Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Ô Canada (2e partie)

Au début du vingtième siècle, l’élite canadienne est bien en selle. Le mandat du nouvel État est de « gérer » un état d’exception permanent qui confère au gouvernement fédéral des pouvoirs exorbitants, ce qui fait qu’on n’hésite pas à utiliser la violence contre la population contre les populations métis (1869 et 1884). Le Dominion canadien par ailleurs reste le supplétif de l’Empire dans ses aventures militarisées dans le monde, dont la boucherie impérialiste de 1914, ce qui suscite de puissantes manifestations qui sont réprimées par l’armée en plein cœur de Montréal. De manière générale, l’État n’a aucune tolérance face aux les syndicats (comme à Winnipeg en 1919). Cette intolérance acquiert un caractère anti-immigrants et anti minorités francophones (en dehors du Québec) où les communautés perdent leurs écoles et d’autres espaces d’autonomie culturelle.

L’État fédéral et le nationalisme réactionnaire

Au tournant des années 1930, une sorte de néonationalisme surgit au Québec sous la forme d’une idéologie rétrograde et conservatrice, inspirée des milieux catholiques de droite. Cette droite se réclamant de Franco et de Mussolini appuie l’élection de Maurice Duplessis et de l’Union nationale (1936). Ce régime consolide le pouvoir répressif appuyé sur l’appareil clérical. En adoptant un discours nationaliste, il verrouille une possible rencontre entre les revendications nationales et les luttes sociales. La création de l’« identité » québécoise est intégrée à la défense des valeurs réactionnaires « Dieu-famille-patrie ». Pour les dominants, le tournant est une aubaine. Un État provincial quasi policier au Québec assure « la loi et l’ordre », au profit d’une poignée de capitalistes anglo-canadiens et étrangers qui dominent l’économie. Durant cette « grande noirceur », le peuple québécois est enfoncé dans la pauvreté, l’ignorance et la dépendance. La répression contre les syndicats est au centre du dispositif idéologique animé la puissante structure de l’Église relayée dans les composantes de la société civile. Durant cette période, le développement du capitalisme au Canada poursuit son cours. Une bourgeoisie anglo-canadienne diversifie ses intérêts à travers l’industrialisation et l’exploitation des ressources. Dans une large mesure, le Québec est le parent pauvre de cette consolidation du capitalisme. L’élite cléricale craint les effets d’une modernisation liée à l’industrialisation et à l’urbanisation.

Tumultes

Après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis prennent toute la place, ce qui inclut un rôle pour la grande bourgeoisie canadienne. Au Québec, l’élite clérico-réactionnaire est déstabilisée. De nouvelles fractions bourgeoises se positionnent et veulent des réformes, d’où un projet sous le drapeau du Parti Libéral du Québec (PLQ). Bientôt, ce réformisme réanime le nationalisme sur une autre base où les revendications nationales sont présentées dans la perspective de la modernité de l’État et de l’émancipation populaire. Pour les élites canadiennes, il faut défaire ce néonationalisme québécois. Le personnel politique est renouvelé autour de la figure de Pierre Elliot Trudeau qui prétend sauver l’unité canadienne en relançant les politiques de bilinguisme, de multiculturalisme et d’intégration des francophones dans l’État fédéral. Cependant, les résistances sociales montent au créneau à partir de dures grèves ouvrières et étudiantes. En octobre 1970, Trudeau se discrédite en envoyant l’armée sous le prétexte d’une « insurrection appréhendée ». On est en là lorsque le PQ gagne les élections en 1976.

Essor et échec du PQ

Le leadership du PQ appartient à une petite bourgeoisie ascendante, mais la base est populaire, et où la cause sociale rejoint celle de l’émancipation nationale. Non pas à cause d’un nationalisme rétrograde, mais parce qu’au Canada, la formation sociale bourgeoise est basée sur la subjugation des peuples, avec les conséquences très concrètes : discriminations systémiques, surexploitation, sous-développement des infrastructures, plus un système symbolique et culturel méprisant où les francophones dans l’imaginaire canadien restent des demi-civilisés. Au début du gouvernement PQ, un ensemble de réformes sont entreprises pour répondre à ces aspirations populaires. Pour autant, les secteurs bourgeois québécois ne rejoignent pas la coalition, malgré les encouragements de Jacques Parizeau. Après quelques tergiversations, l’État fédéral entreprend une vaste stratégie pour vaincre le PQ, ce qu’il réussit à faire lors du référendum de 1980. Les diverses couches de la bourgeoisie canadienne, appuient sans réserve cette offensive contre le néonationalisme québécois. Au-delà des mécanismes psychologiques à l’œuvre et qui construisent une identité anglo-canadienne hostile à l’endroit des Québécois, il y a la conviction parmi l’élite canadienne que le contrôle du territoire dans son intégralité est indispensable au pouvoir de l’État et au capitalisme canadien dans son ensemble. Cette conviction est partagée par l’impérialisme états-unien qui, malgré les tentatives du PQ de présenter le souverainisme comme un projet « sans danger » pour les États-Unis, reste solidement allié à l’État canadien. C’est ainsi que s’explique le refus de négocier le projet de souveraineté-association qui remettrait en question tout un édifice de domination construit de longue date.

L’impasse

Après l’humiliante défaite du PQ face au rapatriement de la « constitution » (1982), la droite revient au pouvoir tant à Québec qu’à Ottawa pour tenter de liquider une fois pour toutes l’aspiration à l’indépendance en proposant un nouveau compromis constitutionnel (l’accord dit du lac Meech). Un peu comme dans les années 1840, la bourgeoisie espère que la défaite du mouvement national ouvre la porte à une cooptation des élites. Tout en liquidant la question nationale, le projet a également comme ambition d’accélérer le démantèlement du keynésianisme en « déversant » plusieurs fonctions sociales vers les gouvernements provinciaux, ce qui permet d’amadouer en partie le nationalisme québécois. Mais le projet échoue, essentiellement à cause de l’opposition d’une partie de la classe politique. Le Parti Libéral du Canada de retour au pouvoir en 1993 cherche la confrontation. Le PQ pour sa part prépare un deuxième referendum (1995), avec l’appui des secteurs populaires surtout. La bataille est sans merci, l’État fédéral s’assurant du résultat par une vaste stratégie d’intimidation, de menaces et de manipulations. Cette nouvelle défaite permet le virage droite proposé par Lucien Bouchard, et ouvre la porte à la victoire du PLQ en 2003. L’État fédéral devant ce nouvel effondrement du nationalisme québécois entreprend de renforcer son pouvoir. Les politiques néolibérales sont accélérées, d’où les coupures massives dans les transferts vers les provinces pour les programmes de santé et d’éducation et l’alignement sur les États-Unis via l’Accord de libre échange des Amériques (ALÉNA). Le PLC parallèlement met en place une gigantesque machine opaque pour neutraliser le nationalisme via des opérations de corruption et de manipulation.

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