Nous avons plutôt assisté à un changement de programme. Exit les mesures contraignantes. Il faut maintenant, selon le premier ministre, adopter une approche qui évite la confrontation avec certaines personnes. Pourquoi ? Il faut se rappeler que des porte-parole de certains partis politiques ont réclamé à cor et à cri, en janvier dernier, un « Plan » de sortie des mesures sanitaires. Des voix du milieu patronal ne cessent de réclamer depuis des mois la levée de plusieurs mesures restrictives s’appliquant à leurs entreprises et surtout ils ne cessent d’exiger l’impossible soit l’annonce, par les autorités politiques, d’un calendrier de retour à la vie normale. De plus, certains médias d’information ont donné la parole à des individus appartenant à divers milieux qui en ont ras le bol des limites à leur liberté de mouvement ; liberté qui, pour certainEs, semble être basée sur une croyance plus solide que celle portée sur la science. Last but not least, des « Convois de la liberté » ont pris forme dans plusieurs villes et ont paralysé certaines voies névralgiques et stratégiques. En un mois, au Québec (comme ailleurs au Canada), nous avons assisté à une dégradation du climat social et à une contestation ouverte des mesures adoptées par les autorités politiques et d’hygiène publique pour protéger et sauver la vie humaine et également pour minimiser l’impact de la COVID-19 sur l’accès au réseau de la santé et sur le personnel traitant et soignant.
Il ne faut pas oublier que nous sommes en période préélectorale au Québec. Depuis le début de la pandémie, le gouvernement caquiste a suscité des équivoques entre autres au sujet de la négociation des conventions collectives pour les secteurs public et parapublic. Rappelez-vous, en mars 2020, le premier ministre annonçait en pleine conférence de presse qu’il voulait que la négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic soit terminée pour la fin mars de la même année. Plus de 23 mois plus tard, il y a encore des groupes de salariéEs syndiquéEs pour lesquels les négociations ne sont pas conclues ou complètement finalisées. Il y a aussi d’autres groupes de salariéEs qui n’ont pas encore touché leur prime ou leur rétroactivité.
Quand les données du plus récent sondage d’opinion indiquent que le Parti conservateur d’Éric Duhaime est en hausse dans les intentions de vote, tout se passe comme si François Legault est disposé à céder aux pressions qui fusent à droite et à l’extrême droite. Il est à se demander où cela va nous mener à court et à moyen terme. Sommes-nous réellement à l’abri d’un nouveau variant et d’une nouvelle vague ? Sommes-nous vraiment arrivés à ce moment du passage de la pandémie à l’endémie ? Qui peut vraiment le dire avec certitude ? Ce ne sera que dans quelques semaines ou quelques mois que nous pourrons évaluer l’approche de « Gestion du risque » adoptée par le gouvernement Legault. C’est uniquement à ce moment que nous pourrons constater si nous sommes réellement sortis de la pandémie ou enfoncés un peu plus dans celle-ci. Tout se passe comme si, en période préélectorale, la prudence cède le pas devant les variations des sondages.
Décortiquons un peu ce qui revient à la société du risque et ce qui concerne plus précisément les sondages d’opinion. En suivant la logique d’Ulrich Beck (2008), on s’aperçoit que nous évoluons au sein d’une société qui cherche à réduire certains inconvénients en ne renonçant pas aux activités qui pourtant contribuent aux risques susceptibles de menacer son intégrité, sa cohésion et sa perpétuité. En ignorant les risques latents, notre civilisation a choisi le mode réactif plutôt que proactif, c’est-à-dire en faisant le pari d’agir uniquement lorsque le risque devient immanent ou lorsque le drame survient. Et le problème relatif à notre capacité de juger les risques et les menaces vient du fait que ceux-ci peuvent émerger à l’autre bout de la planète et nous affecter un jour ; notre manière occidentalisée de mener notre existence a occasionné une mondialisation du risque, dont la pandémie actuelle en est un bel exemple. Cette situation se voit amplifier par le déni du risque, soit en prétextant un état des connaissances jusqu’alors confus, soit en se cachant la vue pour espérer conserver la normalité ou y revenir, soit en donnant priorité aux intérêts économiques et politiques, soit en se soumettant à d’autres justifications, à savoir un raisonnement qui empêche « que les mesures nécessaires soient prises » et qui augmente ainsi le danger (Beck, 2008, p. 113).
Pour sa part, le sondage d’opinion peut représenter, selon Loïc Blondiaux (1998), une « fabrique », non seulement dans le sens de la fabrication des instruments destinés à mesurer cette abstraction véhiculée par une ou des populations qu’est l’opinion, mais de songer au fait qu’elle peut-être manipulable. Disons même que l’opinion publique peut être comparée à une « croyance politique majeure » ou à une « croyance socialement fondée » (Blondiaux, 1998, pp. 60 et 68), alors que la force du sondage d’opinion repose en définitive sur une double croyance : la démocratie et la science (précisément la capacité seule de la science à pouvoir mesurer l’opinion publique) (Blondiaux, 1998, p. 580). Si à une certaine époque la réussite de l’homme et de la femme politiques s’exprimait en termes de « Dieu est avec nous », de nos jours l’équivalent serait de dire « l’opinion publique est avec nous » (Blondiaux, 1998, p. 569), d’où la nécessité de tâter le pouls de la population pour évaluer son degré d’approbation surtout à l’approche d’une période électorale.
Or, société du risque et sondages d’opinion peuvent ne pas faire bon ménage, et le choix de vouloir satisfaire une population risque de provoquer un manquement important au devoir de tout État : assurer le bien-être et la sécurité de tous ses citoyenNEs. Comme l’exprime Beck (2008), lorsqu’on en vient à manipuler la rationalité scientifique comme il est possible de le faire avec l’opinion, on risque de créer des crises, de créer une perte de légitimité, de créer des critiques contre la science qui jusqu’à maintenant demeure notre meilleure bouée de sauvetage face à un monde devenu de plus en plus risqué mais surtout incertain.
Pour conclure…
Si nous revenons chez nous, sur une note moins théorique, François Legault est à l’écoute de certaines voix qui s’expriment en ce moment dans la société, et le 22 mars prochain ce sera au tour des étudiantEs de réclamer la suppression des frais ou des droits de scolarité à l’université. Comment accueillera-t-il cette demande légitime ? À quoi s’attendre de la part de cette nouvelle police dite « communautaire » lors de la prochaine manifestation anti-brutalité policière ?
En politique, tout est tellement relatif… Et cela peut être risqué.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
20 février 2022
11h
yvan_perrier@hotmail.com
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