devant les tribunaux (KPMG est devant la Cour de l’impôt du Canada pour plaider la légitimité de son stratagème et le Gouvernement tente d’obtenir les noms de ceux qui ont bénéficié du stratagème devant la Cour fédérale du Canada).
Troisièmement, le fonctionnement de l’Agence du revenu du Canada est presque complètement opaque et les responsables de l’ARC n’hésitent pas à invoquer des enjeux de protection de la vie privée pour refuser de répondre aux questions.
Mais les choses auraient pu être toutes autres. La Chambre de Communes et ses comités ont en fait de grands pouvoirs. Ces pouvoirs surpassent même ceux du privilège liant avocats et leurs clients, entre médecins et leurs patients et entre le clergé et les fidèles. Ce sont des pouvoirs à utiliser avec grande précaution, mais ils appartiennent aux représentants élus par les Canadiennes et Canadiens.
Le Parlement est cependant incapable de mener une étude significative sur l’un des problèmes les plus épineux de notre époque, cédant sous la pression externe.
Quelques problèmes sont connus
Premièrement, les lois protégeant le secret bancaire et les exigences inadéquates en ce qui a trait au maintien de dossiers financiers dans les paradis fiscaux connus et avec lesquels nous avons signé des traités sont deux de ces problèmes. Ils exigeront une réponse internationale et une volonté politique de la part d’acteurs-clés, comme le Canada.
L’évasion fiscale et l’évitement fiscal agressif ne peuvent être étudiés à temps partiel ou perdu entre deux études du comité des Finances
Deuxièmement, les traités de double non-imposition sont aussi un problème bien connu. Le Canada n’impose pas les entreprises qui font affaire dans d’autres juridictions, même si celles-ci ne sont que des filiales d’entreprises canadiennes. Le Canada pourrait mettre fin à ce système d’exemption pour le remplacer par un système où ces profits rapatriés sont au moins partiellement imposés.
Troisièmement, une autre proposition qui pourrait faire l’objet d’une étude plus approfondie et qui exigerait des négociations sur le plan international, serait d’établir un système où les profits des multinationales seraient imposés à l’endroit où ils sont effectués, sur une base proportionnelle. Par exemple, si une multinationale et ses filiales ont gagné 55 % de leurs profits mondiaux aux États-Unis, 20% au Canada, 10% en Allemagne, 10% en France et 5% au Japon, elle paierait des impôts sur 55% de ses profits aux États-Unis, 20% de ses profits au Canada, etc.)
Ce pourrait être possible ou impossible. Mais cela vaut certainement la peine d’essayer. Et ça vaut très certainement d’être étudié de manière sérieuse et exhaustive.
Mais si le Parlement refuse de s’attaquer à la question, qui le fera ?
L’évasion fiscale et l’évitement fiscal agressif ne peuvent être étudiés à temps partiel ou perdu entre deux études du comité des Finances qui est sans cesse occupé à longueur d’année. Des études de cinq rencontres ne mèneront nulle part. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un engagement complet et sans compromis du Parlement. La Chambre des Communes doit créer un comité spécial, avec toutes les ressources requises (incluant une équipe de conseillers juridiques et fiscaux), qui travaillera exclusivement sur cet enjeu pendant deux, voire trois ans et qui présentera un rapport dont les recommandations ne pourront être ignorées par le gouvernement.
Pourquoi un comité spécial ?
Un comité spécial étalé sur plusieurs années permet d’aller en profondeur, d’entendre une pléiade de témoins et d’arriver avec un rapport qui inclurait des recommandations, obligeant les partis politiques à prendre position.
Du même souffle, un comité spécial permettrait de mettre en lumière le fiasco qu’est l’Agence du revenu du Canada. Depuis plusieurs années, l’ARC fait les manchettes pour de bien mauvaises raisons et il est essentiel, voire capital que nous nous penchions sur une réforme possible de l’Agence.
Également, un comité spécial serait une plateforme unique qui permettrait à des spécialistes tels qu’Alain Deneault ou la fiscaliste Brigitte Alepin de proposer leurs recommandations sur l’évasion fiscale et l’évitement fiscal agressif et également d’entendre ce que les représentants des divers ministères provinciaux ont fait jusqu’à maintenant.
Ce rapport serait publié peu avant les élections fédérales de 2019, et tous les partis politiques seraient ainsi interpellés de présenter leur plan d’action pour s’attaquer à ce problème dans leur plateforme électorale.
Il ne fait aucun doute que la lutte à l’évasion fiscale et à l’évitement fiscal agressif impliquera la confrontation avec de puissants intérêts qui répliqueront à l’aide d’un arsenal allant des relations publiques à la menace de poursuites devant les tribunaux. Comme parlementaires, nous ne pouvons céder à l’intimidation. Nous avons la responsabilité de mettre fin à ce système à deux vitesses, qui est doux et permissif avec les mieux-nantis, mais qui est sans merci pour tous les autres.
Il est temps de se retrousser les manches.