Jacques Parizeau pour sa part avait une vision plus terre à terre. Il pensait qu’un État indépendant québécois devrait être assez fort pour intégrer le capitalisme made in Québec, autrement dit, la nouvelle génération d’entrepreneurs qui a émergé dans les années 1970, en partie d’ailleurs à cause des politiques du PQ.
Pour Parizeau, ce qui n’était pas encore une bourgeoisie aurait intérêt à se mettre dans le chariot de la souveraineté. Parizeau pensait même qu’un Québec indépendant pourrait se rapprocher davantage des États-Unis, ce qui l’avait amené à appuyer l’accord de libre-échange avec les États-Unis qui aurait comme effet, pensait-il, d’affaiblir l’État canadien et donc de faciliter la souveraineté.
Quelques années plus tard cependant, Parizeau eut l’intelligence de dire qu’il s’était trompé.
Dans les années 1990, les chefs qui se sont succédé n’avaient pas l’intelligence du « cheuf » et ils ont tous dit – je pense qu’ils le croyaient- qu’un Québec indépendant ne serait « ni à gauche ni à droite », façon de dire qu’il ne serait pas construit sur une autre perspective que celle qui régissait le capitalisme québécois « réellement existant ».
Dans ces années d’ailleurs, plusieurs entreprises ont « gradué » en s’internationalisant et en faisant les acquisitions et les restructurations nécessaires. Ce qui était devenu Québec Inc. jouait sur sa québécitude pour avoir subsides et privilèges fiscaux, tout en poursuivant l’agenda néolibéral du capitalisme tout court.
Par ailleurs, malgré les accolades de Bouchard, Landry et les autres, Québec Inc. à part quelque rares exceptions, s’affichait carrément fédéraliste, quitte à conserver un peu de nationalisme identitaire et à forcer la main à l’État quand les entreprises québécoises étaient menacées d’être avalées par plus gros qu’eux. C’est la Caisse de dépôts finalement qui les protégeait, comme elle l’a fait avec Videotron en empêchant la canadienne Rogers de s’en emparer.
Au bout du compte, les beaux et les moins beaux fleurons n’ont pas répondu à l’« appel », ni en développant des pratiques alternatives que celles en cours dans le capitalisme nord-américain (avec par exemple, les lock-out à répétition de Quebecor), ni en appuyant le projet souverainiste.
Dans les dernières années, Québec Inc. a subi des attaques frontales. Dans le capitalisme globalisé, les gros mangent les petits, mais aussi, les très gros mangent les gros. C’est ainsi que la liste des « avalés » québécois est devenue très longue : Cirque du Soleil, RONA, Domtar, Saint-Hubert, Alcan. Et bien sûr, Bombardier, réduit à gérer des usines d’assemblage pour les géants du secteur.
Cela ne veut pas dire que Québec Inc. est mort. Il continue, dans le cadre de la gestion néolibérale, bien branché avec le capitalisme nord-américain, quitte à accepter de jouer un rôle subordonné.
Ne pas conclure que l’hypothèse de Lévesque et de Parizeau est caduque serait difficile à soutenir.
Pensons maintenant aux conséquences.
Le projet péquiste, « ni à gauche ni à droite » se retrouve devant un trou noir, comme le petit bonhomme des dessins animés qui ne se rend pas compte qu’il pédale dans le vide.
Un nouveau projet souverainiste doit être recomposé sur une autre alliance sociale, avec d’autres finalités. Sans l’émancipation sociale, sans une gouvernance républicaine, sans un programme de reconstruction sociale, écologiste et économique, on ira nulle part.
En fait non, on va aller, comme l’espère François Legault, vers un État austéritaire et identitariste, une version modernisée de ce qu’on a subi pendant la grande noirceur.
On sera sur le chemin pour bloquer cela.
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