Édition du 18 juin 2024

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Le blogue d’Éric Pineault

Les risques d'une pétro-économique au Québec

Le gouvernement du Parti Québécois semble semble déterminer d’ouvrir la filière de l’exploitation pétrolière au Québec. Tout en faisant miroiter les millions que cela pourrait générer pour la société, on nous promet un développement qui obéira au plus strictes critères de l’acceptabilité sociale et environnementale.

En ces temps d’austérité et de grande stagnation économique, la rente pétrolière fait rêver : remboursement de la dette, garderies, routes, ponts et hôpitaux. Et pourtant, quand on regarde de près les implications écologiques et économiques, une saine hésitation s’impose avant de se jeter bras ouvert dans l’huile schisteuse.

La découverte de trois gisements sont à l’origine de la discussion sur l’avenir pétrolier du Québec, soit ceux près de Gaspé, ceux de l’île de l’Anticosti et finalement ceux de Old Harry. Ce sont, pour l’essentiel, des réserves non conventionnelles en particulier dans le cas de l’Anticosti où nous avons affaire à du « pétrole issu de l’huile de schiste » qui devra être extrait à l’aide de la méthode de la fracturation hydraulique. Une des difficultés de ce mode d’extraction est qu’il est extrêmement inefficace, on estime le rendement à 1 baril de pétrole brûlé pour produire 2 barils de pétrole consommable, comparé à 1 baril brûlé pour 15 consommable dans les filières conventionnelles. De plus, avec la technologie actuelle, certains géologues estiment qu’on ne peut extraire que 4% du pétrole contenu dans ses formations schisteuses. C’est donc un procédé coûteux, dont la rentabilité est très sensible aux fluctuations du prix du brut et qui a un bilan de carbone désastreux, pire que les sables bitumineux. Voulons-nous devenir le prochain cancre en matière de lutte contre les changements climatiques ? À cela, il faut ajouter l’inévitabilité de déversements dans le Golfe à mesure que se développera cette filière.

Effets économiques et fiscaux questionnables

Les implications économiques, elles sont tout aussi problématiques. Notons en partant que l’État québécois a cédé ses droits d’exploitation à des intérêts privés, et ce dans des circonstances qui apparaissent encore douteuses. Deux petits « start up », Junex et Pétrolia détiennent l’essentiel des droits sur notre pétrole. Dirigés en partie par d’anciens fonctionnaires qui ont assisté à la privatisation de ces droits sur les réserves, financés par d’obscurs Hedge Fund et groupe de Private Equity, ces entreprises ont peut-être les ressources nécessaires pour procéder à l’exploration, mais ne sont pas de taille pour se lancer dans l’exploitation à grande échelle de ces gisements. Au moment venu, avec quelle grande entreprise multinationale s’allieront-elles pour extraire le pétrole québécois ? L’hollandaise Shell, l’anglaise BP, les françaises Total ou Elf, la canadienne Suncor, l’américaine Exxon ? Bref, les retombées et le contrôle sur la filière dépend en grande partie des décisions privées que prendront ces entreprises. Quel contrôle aurons-nous réellement comme collectivité sur cette filière industrielle, où seront rapatrié les profits générés par la rente pétrolière ?

Mais retombées économiques il aura, or avant de les célébrer, regardons de plus près leurs effets. Il est indéniable que l’ouverture d’une filière d’exploitation pétrolière dans l’est du Québec aura des impacts très importants dans ces régions ainsi que sur l’ensemble de la province. Rappelons que le développement soudain et rapide dans une économie industrielle complexe et diversifiée d’un secteur pétrolier générant une importante rente porte un nom : « mal hollandais ». Inflation des salaires, diminution de la productivité, absorption démesurée de l’investissement par les filières pétrolières, explosion du coût de la vie et saturation rapide du tissu industriel dans les régions d’extraction et donc recours à des fournisseurs étrangers, extrême sensibilité de l’économie et des finances publiques aux cycles de prix du pétrole, sont les effets du développement d’une « pétro-économie ». N’oublions pas que les économies de l’Alberta, de Terre Neuve, du Dakota du Nord étaient relativement simples et peu diversifiées avant le développement de leur secteur pétrolier. Ils sont passés d’une forme mono-industrielle essentiellement (agriculture et pêcheries) à une autre. L’économie québécoise est beaucoup plus complexe et a une base industrielle et de services producteurs relativement solides. Un développement non encadré du secteur pétrolier pourrait avoir des effets extrêmement négatifs pour notre avenir économique, même si à court terme elle nous donne une rente importante et alléchante.

Et le pire des scénarios est justement celui d’une « rente sociale » pétrolière évoquée par la première ministre. Grâce aux redevances, on va se payer des garderies, des hôpitaux, des politiques sociales progressistes qui auront tous une bonne odeur de pétrole ! Dans une économie mature, afin de contrer le développement du mal hollandais, il faut neutraliser l’effet de la rente pétrolière, pas la multiplier ! C’est ce qu’ont fait il y a plus de 20 ans avec succès les Norvégiens, mais dans leur cas ils exploitent des sources plus conventionnelles de pétrole dont l’extraction est de loin plus rentable que les nôtres.

Quelle révolution énergétique ?

Mais la question de fond qu’il faut se poser est la suivante : voulons-nous enfermer notre économie dans la révolution énergétique du siècle dernier ! C’est-à-dire cette grande révolution technologique qui a vu le pétrole remplacer le charbon comme source d’énergie au début du XXe siècle. Nous sommes dans les premiers pas d’une nouvelle révolution énergétique, des énergies dîtes dé-carbonifiées, énergies vertes, et du carbone renouvelable tel que les bio-carburants de deuxième génération. Le Québec est très bien placé pour se lancer dans cette nouvelle révolution en particulier grâce à nos immenses ressources hydro-électriques. Alors qu’ailleurs le défi de l’énergie verte est de la produire par le solaire et l’éolien, ici nous l’avons et même nous en exportons. Il s’agit donc pour nous de savoir comment bien s’en servir. C’est-à-dire comment substituer intelligemment le pétrole par l’électricité dans les domaines du transport et de la machinerie lourde. Nous sommes aussi très bien placés pour développer la filière des biocarburants de deuxième génération à partir de sources de cellulose telle que la biomasse forestière, là où la combustion demeure incontournable ou plus efficace. Or, de tels développements requièrent d’importants investissements et des politiques publiques structurantes.

Mais le développement de la filière pétrolière, surtout dans le cas du pétrole de schiste, demande lui aussi des politiques publiques structurantes et des dépenses publiques massives ainsi que des investissements privés très élevés. Je doute fort bien que nous aillons les ressources pour faire les deux. Il faut choisir, car les implications dans chaque cas sont extrêmement importantes et auront un effet sur l’ensemble de l’économie et de la société québécoise. Soit nous renforçons notre pétrodépendance, soit nous nous engageons résolument dans la transition de notre base énergétique.

Quatre conditions pour ménager la chèvre et le choux

Mais alors vous me direz : il est possible de développer les deux filières dans une politique énergétique cohérente ! Je demeure extrêmement sceptique sur la viabilité d’une telle proposition, mais j’en partage tout de même ici les contours. Quatre conditions devraient être réunies pour qu’une telle stratégie énergétique soit envisageable et ait des effets positifs sur le développement du Québec. Ces conditions impliquent toutes à la base un interventionnisme écologique et industriel robuste et audacieux, et donc sont entièrement incompatibles avec les approches en vogue chez nos élites de type laissez-faire, laissez forer, laissez extraire ; elles impliquent au contraire que le secteur public soit maître d’oeuvre de l’exploitation et qu’il joue un rôle central dans la politique de transition énergétique.

Première condition, démontrer qu’une exploitation des gisements du golfe est rentable, faisable et viable sur le plan environnemental. On ne peut laisser à l’entreprise privée le soin de nous faire ces démonstrations dans le cadre d’un exercice de relation publique et de lobby, il s’agit d’un processus qui requiert du temps, de la neutralité et de l’expertise indépendante. Il faut qu’une telle démonstration se fasse dans le cadre d’une analyse plus globale des perspectives à long terme de développement durable au Québec et de transition énergétique. À la lueur d’une telle interrogation, il faut retenir que les projets d’exploitation dont les bilans de carbone sont aussi bons que celui du pétrole que nous achetons actuellement à l’Algérie. Je doute à ce titre que le pétrole d’huile de schiste passe ce test. Peut-être que les gisements plus conventionnels le passeront.

Deuxième condition : adoption du modèle norvégien d’exploitation publique et de gestion de la rente pétrolière. Le modèle norvégien implique qu’une partie importante des ressources pétrolières exploitables soit réservée à un exploitant public. Cela n’empêche pas la présence d’exploitants privés, ni même d’alliance entre l’exploitant public et le privé. Ainsi l’achat d’une partie significative des droits détenus par Junex et Pétrolia par un « Pétro-Québec » permettrait à la fois à ces entreprises de bénéficier d’un influx de capitaux et donnerait à Pétro-Québec une réserve de droits sur les gisements suffisamment grande pour qu’elle puisse s’engager dans l’extraction du pétrole de manière rentable et générer une rente qui appartiendrait à la collectivité.

Troisième condition : mise sur pied de politiques économiques de cantonnement des effets dopants et déstructurant de la rente pétrolière. Ici il y a un vaste chantier de réflexion économique à ouvrir afin de trouver les mécanismes qui contreront les effets problématiques de l’émergence de ce secteur dans l’est du Québec, mais plus largement dans l’ensemble de l’économie québécoise. Il faut réfléchir en particulier au maintien et même au renforcement de la diversité économique du Québec, la quatrième condition apporte une réponse partielle à cela. En ce qui a trait à la rente publique que va générer cette activité, elle ne doit pas être intégrée dans le budget courant de l’État, mais encore une fois, dans la logique du modèle norvégien, être isolée de l’économie en la confiant en partie à un fonds souverain qui en placerait l’essentiel à l’extérieur du Québec.

Quatrième condition : il faut à tout prix refuser le modèle de la rente sociale que nous a fait miroiter la première ministre et élaborer une stratégie de « rente de transition ». C’est-à-dire qu’une proportion significative de la rente pétrolière devrait être affectée à un fonds d’investissement dans la décarbonification de notre économie. Ce fonds viserait non seulement le développement de technologies et la mise en œuvre d’infrastructures de production d’énergies vertes, mais surtout de technologies de substitution de l’usage des énergies fossiles par des énergies renouvelables dans les secteurs clé du transport et de la machinerie ainsi que le chauffage. Ainsi au moment où nous aurons extrait et vendu la dernière goûte de pétrole du gisement Old Harry, notre économie aurait depuis longtemps cessé de dépendre de cette source d’énergie.

Si et seulement si ces quatre conditions sont réunies, il pourrait être envisageable d’exploiter certains des gisements du Golfe.

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