La gauche fait souvent de l’accession du Québec à l’indépendance un préalable à la réalisation des réformes sociales profondes et durables. Mais il s’agit là d’un raccourci dangereux. Qu’on le veuille ou non, la politique fonctionne par priorités, lesquelles sont beaucoup influencées par la question des rapports de force.
Les personnes partisanes de la souveraineté négligent toujours de mentionner un fait essentiel : advenant une hypothétique majorité de « OUI » lors d’un non moins conjectural référendum, il s’ensuivrait forcément une période de transition entre ce référendum victorieux et l’acquisition effective de la souveraineté par le Québec.
La période de négociation avec Ottawa serait longue, ardue, pleine de turbulences dues aux pressions qu’Ottawa ne manquerait pas d’exercer sur le gouvernement souverainiste du Québec pour gagner du temps et l’amener à faire le maximum de concessions ; Ottawa pourrait compter aussi sur l’appui de l’opposition fédéraliste à l’Assemblée nationale représentée par le Parti libéral et la Coalition avenir Québec. Le gouvernement du Québec se trouverait pris en étau entre celui d’Ottawa et les partis d’opposition à l’Assemblée nationale, du moins les plus importants d’entre eux. Le gouvernement fédéral exercerait aussi beaucoup de pressions économiques et financières sur la population pour l’amener à retirer son appui au gouvernement du Québec ; il pourrait aussi s’appuyer sur une importante minorité fédéraliste dans la société, qui ne disparaîtrait pas comme par magie après la victoire du « OUI ».
Bref, l’accession éventuelle du Québec à l’indépendance serait précédée d’une période d’adversité plus ou moins longue qu’il serait malhonnête de passer sous silence. Le dire n’équivaut pas à tomber dans le terrorisme psychologique, mais à regarder la réalité bien en face.
Or la masse des personnes exclues (chômeurs-chômeuses, assisté-e-s sociaux-ales, travailleurs et travailleuses pauvres) pour lesquels on prétend réaliser l’indépendance ne dispose d’aucune garantie que ses intérêts économiques même élémentaires seraient sauvegardés durant la dure période de transition. Ni la direction péquiste ni celle de Québec solidaire n’y font la moindre allusion. Dans le premier cas, si le passé est garant de l’avenir, ce silence ne surprend pas ; dans le second, il dévoile peut-être l’inexpérience de sa direction et la priorité accordée à la souveraineté, malgré ses inévitables coûts sociaux et ses séquelles à long terme.
L’adhésion de la grande majorité de la gauche à l’indépendance équivaut en pratique à mettre au premier plan ce qu’on appelle « la question nationale » au détriment des objectifs de redistribution sociale puisque le débat indépendance-fédéralisme est par nature très polarisant. Il ne peut se dérouler qu’en refoulant les débats sociaux à l’arrière-plan.
Non que le problème national québécois n’existe pas, mais il faudrait l’aborder en abandonnant le fétichisme souverainiste. Pourquoi ne pas envisager une forme de fédéralisme renouvelé ? C’est moins exaltant que le projet souverainiste, mais aussi beaucoup plus susceptible de rallier une majorité de Québécois et Québécoises. On pourrait alors mieux combiner émancipation nationale et lutte pour une forme ou une autre de socialisme démocratique.
C’est triste à dire, mais l’option indépendantiste a déjà été rejetée à deux reprises par une majorité d’électeurs et électrices en mai 1980 et en octobre 1995. De plus, rien n’indique que l’électorat est prêt à changer d’idée sur cette question, au contraire.
Par contre, le choix d’une autonomie accrue du Québec au sein de la fédération canadienne offre plus de chances de les rallier et se révélerait plus compatible avec un authentique projet social-démocrate dans un avenir prévisible, compte tenu des besoins urgents de ce côté.
Il faudrait y penser...et en parler.
Jean-François Delisle
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