Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur la question nationale

Les prochains 10 ans de Québec solidaire : faciliter l’alternance ou bâtir une alternative ?

article tiré du blogue Le blogueur solidaire de Benoit Renaud

Dans les pays où on retrouve des partis de gauche issus des mobilisations récentes, ces nouvelles formations (Podemos, Bloc de gauche, Front de gauche, RISE…) finissent par se retrouver devant le même dilemme : participer à une forme ou une autre d’alliance avec la « vieille gauche » (ou des « nationalistes progressistes ») en vue de battre la droite (ou les fédéralistes) tout de suite ou garder son indépendance en vue d’une éventuelle et incertaine prise de pouvoir sur ses propres bases. Québec solidaire se retrouve maintenant devant une situation similaire.

Est-ce que l’objectif consistant à « battre les libéraux » - dont on peut comprendre la logique après tous les dommages causés par le gouvernement Couillard - permettrait de justifier un certain degré de complicité de la part de Québec solidaire dans l’avènement d’un gouvernement péquiste ? Nous croyons que non pour une foule de raisons déjà explicitées dans un texte précédent. [1] Mais la question de comment répondre aux pressions grandissantes en faveur d’une alliance stratégique (ou l’acceptation de la logique du « vote stratégique » par QS) n’est pas simple pour autant.

Un PQ au bord du gouffre

D’abord, si cette question se pose plus concrètement que jamais, c’est parce que le PQ n’arrive pas à mobiliser par ses propres moyens la base électorale nécessaire pour prendre le pouvoir. La mince victoire de 2012 et la cuisante défaite de 2014 en sont les indications les plus frappantes, en plus de la déroute du Bloc et de la persistance des mauvais sondages. L’élection de PKP comme chef a eu un effet positif très limité et de courte durée, si bien que la direction du PQ tente maintenant de jouer un double jeu, se présentant comme la seule option crédible pour l’alternance tout en faisant pression sur Québec solidaire pour une sorte d’alliance aux objectifs et au contenu pour le moins indéfinis. S’ils ne peuvent pas gagner sans nous, c’est donc que nous avons une réelle importance ! Le retour de la gauche dans la marginalité est l’objectif inavouable de toutes leurs manœuvres. L’éclatement du PQ sous la pression de ses propres contradictions, en même temps que la persistance et l’enracinement de QS, est le scénario que PKP et son entourage cherchent à éviter.

Pour Québec solidaire, cette ouverture au dialogue avec le parti de Péladeau constitue un piège dont il est difficile de se déprendre. Si on refuse de discuter, on prête le flanc à des accusations de sectarisme, de partisannerie étroite, de complicité de fait avec les libéraux, etc. Si on accepte, on aide le PQ à se donner un vernis progressiste qu’il ne mérite certainement pas et on sous-entend que l’élection d’un gouvernement péquiste serait une amélioration par rapport aux libéraux, alors que nous savons bien qu’il n’en est rien. Seulement en remontant aux 18 mois du gouvernement Marois, on peut mentionner l’exploitation pétrolière sur Anticosti, la panique face à « l’angoisse fiscale » des riches et la Charte des valeurs pour illustrer que sur plusieurs points, le PQ est équivalent ou pire que les Libéraux. [2]

Et l’indépendance ?

Les attaques les plus virulentes contre Québec solidaire proviennent généralement des milieux nationalistes qui nous accusent de « diviser le vote souverainiste ». Mais le fait est que PKP ne s’est engagé à rien sur ce plan lors de la course à la direction et que son bras droit, Drainville, était déjà prêt à remettre un éventuel référendum à un deuxième mandat. La décision sur la place de la question nationale dans la plateforme du PQ pour l’élection d’octobre 2018 devrait être annoncée… au printemps 2018 ! Et on voudrait que QS passe les deux prochaines années à partager amicalement des tribunes avec les dirigeants du PQ et à entretenir l’espoir d’une grande alliance indépendantiste incluant aussi Option nationale ! Nous savons déjà comment se terminerait un tel scénario. PKP n’aura qu’à constater que les sondages sont toujours nettement défavorables à l’option souverainiste (ce qui est essentiellement de leur faute) pour justifier le report de l’échéance aux calendes grecques et nous demander de céder la place dans une série de circonscriptions chaudement disputées afin de l’aider à « battre les Libéraux ».

Mais même si l’élection de 2018 portait, pour le PQ, sur un mandat de se lancer dans une troisième bataille référendaire, QS devrait rester à l’écart pour le bien de la cause. Premièrement, le projet politique derrière un éventuel 3e référendum serait encore plus vide de tout contenu social ou démocratique progressiste que celui de 1995. On nous demanderait de signer un chèque en blanc à PKP pour décider du contenu du projet de constitution, ce qui est le contraire d’une démarche d’autodétermination collective pour le peuple Québécois. Si les dirigeants péquistes ajoutent un nouveau contenu à leur projet pour donner du sens à la rupture institutionnelle ce sera probablement un contenu nationaliste ethnique réactionnaire et xénophobe. Alors que viendrait faire Québec solidaire dans une telle galère ? Ce projet politique, en plus d’être voué à l’échec peu importe la nature de notre implication, ne mériterait pas qu’on l’appuie.

Pour une convergence populaire

Le projet indépendantiste ne peut reprendre de l’élan et gagner l’appui de la majorité de la population que s’il se donne un contenu politique correspondant aux aspirations, aux valeurs et aux intérêts de cette majorité. L’indépendance sans contenu n’est attirante que pour ceux et celles qui placent l’indépendance au sommet de leur système de valeurs politiques ou pour ceux et celles qui considèrent qu’elle serait une bonne chose en soi, même si rien d’autre ne changeait, et malgré les efforts que cette rupture demande. Il n’y a qu’une minorité de l’opinion publique québécoise qui entre dans ces deux catégories, et aucune campagne visant à convertir les sceptiques ne permettra de changer cette réalité à court terme. C’est cette minorité nationaliste qui « perd un compté par année » en raison de l’immigration, comme le disait PKP récemment.

Ce dont le mouvement a besoin, c’est d’un projet susceptible de rallier aussi les personnes qui voient dans l’indépendance un moyen de réaliser d’autres objectifs (démocratiques, écologiques, sociaux, etc.) et même une partie des « fédéralistes mous » qui préféreraient continuer à faire partie du Canada mais seraient convaincus de faire ce sacrifice pour obtenir des gains significatifs sur d’autres plans. Autrement dit, pour rallier une majorité autour du projet de pays, il faut chercher à rallier tout le monde sauf les inconditionnels de l’unité canadienne.

Pour ce faire, l’étape d’une assemblée constituante débattant publiquement et démocratiquement du contenu de l’éventuelle constitution québécoise est incontournable. Aussi, il faut que la dynamique sociale soit favorable à une prise en mains de ses propres affaires par le peuple et mette le patronat (massivement fédéraliste) sur la défensive. La combativité des mouvements sociaux, en commençant par le mouvement syndical avec son million de membres, n’est pas qu’un souhait de la part d’un parti de gauche, c’est une nécessité stratégique si on veut gagner la bataille pour l’indépendance. Entre autre, une telle mobilisation pourrait nous gagner la sympathie des classes populaires du Canada anglais et briser leur propre « union sacrée » nationaliste.

Il est donc logique que les dirigeants syndicaux qui ont mis le frein à la mobilisation en décembre puis signé une entente médiocre qui abandonne à leur sort les bas salariés (en la faisant passer pour une victoire) se préparent à nous inviter à un vote « stratégique » pour le PQ en 2018. Ils et elles n’ont pas voulu mener une bataille pour battre Couillard en 2015. Il ne leur reste qu’un électoralisme à courte vue comme perspective politique. Cette tendance concertationiste et défaitiste dans le mouvement syndical constitue une branche parmi d’autres de ce « métapéquisme » que nous avons déjà identifié [3] et qui regroupe ceux et celles qui cherchent à reconstituer le mythique PQ des belles années en dehors du PQ, malgré lui et, paradoxalement, en incluant ce qui en reste.

Trois tactiques

Il demeure que la question du comment QS devrait répondre aux avances ambigües du PQ et à l’insistance des nationalistes est un terrain semé d’embuches. Trois approches tactiques nous semblent envisageables et imparfaites : l’explication négative, le défi immédiat et la démonstration par étapes.

L’explication négative consiste simplement à rappeler tout ce que nous avons à reprocher au PQ (et à PKP, mais ce n’est pas l’essentiel). Cette approche a le mérite de la transparence, mais sa vertu éducative et sa portée médiatique sont très limitées. On l’a vu quand les porte-parole nationaux ont donné des raisons de la difficulté d’un rapprochement avec un parti dirigé par PKP. Le contenu négatif de cette option passe difficilement dans l’opinion publique qui n’aime pas les dénonciations et auprès des médias qui ont la mémoire très courte.

Le défi immédiat correspond à ce que je proposais dans un texte précédent [4]. Cette approche consiste à inverser les termes de la première et à s’orienter vers un avenir positif hypothétique plutôt qu’un passé désolant. Au lieu de dire pourquoi on ne peut pas s’allier au PQ, on peut énoncer les conditions (très théoriques) à partir desquelles un rapprochement serait envisageable. Par exemple, au lieu de dire qu’on ne peut pas s’associer au PQ à cause de la Charte des valeurs, on peut poser comme condition que le PQ s’engage à ne pas proposer quelque chose de semblable dans un prochain mandat. Mais il faudrait que toutes les conditions y soient énoncées immédiatement et clairement afin d’éviter toute ambiguïté. Le problème ici est qu’on sous-entend, même avec bien des réserves, que le rapprochement est possible. Aussi, on s’abstient de mettre le PQ devant son bilan. Ce qui rend service au PQ dans sa stratégie de longue discussion vague vers une alliance sans principes. Même si QS met cartes sur table tout de suite, le PQ peut prendre son temps avant de répondre à chacune de nos propositions.

La démonstration par étapes correspond à la sortie des porte-parole du parti en mars. [5] En posant une seule condition préalable à la discussion (la clarification des propositions du PQ quant à la démarche menant à la souveraineté), cette tactique permet de maximiser la portée de chaque intervention. Le PQ ne peut pas se défiler en prétextant la longueur de la liste de conditions ou répondre à côté de la question. Par contre, la population peut en conclure que la condition énoncée est la seule nécessaire pour nous et donc que le PQ n’aurait rien d’autre à faire que d’y répondre favorablement pour gagner note complicité contre les libéraux.

Toutes ces approches ont des défauts. Mais la pire tactique, celle qui nous préparerait des lendemains qui déchantent, consisterait à jouer le jeu des « longues fiançailles », sans poser de préconditions, et en évitant d’attaquer soit le chef, soit le parti, à partir de leurs bilans. Une telle approche reviendrait à cautionner la thèse voulant que la fondation de Québec solidaire, il y a dix ans, était un grand malentendu, une séparation temporaire dans la « famille souverainiste » qu’il s’agirait maintenant de réconcilier.

Peu importe ce que le parti décide de faire d’ici à 2018 et au-delà, dans ses rapports avec le PQ, ON et les milieux indépendantistes, il faudra que ce soit sur la base d’une réaffirmation de la nécessité de notre projet politique, tant pour la justice sociale et la démocratie populaire que pour l’émancipation nationale. Nous voulons exercer le pouvoir pour le transformer et pour changer le Québec. Nous n’allons laisser personne nous détourner de ce projet pour accepter à sa place un rôle de figuration et des parcelles d’influence éphémère.

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