À l’occasion d’une rencontre avec des cadres et des coordonnateurs de services tenue hier, l’employeur s’est félicité en analysant des indicateurs quantitatifs, triés sur le volet, pour parler des réussites de ce projet. Pourtant, la détresse exprimée par les travailleuses et travailleurs et par les usagères et usagers est criante et démontre l’échec de cette expérience. Cela n’est pas étonnant puisqu’une authentique démarche d’organisation du travail doit impérativement reposer sur une évaluation paritaire menée à partir d’indicateurs identifiés conjointement par l’employeur, les salarié-es et leurs syndicats. Partout où la réorganisation du travail a fonctionné - et les succès sont nombreux - les démarches ont été menées de façon paritaire.
Pour la FSSS-CSN, si l’accès aux soins à domicile semble s’être amélioré depuis le passage de Proaction au CSSS de la Pointe-de-l’Île, c’est surtout parce que les travailleuses et travailleurs sont forcés de ne plus remplir des tâches pourtant essentielles de leur travail afin de se concentrer sur les actes dits directs. C’est aussi parce que l’on réfère les usagères et usagers au privé. Il est difficile d’y voir un réel progrès. « Tout le monde s’entend qu’il y a sous-financement des services à domicile. Nous sommes tout à fait d’accord pour revoir la manière dont on fonctionne dans les services à domicile, pour que l’argent investi soit utilisé de façon optimale. Mais dans sa démarche, le CSSS de la Pointe-de-l’Île fait tout le contraire de ce qui doit être fait en allouant des montants, qui font cruellement défaut, à une entreprise dont le mandat est d’imposer des changements inadaptés aux services de santé. Nous ne laisserons personne présenter cette expérience comme un succès. Au contraire, c’est le modèle à éviter à tout prix », estime la vice-présidente de la FSSS-CSN, Nadine Lambert.
La firme privée Proaction présente toujours le cas du CSSS de la Pointe-de-l’Île comme une de ses grandes réussites. Toutefois, la réalité sur le terrain, pour les travailleuses et travailleurs et pour la population, est beaucoup plus nuancée. « On ne compte plus les exemples aberrants qui affectent directement la qualité des services à la population », souligne la présidente du syndicat, Nicole Daniel. Par exemple, un usager qui a de la difficulté à se rendre seul à la toilette s’est vu donner une toilette au lit. On a aussi demandé à la conjointe d’un usager âgé de le déshabiller elle-même en attendant l’arrivée d’une intervenante qui doit lui donner son bain. Dans le schéma de pensée de Proaction, ce sont là des gains de productivité !
Une approche contreproductive
Le rôle des auxiliaires aux services de santé et sociaux étant de faire tout pour permettre aux personnes de conserver leur autonomie le plus longtemps possible, le modèle Proaction s’avère contreproductif. « Si les soins à domicile ne permettent pas à celles et ceux qui les utilisent de vivre de façon plus autonome, à quoi servent-ils ? », demande Nadine Lambert. Quant aux prétendues économies pour les contribuables, ce n’est que de la poudre aux yeux ! D’une part, les contrats octroyés à ces firmes représentent des montants de plus de 900 000 $. D’autre part, en réduisant le soutien à l’autonomie des usagères et des usagers, cela engendre des coûts supplémentaires importants pour les finances publiques puisqu’on les pousse à quitter leur résidence.
L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec a de son côté émis un avis préoccupant sur ce modèle. L’Ordre se montre préoccupé par les éléments rapportés par les travailleuses et travailleurs et rappelle que ceux-ci doivent faire primer leur jugement professionnel dans l’intérêt premier des personnes qu’ils soignent. L’Ordre se questionne entre autres sur le fait que les interventions dites indirectes sont dévalorisées par Proaction, qui procède à un calcul mécanique et strictement quantitatif des tâches à accomplir. Pourtant, ces interventions sont au cœur du travail de ces professionnel-les, qui agissent auprès de la personne, mais aussi sur son environnement (rencontres avec la famille, etc.). L’Ordre appelle les travailleuses et travailleurs à faire appel à leur direction pour s’assurer de respecter les règles de l’Ordre. « C’est pourtant ce qui a été fait, mais lorsque le syndicat est exclu de la démarche, il devient impossible de baliser les impacts des changements sur la pratique professionnelle de ses membres », martèle Nicole Daniel.
Au CSSS de la Pointe-de-l’Île, l’employeur a toujours refusé la participation du syndicat dans les projets d’organisation du travail, malgré des demandes répétées. De plus, la participation du syndicat est une condition obligatoire d’une véritable démarche en organisation du travail. « C’est d’ailleurs ce qui ressort de deux ententes que nous venons de signer avec le ministère de la Santé et des Services sociaux », rappelle Nadine Lambert. C’est dire que ce qui se fait actuellement au CSSS de la Pointe-de-l’Île, ce n’est pas de l’organisation du travail, bien au contraire. « Il est possible d’améliorer l’organisation du travail pour améliorer l’accès aux services et la qualité de ceux-ci, mais ce n’est certainement pas de cette façon qu’il faut procéder », lance Nicole Daniel.
Pourtant, des exemples de réelles réussites existent dans le réseau, pensons par exemple au CSSS du Sud-Ouest-Verdun, où le syndicat a été mis à contribution et où des résultats directs ont été notés sur la qualité des services, mais aussi sur les conditions de travail. Notons que les travaux dans ce CSSS ont été réalisés avec le soutien d’une firme externe qui s’est avéré aidant. Nous ne défendons pas une position idéologique contre le recours à des tiers pour nous aider. Ce que nous rejetons, c’est une forme d’organisation du travail qui nuit aux travailleuses et aux travailleurs et qui nuit aux usagères et aux usagers parce qu’elle est imposée du haut vers le bas, sans égard aux préoccupations de celles et ceux qui sont sur le terrain. Les besoins des intervenantes et intervenants ainsi que de la population qui reçoit leurs services devraient pourtant au final être les déterminants les plus importants dans une démarche visant l’amélioration des services. On a l’impression que tout ce qui importe pour le CSSS, ce sont des beaux chiffres et de beaux bilans bidon, sans se questionner sur les conséquences concrètes que tout cela a sur les services.