Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique latine

Lula et les multinationales brésiliennes

Depuis qu’il a quitté la présidence de son pays, Luiz Inacio Lula da Silva a développé une intense activité dans des pays d’Amérique latine et d’Afrique, où se concentrent les plus importants intérêts des grandes entreprises brésiliennes. Ce rôle d’ambassadeur des multinationales de son pays, même s’il n’est pas illégal, est, d’un point de vue progressiste, « indéfendable » pour le journaliste Raúl Zibechi car c’est en utilisant de « nobles » discours qu’on lubrifie ainsi des affaires qui portent préjudice aux travailleurs et qui détruisent la nature.

Il arrive parfois que des faits qui ne semblent pas significatifs ont la vertu de montrer le fond des choses, de mettre à nu le véritable caractère d’une réalité politique qui n’apparaissait pas jusqu’alors avec suffisamment de clarté. C’est ce qui est arrivé il y a quelques jours quand une enquête journalistique a révélé les relations entre une poignée d’entreprises multinationales brésiliennes de la construction et l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva.

Le fait principal est que la moitié des voyages réalisés par Lula après avoir quitté la présidence a été payée par ces entreprises de construction et que ces voyages ont tous eu lieu en Amérique latine et en Afrique où elles concentrent leurs principaux intérêts. Depuis 2011, Lula a visité 30 pays, dont 20 se trouvent en Afrique et en Amérique latine. Les entreprises de construction ont payé 13 de ces voyages, la quasi-totalité par Odebrecht, OAS et Camargo Correa (« Folha de Sao Paulo », 22 de mars 2013).

Lula recyclé en VRP

L’enquête journalistique reproduit les télégrammes des ambassades du Brésil à l’étranger dans lesquels on affirme que les voyages de l’ex-président ont contribué à défendre les intérêts du pays. Un télégramme envoyé par l’ambassade du Brésil au Mozambique, après l’une de ces visites de Lula, souligne le rôle joué par l’ex-président en tant que véritable ambassadeur des multinationales. « En associant son prestige aux entreprises qui opèrent ici, l’ex-président Lula a accentué au yeux des Mozambicains son engagement avec les résultats de l’activité patronale brésilienne », a ainsi écrit l’ambassadrice Lígia Scherer.

En août 2011, Lula a commencé une tournée latino-américaine par la Bolivie, où il est arrivé avec son entourage à bord d’un avion privé de l’OAS, l’entreprise qui prétendait construire une route pour traverser le TIPNIS (Territoire Indigène et Parc National Isiboro Sécure), un projet qui a provoqué des mobilisations massives des communautés indigènes, soutenues par la population urbaine. De là il poursuivit son voyage à bord du même avion au Costa Rica, où l’entreprise disputait un marché pour la construction d’une route qui lui a finalement été octroyé pour 500 millions de dollars.

L’attitude de Lula n’est pas illégale. Elle est au contraire en syntonie avec ce que font souvent les présidents et ex-présidents dans le monde entier : œuvrer pour favoriser les grandes entreprises de leurs pays. Mais bien entendu, cela a peu à voir avec une attitude de gauche, solidaire avec les travailleurs et les gouvernements progressistes.

Mastodontes

Les entreprises en question ont une histoire très particulière et sont en outre d’énormes multinationales. Elles se sont toutes développées sous la dictature militaire, à laquelle elles étaient étroitement liées. Odebrecht est un conglomérat familial surtout actif dans la construction et la pétrochimie. Elle contrôle Braskem, la plus grande entreprise productrice de résines thermoplastiques des Amériques. C’est l’une des entreprises brésiliennes ayant la plus forte présence internationale, avec 130.000 travailleurs (dont 40.000 en Angola) et elle pèse 55 milliards de dollars. Elle est présente dans 17 pays, surtout en Amérique latine et en Afrique et 52% de ses profits viennent de l’étranger. En 2008, elle fut expulsée d’Equateur par le gouvernement de Rafael Correa pour cause de graves défauts de construction du barrage San Francisco, qui ont forcé sa fermeture un an après son inauguration.

Camargo Correa est une entreprise de construction plus diversifiée, avec des investissements dans les cimenteries, l’énergie, la sidérurgie et les chaussures. Elle compte 61.000 employés dans 11 pays. En Argentine, elle possède Loma Negra, la principale cimenterie qui contrôle 46% du marché argentin, ainsi qu’Alpargatas, l’une des principales entreprises de textile du pays, avec ses marques Topper, Flecha et Pampero. Le groupe OAS, pour sa part, a des intérêts dans 22 pays d’Amérique latine et d’Afrique et compte 55.000 salariés.

Le pouvoir des grandes entreprises brésiliennes se fait sentir d’une manière particulière dans les petits pays de la région. En Bolivie, Petrobras (entreprise nationale du pétrole, NdT) contrôle la moitié des hydrocarbures et « pèse » pour 20% du PIB bolivien et 24% de la collecte d’impôts. L’entreprise de construction OAS, comme on l’a vu, a provoqué une crise politique et sociale qui a déstabilisé le gouvernement d’Evo Morales avec lequel elle maintenait de bons rapports.

La presque totalités des ouvrages d’infrastructures inclus dans le projet d’Intégration de l’Infrastructure Régional Sud-Américaine (IIRSA), soit un total de 500 ouvrages pour 100 milliards de dollars, sont à charge des multinationales brésiliennes. La même chose se reproduit avec les barrages hydroélectriques. La Banque d’Etat BNDES (Banque Nationale de Développement Economique et Sociale) est le principal bailleur de fonds de ces ouvrages mais elle fait à la condition que le pays qui reçoit ses prêts engage des entreprises brésiliennes.

Trahison ?

Le rôle de Lula est de promouvoir « ses » entreprises, en contribuant à aplanir les difficultés grâce à son énorme prestige et à la caisse multimillionnaire du BNDES, qui dispose de plus de fonds pour investir dans la région que le FMI et la Banque Mondiale réunies. Rien d’illégal à cela, j’insiste ; mais c’est politiquement indéfendable pour quiconque a la prétention de se dire de gauche.

Le 15 mars 2011, les 20.000 ouvriers qui travaillaient à la construction du barrage de Jirau, sur le fleuve Madera, dans l’Etat de Rondonia, ont été les acteurs d’un des plus importants soulèvements de ces dernières décennies. Ils ont mis le feu aux bureaux de Camargo Correa (l’entreprise constructrice), les baraquements et plus de 45 autobus. Ce qu’on a appelé la « révolte des peones » n’a pas été déclenchée pour les salaires mais bien pour la dignité, contre des conditions de travail proches de l’esclavage. Ces mêmes entreprises font aujourd’hui de juteux profits avec les travaux pour le Mondial de Football de 2014 et les Jeux Olympiques de 2016.

Au vu de la trajectoire personnelle de Lula et du Parti des Travailleurs, la tentation est grande de parler de « trahison ». Mais les choses sont, cependant, plus complexes. Au Brésil, d’une manière plus intense que dans d’autres pays de la région, il se produit une profonde reconfiguration des élites. L’arrivée de Lula au pouvoir a accéléré la formation d’une alliance, ou pour mieux dire, d’un amalgame entre les grands patrons brésiliens, les cadres supérieurs de l’appareil d’Etat (y compris les sommets de l’Armée) et un petit mais puissant secteur de la bureaucratie syndicale lié aux fonds de pensions, qui, ensemble avec le BNDES, font parie du groupe restreint des grands investisseurs.

Lula est l’ambassadeur des multinationales brésiliennes qui ont presque toutes des liens étroits avec l’Etat, que ce soit parce que ce dernier leur octroi de gigantesques ouvrages ou parce que l’alliance étatique-syndicale a un poids décisif dans ces concessions. Ainsi, la seconde entreprise minière du monde est contrôlée par le fonds de pension du Banco do Brasil, dominé par le gouvernement et le syndicat bancaire. La même chose se reproduit avec d’autres grandes entreprises.

Ces qui est pénible c’est de constater comment des discours nobles qui parlent des droits des travailleurs et de l’intégration régionale sont utilisés pour lubrifier des affaires qui portent préjudice aux travailleurs eux-mêmes, détruisent la nature et qui ne bénéficient qu’à une poignée de grands patrons qui ont commencé à s’enrichir à l’ombre d’une des pires dictatures militaires de ce continent.

Source :

http://gara.naiz.info/paperezkoa/20130407/396331/es/Las-multinacionales-brasilenas-Lula

Traductions françaises et intertitres pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

Sur le même thème : Amérique latine

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...